Le 25 mai dernier, la ministre de l’Environnement, Ségolène Royal, « a publié » sur le réseau social Tweeter un selfie avec le patron de Générations Futures, François Veillerette, légendé du texte suivant : « @genefutures me remet, au nom de 40 ONG, un bouquet pr mon combat vs le glyphosate au niveau européen ».
.@genefutures me remet, au nom de 40 ONG, un bouquet pr mon combat vs le glyphosate au niveau européen @biodiversité pic.twitter.com/42a1H4T20w
— Ségolène Royal (@RoyalSegolene) 25 mai 2016
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Cinq jours plus tard, Stéphane Le Foll confirmait, également sur Tweeter, l’hostilité de la France à l’égard d’une ré-autorisation du glyphosate. Pourtant, le ministre de l’Agriculture est parfaitement conscient qu’une telle interdiction serait « lourde de conséquences pour les agriculteurs ». Simplement, il prétend vouloir lever certaines « incertitudes scientifiques ».
Cette controverse concernant l’herbicide le plus vendu au monde se résume à un affrontement entre, d’une part, un lobby d’associations écologistes qui s’appuie exclusivement sur la classification du glyphosate comme « cancérogène probable » par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) ; et de l’autre, un groupement d’industriels qui fondent leur argumentation sur l’avis de l’Institut fédéral allemand d’évaluation des risques (Bfr), sur celui de deux agences précisément mises en place pour éclairer les responsables politiques (l’Efsa et l’Anses), ainsi que sur celui du Joint Meeting on Pesticide Residues (JMPR), un organe composé d’experts de la FAO et de l’OMS. Toutes ces instances sont unanimes : elles confirment les avis précédemment émis, et qui concluaient tous que le glyphosate ne présente pas de risque cancérogène pour l’homme. Il y a donc quelque chose d’insolite dans les hésitations du ministre français de l’Agriculture…
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Zoom sur le glyphosate
La découverte du glyphosate remonte aux années 1950. Vingt ans plus tard, son potentiel herbicide est révélé grâce aux travaux d’une équipe de chercheurs américains, réunis sous la direction du chimiste John E. Franz au sein de la société Monsanto. En 1974, la première solution disponible pour l’agriculture est autorisée sous le nom de RoundUp, qui devient l’un des plus grands succès commerciaux de l’histoire de l’agriculture, et se transforme en jackpot financier pour la firme de St Louis ! En effet, son large spectre d’efficacité, sa simplicité d’utilisation et sa faible toxicité au regard des produits comparables ont fait de cet herbicide aujourd’hui controversé l’un des plus utilisés, tant en agriculture que pour la gestion des jardins et des zones non cultivées.
Le RoundUp possède un mécanisme d’action particulièrement intéressant : il inhibe un enzyme présent uniquement dans le règne végétal, entraînant ainsi la mort de très nombreuses plantes par carence nutritionnelle. En revanche, il ne peut avoir d’effet sur les animaux, qui sont tous dépourvus de cet enzyme particulier.
Depuis sa mise sur le marché, le glyphosate a fait l’objet de milliers de publications. Son dossier pour la procédure européenne de ré-approbation est ainsi constitué de plus de 75 000 pages. Il a été soumis aux analyses des autorités nationales de dizaines de pays. Et toujours avec le même succès. Depuis plus de quarante ans, il est utilisé sur l’ensemble des cinq continents. Pour bon nombre d’agriculteurs du monde entier, le glyphosate a radicalement modifié les pratiques agronomiques. Notamment en ce qui concerne la promotion du non labour, qui permet aux résidus végétaux naturels et à ceux provenant de la récolte précédente de rester sur le champ. Cette couverture favorise le développement d’une vie du sol plus riche, et se traduit par une augmentation du nombre de vers de terre. À terme, le non labour augmente les teneurs en matière organique des sols. Bref, que du bonheur pour les partisans de l’agro-écologie ! D’autant plus qu’il entraîne un gain économique non négligeable pour un secteur hautement compétitif.
Tout cela explique pourquoi les entreprises qui commercialisent le glyphosate (une petite trentaine en Europe) étaient loin d’imaginer à quel point le déroulement du processus de réhomologation de cet herbicide au profil écolo-compatible ferait l’objet d’une telle polémique.
Tirer sur un symbole
Comme pour les néonicotinoïdes ou les biotechnologies végétales, l’enjeu n’est bien entendu ni sanitaire, ni environnemental, mais exclusivement politique. Il a été clairement défini par la Conf’ dans un communiqué de presse du 19 mai 2016 : « Herbicide le plus utilisé dans le monde, le glyphosate est un outil emblématique de l’industrialisation de l’agriculture ». Son péché originel est donc d’incarner l’agriculture industrielle. « En simplifiant les parcours des cultures, il rend le travail paysan inutile et favorise l’agrandissement des exploitations », explique le syndicat paysan.
