« Aux questions légitimes posées avec de plus en plus d’acuité sur l’élevage et la consommation de viande, on ne peut se contenter de répondre par des slogans simplistes », ont indiqué trois experts de l’Inra, Jean-François Hocquette, Jean-Louis Peyraud et Bertrand Schmidt, lors d’une conférence de presse tenue le 8 mars dernier. Objectif de l’événement : proposer, à travers un dossier disponible sur le site de l’institut, quelques éléments de réflexion sur les questions relatives aux filières animales. « Les chiffres doivent être maniés avec précaution », ont averti les trois experts. Notamment celui, souvent évoqué, des 15000 litres d’eau consommés pour produire un kilo de viande.
Obtenu par la méthode de « water footprint » (empreinte eau), ce chiffre englobe l’eau bleue (celle réellement consommée par les animaux et l’irrigation des cultures), l’eau grise (utilisée pour dépolluer les effluents et les recycler) et l’eau verte (eau de pluie). « Or cette méthode a été conçue pour des sites industriels et ne tient pas compte des cycles biologiques. En réalité, 95 % de cette empreinte eau correspond à l’eau de pluie, captée dans les sols et évapo-transpirée par les plantes, et qui retourne de fait dans le cycle de l’eau. Ce cycle continuera même s’il n’y a plus d’animaux », précise le document de l’Inra. La communauté scientifique considère qu’il faut entre 550 à 700 litres d’eau pour produire 1 kg de viande de bœuf et seulement 50 litres en eau utile ; c’est-à-dire la quantité d’eau réellement consommée, pondérée par un facteur de stress hydrique régionalisé.
La communauté scientifique considère qu’il faut entre 550 à 700 litres d’eau pour produire 1 kg de viande de bœuf et seulement 50 litres en eau utile.
Sur les gaz à effet de serre (GES), les experts estiment que l’on compare trop souvent des chiffres non comparables. « C’est ce qui se passe quand on affirme que l’élevage rejette plus de GES (14,5%) que le secteur des transports (14 %), en oubliant que ces deux chiffres sont obtenus par des méthodes différentes ! » En effet, ce pourcentage pour l’élevage émane de la FAO, qui se base sur le modèle des analyses de cycle de vie incluant diverses dimensions de l’élevage, alors que le calcul pour les transports, qui émane du GIEC, ne prend en compte que les émissions de GES des véhicules en circulation. « Par la méthode d’analyse de cycle de vie, cette valeur serait beaucoup plus élevée », précise l’Inra.
Les apports positifs de l’élevage
Et ce n’est pas tout : le document s’en prend également aux « fausses bonnes idées », comme celle de vouloir supprimer l’élevage afin de réduire le « gaspillage des res- sources » et l’empreinte carbone de notre alimentation. « C’est oublier que plus de 70% de la ration des ruminants est composée de fourrages (herbe, foin, ensilage, enrubannage) non consommables par l’homme, et que cette herbe provient de prairies ayant un fort potentiel de fixation du carbone. […] C’est oublier aussi que les aliments concentrés utilisés pour les monogastriques (porcs, volailles) et les herbivores valorisent les résidus de cultures et les sous-produits des filières végétales destinées à l’alimentation humaine ou aux biocarburants (tourteaux, sons, drèches, etc.) », indiquent les experts. « Sans les ruminants, il n’y aurait plus de paysages de prairies et de bocages, ni de haies. La forêt gagnerait du terrain en montagne et deviendrait plus sensible aux incendies en zones sèches, car privée du rôle de débroussaillage des petits ruminants. On perdrait en surface agricole utile puisqu’il n’est pas possible de produire de cultures à graines dans bon nombre de nos territoires couverts de prairies permanentes, qui ne peuvent être valorisés que par les ruminants. On accentuerait l’exode rural vers les villes. Les grandes cultures utiliseraient plus d’engrais sans l’apport organique des effluents d’élevage », note Jean-Louis Peyraud, qui rappelle que « 80% d’aliments impropres à la consommation humaine sont utilisés par les animaux » .
Quelques mots sur l’alimentation
Côté assiette, les experts soulignent l’importance d’un « régime alimentaire durable », c’est-à-dire équilibré et varié. Ils mettent en garde contre une stigmatisation de la viande, prenant comme exemple le cas des États-Unis : « Entre 1971 et 2010, la préconisation des autorités de santé américaines de réduire les graisses animales dans les régimes alimentaires a conduit à une augmentation du sucre dans l’alimentation. La prévalence de l’obésité aux USA est passée de 14,5% à 30,9% sur cette même période, et en 2012, les diabètes de type 2 touchaient un Américain sur dix ».« Pour couvrir les besoins alimentaires d’un vegan, il faut davantage de surfaces que pour ceux d’une personne dont le régime inclut des produits d’origine animale », précise également Jean-Louis Peyraud.
Enfin, les experts rappellent qu’il existe une grande diversité de systèmes d’élevage. « Que ce soit sur le plan environnemental ou sur le plan du bien-être animal, on ne peut pas considérer de la même façon des systèmes aussi différents que, par exemple, les feed lots américains – où les bovins sont engraissés rapidement dans des parcs – et les élevages de bovins dans les pâturages de montagne », avertit le document. D’où la difficulté d’établir un bilan global des impacts de l’élevage