Pilotés par Stéphane Travert, le ministre de l’Agriculture, les Etats généraux de l’alimentation risquent de devenir le cheval de Troie des ONG grâce à leur entrée au ministère de l’Ecologie.
Invité sur la chaîne Public Sénat le 31 mai dernier, l’ancien ministre de l’Agriculture Jacques Mézard l’a affirmé haut et fort : les Etats généraux de l’alimentation concernent la question de la répartition du prix dans la chaîne alimentaire et doivent conclure à une meilleure rémunération pour les producteurs. « C’est un engagement formel, vis-à-vis des agriculteurs français, du Président de la République », a indiqué le ministre. Une belle déclaration entendue lors de son passage au Salon de l’Agriculture (SIA), le 1er mars 2017, après une visite sur une exploitation de Mayenne. Se présentant comme « le candidat du prix payé aux agriculteurs », Emmanuel Macron a plaidé pour l’établissement « de véritables organisations de producteurs avec des capacités de négociations renforcées » face aux industriels et distributeurs afin d’obtenir « un partage équilibré de la valeur ». C’est-à-dire garantir aux agriculteurs « un prix qui leur permette de vivre ». Tels sont les contours du Grenelle de l’alimentation annoncé au SIA, avec une feuille de route bien cadrée.
Le Grenelle de l’alimentation est depuis devenu les Etats généraux de l’alimentation, dont le pilotage a été confié tout naturellement au ministre de l’Agriculture. « C’est moi qui en ai la charge », a martelé Jacques Mézard. Autrement dit, pas son collègue du ministère de la Transition écologique Nicolas Hulot…
À l’origine de l’idée
Ce discours est certes rassurant pour le monde agricole, mais celui-ci ne souhaite pas servir de dindon pour une nouvelle farce, à l’instar du Grenelle de l’Environnement à l’ère du Président Sarkozy. C’est pourtant bien lors d’un échange Facebook Live avec le directeur général du WWF France Pascal Canfin, organisé par l’ONG écologiste le 9 février 2017 (c’est-à-dire avant le SIA), que le candidat Macron a présenté pour la première fois son projet de Grenelle de l’alimentation. « Je lancerai dès mon arrivée un Grenelle de l’alimentation. Pourquoi ? Parce que je veux mettre autour de la table le monde agricole, les industries agroalimentaires, les associations de consommateurs, l’ensemble des ONG qui traitent de ce sujet et les professionnels de santé », avait-il annoncé, définissant clairement un périmètre bien plus large que celui d’un partage de la valeur entre acteurs économiques, tel que le présente aujourd’hui le ministre de l’agriculture Stéphane Travert.
A peine une semaine après cette intervention auprès du WWF, plus exactement le 17 février dernier, Nicolas Hulot a signé une tribune dans Libération, rebondissant à son tour sur l’idée du candidat Macron. « Nous avons besoin d’un Grenelle de l’alimentation », note l’écologiste le plus populaire de France qui milite depuis des années pour « sortir l’agriculture de son carcan sectoriel ». « Pesticides, circuits courts, agriculture biologique, bien-être animal, revenu, qualité de l’eau… autant de sujets qui doivent faire l’objet d’un débat », poursuit Nicolas Hulot qui souhaite reprendre la méthode du Grenelle de l’Environnement, « son prédécesseur issu du Pacte écologique ». « Le Grenelle de l’alimentation rassemblerait agriculteurs, consommateurs, citoyens, élus, distributeurs… Il nous permettrait, sur une période longue et définie, de partager le constat, de débattre des enjeux et de construire une vision. Plus qu’une somme de mesures, il s’agit d’établir un nouveau contrat social d’avenir. » Bref, ce serait « la première étape vers une démocratie alimentaire ».
En réalité, l’idée d’un Grenelle de l’alimentation n’a pas été élaborée par les brillants esprits du candidat Macron. Ni d’ailleurs par Nicolas Hulot, qui prétend avoir eu l’oreille de Macron à ce sujet. Formulée par le directeur général du WWF de l’époque, Serge Orru, dans une interview accordée à France Info, l’idée d’un Grenelle de l’alimentation date de juin 2012. « Je suis pour une grande négociation nationale issue d’états généraux pour tracer le sillon d’une agriculture heureuse dans notre pays », avait-il alors indiqué. « J’envisage des états généraux région par région, pour écouter les doléances des paysans, syndiqués ou pas, pour ensuite aboutir à un Grenelle agricole avec une représentation nationale, notamment parlementaire. (…) Bien sûr, nous souhaitons plus d’agriculture biologique, mais ça ne se fera pas en claquant des doigts. L’important est de se diriger vers une agriculture durable. (…) L’objectif de tout ceci est de discuter, de négocier, d’obtenir des compromis. En arrêtant la guerre de tranchée entre écolos et paysans. » Adepte de la politique des petits pas et fidèle à la méthode du WWF, Serge Orru proposait donc de prendre le temps pour réformer l’agriculture vers un modèle « durable ».
