Tous les sondages d’opinion le confirment : les produits made in France ont la cote chez les consommateurs. Selon Pascale Hebel, directrice du département consommation au Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc), 75% des Français se disent désormais motivés par l’achat de produits estampillés « made in France ». L’intérêt que manifestent les consommateurs à l’égard de ce label a progressé de 7 points entre 2008 et 2016, avec une croissance particulièrement forte chez les plus jeunes (+10 points parmi les 18-24 ans, +15 points parmi les 25-34 ans).
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Une aubaine pour le monde agricole
C’est plutôt une bonne nouvelle pour le monde agricole, les produits alimentaires étant mentionnés en premier lieu par 55% des sondés, loin devant les 17% pour l’automobile et les 12% pour l’habillement. « L’alimentaire est plus souvent cité, quel que soit le revenu, l’âge, ou la catégorie socio-professionnelle de la personne interrogée », confirme Émilie Daudey dans son rapport « L’attachement des Français au Made in France », paru en novembre 2014. Cette loyauté n’est pas le fruit du hasard, mais correspond à une augmentation du « bruit médiatique » autour du made in France. Un bruit qui doit beaucoup au manifeste de l’ancien ministre du Redressement productif Arnaud Montebourg : La Bataille du Made in France (Flammarion, 2013).
À l’époque, plus de 3000 articles de presse avaient été recensés, contre seulement une centaine dix ans plus tôt. Depuis, d’autres ont endossé le costume d’avocat du patriotisme économique, comme en témoigne la communication des grandes enseignes de l’agro-alimentaire. Au Salon de l’Agriculture 2017, même l’Allemand Lidl affichait son attachement soudain aux produits français ! Quant à l’Américain McDonald’s, il communique désormais sur ses « nuggets fabriqués exclusivement à partir de poulets français ».
Une fraude tendance
Sauf qu’il ne faudrait pas que le doute s’installe sur ces labels d’origine. Or, qui dit opportunité marketing dit également tentation de fraude. « Importer de la matière première agricole à bas coût, lui coller une origine bleu, blanc, rouge fallacieuse, et la revendre en faisant une belle culbute : la fraude à la francisation s’avère bien tendance », met en garde la revue 60 Millions de consommateurs dans son numéro de mai 2017. Si les origines frauduleuses du miel– qui concernent un pot de miel sur trois selon les estimations d’experts – ont largement été documentées, d’autres filières sont désormais touchées par ce fléau.
C’est notamment le cas des fruits et légumes. Selon la Répression des fraudes (DGCCRF), sur les 8600 points de ventes inspectés en 2015, un sur cinq était en infraction pour l’origine des produits ! Les méfaits sont divers, allant du simple drapeau français planté sur des melons venus d’Afrique aux cas bien plus sérieux qui se terminent devant les tribunaux. Accusé d’avoir écoulé 40 tonnes de fruits espagnols « francisés », un marchand ambulant de fruits et légumes a ainsi comparu devant le tribunal correctionnel du Puy-en-Velay en janvier dernier. Ses produits (principalement des pêches et des nectarines) étaient vendus sur les marchés auvergnats, c’est-à-dire en dehors des filières organisées. La montée en puissance de la vente en direct, largement moins contrôlée que les filières longues, est propice à ce genre de pratiques, qui permettent en outre de s’affranchir des contraintes fiscales diverses…
Une autre affaire a été jugée en juillet 2016. Elle concerne 120 tonnes d’olives espagnoles transformées par neuf moulins de Provence en huile d’appellation d’origine protégée. Profitant d’une campagne catastrophique pour le secteur en raison de l’incapacité des producteurs à se défendre contre les ravages de la mouche de l’olive, un homme d’une quarantaine d’années, établi à Mouriès, importait des olives d’Andalousie via un complice tarasconnais ayant des contacts en Espagne. Une fraude aisée à réaliser du fait que l’origine géographique de certaines variétés d’olive est difficilement différenciable de celle de variétés françaises (comme par exemple la picholine espagnole). En manque de matière première, « les mouliniers ont certainement préféré fermer les yeux sur la provenance des olives. […] Cela arrangeait tout le monde », a confié un enquêteur au quotidien La Provence.
Pour le président de l’Afidol (Association française interprofessionnelle de l’olive), Olivier Nasles, cette fraude concerne « seulement » 7 ou 8% du volume total d’huile vendu en France. Certes. Mais c’est déjà suffisant pour causer un véritable préjudice à la filière. D’autant plus que dès 2015, la DGCCRF avait lourdement épinglé le secteur des huiles d’olive, estimé « propice aux pratiques commerciales trompeuses », avec quatre bouteilles sur dix présentant des anomalies, « essentiellement une tromperie sur l’origine des olives ».
Des ravages dans le vin
Ce type de fraudes fait également des ravages dans le secteur viticole, « où les affaires de vrais-faux vins français se multiplient ». La revue 60 Millions de consommateurs rappelle l’affaire d’un « prestigieux domaine » de la région de Narbonne (Aude), soupçonné d’avoir introduit plus de 25 000 hectolitres de vins espagnols au cours des trois dernières années, et de les avoir revendus en vrac comme vins français. « Une opération ultra-rentable : le vin espagnol bas de gamme se négocie en vrac actuellement à 0,35 euro le litre, alors que le tricolore se vend entre 0,75 et 0,90 euro. » Alertés fin 2015 par les organisations professionnelles, les pouvoirs publics ont effectué en 2016 un total de 186 contrôles auprès de 157 établissements, relevant un taux de non-conformité de 15%.
Dans le secteur viticole, il existe toutefois une forme plus sournoise de « francisation », qui ne relève pas directement de la DGCCRF. Il s’agit des étiquettes « équivoques », qui concernent en priorité les vins vendus en vrac sous forme de fontaines à vin (les fameux bag-in-box, ou bib). Ainsi, dans les rayons de certaines grandes enseignes (notamment Auchan, E.Leclerc ou Carrefour), des vins espagnols se retrouvent sous des noms aux accents peu ibériques, comme Celliers du Mazet, Adrien Champaud ou Baron de Vairac. « Certains vins de marques de distributeurs vendus en bib ont discrètement changé de provenance depuis quelques années », relate le mensuel des consommateurs. C’est le cas de l’appellation Les Cépages de Carion (chez E.Leclerc), un vin d’origine espagnole rangé juste à côté du Vieux Carion sélection cépages, qui est, lui, bien français. « Les deux portent un packaging similaire, avec une différence de prix de 20 % », poursuit le mensuel.
Cautionnées par la grande distribution, ces pratiques sont inacceptables car la confiance des consommateurs ne pourra être conservée que si ces étiquettes « équivoques » disparaissent des étals et si le made in France reste une désignation irréprochable. La vigilance s’impose donc, tant de la part des pouvoirs publics que des lières.
Sources
– www.credoc.fr/pdf/Rapp/R315.pdf
– Made in France ? On voudrait y croire ; 60 Millions de consmmaterus, mai 2017.
– Voir à ce sujet l’article Fraude et crise sanitaire : les deux éaux de l’apiculture française, A&E, janvier 2017.
– Arles : 120 tonnes d’olives espagnoles cachées dans l’huile provençale, La Provence, 28 juillet 2016.
– Le contrôle des huiles d’olive, 29 janvier 2015, DGCCRF.