On croit rêver ! Sa faute serait donc de simplifier les parcours de cultures… Toute la philosophie de l’écologie politique est parfaitement résumée dans ces quelques mots signés par Jean Sabench (un apiculteur à la retraite) et Laurent Pinatel (un éleveur de bovins bio). Certes, le combat des deux hommes aurait été vain sans la participation active de François Veillerette, le chef d’orchestre multimédias des campagnes antipesticides en France, ni sans le « bruit de fond » antiglyphosate entretenu depuis la fin des années 2000 par les multiples études de Gilles-Éric Séralini, ni encore sans les campagnes internationales menées principalement par le lobby anti-OGM, avec notamment Greenpeace à la manœuvre. Pour ces militants, l’interdiction du glyphosate est en effet devenue l’ultime combat visant à interdire les plantes génétiquement modifiées.
Nourrir la confusion
L’annonce de la classification de ce produit comme « cancérigène probable » faite par le CIRC le 20 mars 2015 est incontestablement l’évènement qui a permis le lancement de la méga-campagne antiglyphosate. Invité par TF1 le soir même, François Veillerette a immédiatement exigé le retrait de toutes les autorisations pour l’ensemble des formulations à base de glyphosate. Depuis, sa redoutable machine de guerre s’est mise en route, utilisant toutes les ficelles connues de la manipulation de l’opinion publique : analyses d’urines de parlementaires européens, vidéos mises en ligne par WeMove.EU et visionnées plus de 5 millions de fois, sondages, pétitions, etc.
Dans cette guerre de sape, le quotidien Le Monde a joué un rôle tout particulier, en publiant plus de 50 articles hostiles au glyphosate en moins de deux ans (la moitié étant rédigés par un seul journaliste). Inspiré par la stratégie utilisée en son temps par l’industrie du tabac, le quotidien du soir se distingue par son art de dissimuler le doute : doute sur les études, doute sur les experts et doute sur les agences sanitaires, y compris l’Anses.
Le désolant silence de l’agence sanitaire française face aux mensonges de sa ministre de tutelle n’est malheureusement pas de nature à clarifier la controverse.
Ce climat de confusion a atteint son paroxysme avec la déclaration de la ministre de la Santé, Marisol Touraine, qui n’a pas hésité à affirmer qu’elle disposait d’études qui « montrent que [le glyphosate] est un perturbateur endocrinien ». Des propos pourtant opposés à ceux de l’Anses, qui conclut le contraire dans son avis du 9 février 2016. « Il est peu probable que le glyphosate ait un effet potentiel sur la perturbation endocrinienne des voies dépen- dantes de la régulation œstrogénique », peut-on y lire. Le désolant silence de l’agence sanitaire française face aux mensonges de sa ministre de tutelle n’est malheureusement pas de nature à clarifier la controverse.
Comme le résume parfaitement le sénateur Jean Bizet, « ce débat est devenu totalement irrationnel : si la molécule est considérée comme dangereuse par les scientifiques, elle doit évidemment être interdite sans hésitation. A contrario, lorsque l’analyse de l’Anses, qui fait tout de même autorité en la matière, conclut que le niveau de preuve de cancérogénicité chez l’animal et chez l’homme est considéré comme relativement limité, on ne peut faire semblant de l’ignorer. »
C’est pourtant le choix qu’a fait le gouvernement. « C’est la France qui a entraîné les autres derrière elle, malgré les lobbies agricoles qui sont rapidement intervenus », admet volontiers Ségolène Royal, qui a reçu carte blanche de la part d’un président de la République en fin de course, obsédé par sa survie politique.
La stratégie de blocage mise en place par la France n’a rien de très inventif. Elle reprend à la lettre celle utilisée pour paralyser le dossier des OGM, à savoir rassembler suffisamment d’État-membres pour bloquer toutes les propositions de la Commission, en espérant qu’au final, celle-ci soit obligée de prendre la décision impopulaire de remettre le produit sur le marché. Ainsi, à trois reprises, aucune majorité qualifiée n’a pu être obtenue pour la ré-autorisation de la substance active, la France ayant réussi à entraîner avec elle l’Allemagne, l’Italie, la Grèce et le Portugal. Mais aucune non plus n’a été obtenue pour son interdiction.
Cette diabolique tactique est doublement catastrophique. En premier lieu pour l’expertise scientifique. En effet, qui peut encore croire à l’avis des agences si les responsables politiques les désavouent en réfutant les recommandations de leurs experts ? Ensuite pour l’Union européenne. Car faire porter le chapeau d’une décision qui sera perçue par l’opinion publique comme menaçante pour leur santé accentuera inévitablement la défiance qui mine déjà les instances européennes. On devine à qui tout cela va profiter…
Il semblerait que déconstruire l’Union européenne de Jacques Delors soit devenu le sport préféré des socialistes français !