Nicolas Hulot ne s’est saisi de l’idée qu’en juin 2016, expliquant que l’une de ses premières mesures serait de « mettre en œuvre un Grenelle de l’agriculture ». « C’est un sujet important sur lequel on peut réunir les Français, car ça touche à l’alimentation, à l’économie, au social, à la santé, à l’environnement, au climat. »
Il n’est donc pas étonnant que dès l’annonce par le candidat Macron d’un Grenelle de l’alimentation au SIA, les alliés de Nicolas Hulot se soient félicités de cette initiative. Ainsi, dans un entretien accordé le 8 mai à L’Usine Nouvelle, Pascal Canfin déclare « retenir l’idée d’Emmanuel Macron d’un Grenelle de l’alimentation et de l’agriculture, qui répondrait bien à notre volonté de sortir d’un tête-à-tête entre le ministre de l’Agriculture et la FNSEA ». « Il faut oublier la logique où l’indicateur premier est le rendement, et donner la priorité à la valeur ajoutée avec une agriculture durable, bio, des certifications comme les labels. Avec de la qualité, on diminue la dépendance aux intrants (pesticides, nourriture animale importée du Brésil…) et on répond aussi aux attentes du consommateur », poursuit l’ancien ministre des gouvernements Ayrault 1 et 2. « L’arrivée de Christiane Lambert à la tête de la FNSEA pourrait être une opportunité de faire bouger les lignes », note le très habile directeur du WWF qui tente d’isoler la présidente de la FNSEA de « certains lobbys ». Plus clairement « celui de l’agrochimie, qui a structuré tout l’amont de la chaîne et prend progressivement à la gorge les agriculteurs ».
Une collaboration préparée de longue date
En fait, dès février 2017, les multiples passerelles entre Pascal Canfin, le WWF France, la Fondation Hulot et l’équipe du candidat Macron étaient déjà opérationnelles, le futur Président de la République ayant déjà donné des gages aux écologistes. « Nous avons besoin d’investir dans notre nouveau modèle de croissance et de production. Nous devons investir dans la transformation de notre agriculture », avait-il déclaré lors du Facebook Live avec le WWF. Le candidat avait clairement indiqué que, sous son mandat, l’interdiction des OGM serait « maintenue » : « Moi, je ne suis pas à l’aise avec le fait que toute la recherche quasiment, sur les OGM aujourd’hui, et ce qui en découle, soit dans les mains de Monsanto Bayer. Ça ne me va pas, je ne veux pas d’OGM dans mon pays. » Il s’est également engagé à ne pas revenir sur l’interdiction programmée des néonicotinoïdes pour 2020. Deux dossiers pourtant hautement sensibles dans le monde agricole.
Et ce n’est pas tout. Toujours au cours de son Live avec Pascal Canfin, Emmanuel Macron prend l’engagement de hisser à 50 % d’ici 2022 la partie des produits issus des filières bio ou des circuits courts consommée dans toutes les structures de restauration collective, cantines scolaires, restaurants d’entreprises, restaurants de ministères, hôpitaux… « J’inclus les circuits courts parce que les agriculteurs le veulent. » Davantage économiste qu’écologiste, le futur Président apprécie également la mission internationale de l’agriculture française. « Ça n’empêche pas de reconnaître qu’il y a une part de notre agriculture qui a une vocation à s’exporter, qu’il y a une industrie agroalimentaire qui est un de nos fleurons de compétitivité, et que je continuerai à développer. » Son plan d’investissement de 5 milliards d’euros consistera donc à « aider le monde agricole à monter en gamme », à réorganiser les filières, « en faisant pression sur les distributeurs pour que les organisations de producteurs puissent négocier le bon prix » et à accompagner cette transformation par une politique européenne. La réussite de son projet impose une politique innovante de modernisation de l’agriculture, tant dans sa restructuration – avec des regroupements d’exploitations – que dans les moyens techniques (semences de qualités, protections phyto adéquates, robotisation), afin de garantir la compétitivité des filières.
Or, cette ambition se trouve à l’opposé même du projet agricole de Nicolas Hulot. Inspiré par les thèses de Marc Dufumier, l’un des membres du Conseil scientifique de sa fondation, son programme agricole consiste précisément à abandonner progressivement toute vocation exportatrice de l’agriculture, mais aussi toutes les formes d’agriculture spécialisée. Professeur émérite à AgroParisTech, Marc Dufumier milite pour que la France soit « débarrassée de la production industrielle ». « Il faut valoriser la qualité à la quantité, revenir à une agriculture artisanale. Certes, le rendement va diminuer mais les agriculteurs auront plus de valeur ajoutée, et ce marché est rémunérateur », insiste l’ingénieur agronome à la retraite. « L’avenir, c’est la France des terroirs. Une agriculture plus artisanale, qui nécessite et crée du travail (…) Pas une agriculture biologique pour les bobos et les perturbateurs endocriniens pour les classes populaires ! » Pour ce faire, il propose une sorte de nationalisation de l’économie agricole en réorientant les filières vers la restauration collective. « En commençant par les écoles, collèges et lycées : l’alimentation doit y être bio (…) Les subventions de la PAC paieraient le surcoût, pas les parents. Pour les agriculteurs, il y aurait un prix rémunérateur par voie contractuelle. 1,6 milliard d’euros suffiraient pour les établissements scolaires et cantines d’entreprise, plus fréquentées par les ouvriers que par les cadres. ». Ensuite, l’Etat financerait les « démarches de progrès ». Ou plutôt tout ce qui tourne le dos à la modernité. Ainsi, l’agriculteur serait un joyeux paysagiste rémunéré pour ses services environnementaux. Une vision qui ne colle pas vraiment avec le projet de société que porte Emmanuel Macron.
Bien entendu, le discours de Nicolas Hulot – tout comme celui de Pascal Canfin – ne sera jamais aussi radical que celui d’un Marc Dufumier. Devant son Premier ministre Edouard Philippe, le ministre de la Transition Ecologique affirme même être « dans l’ère de la concertation ». « Les divergences que l’on voit ne sont pas si importantes que ça, en tout cas à ce stade, et je suis certain qu’on va trouver à un moment un point de rencontre », a-t-il déclaré lors de son premier déplacement avec le nouveau Premier ministre.
En réalité, l’idée d’un Grenelle de l’alimentation n’a pas été élaborée par les brillants esprits du candidat Macron. Ni d’ailleurs par Nicolas Hulot, qui prétend avoir eu l’oreille de Macron à ce sujet.
Pourtant, Nicolas Hulot souhaite « une transformation écologique profonde, sociétale ». Il compte pour cela sur l’étendue de ses réseaux, tant dans la société civile qu’au sein de l’administration. C’est notamment le cas avec l’ancienne cadre du WWF Diane Simiu, nommée conseillère « environnement » du Président de la République et du Premier ministre après neuf mois de services rendus au sein de l’équipe du candidat Macron. Pour sa part, Matthieu Orphelin, qui a occupé de 2012 à fin 2016 le poste de porte-parole de la Fondation Nicolas Hulot et a fait le lien entre l’équipe En Marche ! et l’ancien animateur de TF1, devrait apporter une aide précieuse à son mentor, qu’il gagne ou non son poste de député dans la 1ère circonscription du Maine-et-Loire. En parallèle, une véritable campagne a été lancée afin d’isoler le Président Macron des milieux économiques proches de l’agriculture, notamment Audrey Bourolleau, conseillère agricole du Président, accusée d’être « une ancienne lobbyiste de la filière viticole ».
La tenue des Etats généraux de l’alimentation sera donc incontestablement l’un des tests majeurs du gouvernement d’Edouard Philippe. Sans une vigilance totale et une fermeté décisive de la part du ministre de l’agriculture, le risque de voir l’agriculture devenir à nouveau victime de l’écologie radicale demeure réel. D’autant plus que les géants de la grande distribution – habitués à travailler avec les ONG comme le WWF et la Fondation Nicolas Hulot – ne pourront qu’apprécier de voir les Etats généraux se fourvoyer dans des considérations écolo-sociétales plutôt que de rester sur la question d’un partage équilibré de la valeur ajoutée ; un sujet sensible qu’ils ont toujours réussi à faire échouer. Si tel est le cas, Nicolas Hulot aura encore une fois servi d’idiot utile pour les grandes multinationales…