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Bel exemple de « cherry picking » dans Le Monde

A l’instar des « marronniers » médiatiques sur le marché de l’immobilier, le palmarès des meilleures écoles ou le classement des pires hôpitaux, les prétendus bénéfices pour la santé des produits issus de l’agriculture biologique font désormais régulièrement la une de la presse. Le lobby du biobusiness ne va certainement pas s’en plaindre, ni les lecteurs écolo-bobos déjà largement convaincus qu’ils vont préserver leur santé en déboursant des euros supplémentaires dans les magasins aux enseignes vertes. Comme acheter bio ne fait pas vraiment du bien au portefeuille, mieux vaut en effet croire aux vertus sanitaires de ces produits si extraordinaires.

Une méta-analyse légèrement orientée

C’est précisément ce que suggère un article du Monde signé Audrey Garric, concernant une méta-analyse publiée le 27 octobre 2017 dans la revue Environmental Health. Rédigé avec une relative prudence, l’article fait adroitement passer le message selon lequel le bio serait meilleur pour la santé. Certes, ces conclusions sont relativisées par les propos d’Emmanuelle Kesse-Guyot, directrice de recherche à l’INRA (Inserm/INRA/CNAM/université Paris-XIII) et l’un des auteurs de l’étude. La spécialiste en épidémiologie nutritionnelle rappelle que « la plupart des travaux sur les impacts de la consommation ne différencient pas l’agriculture conventionnelle de celle biologique ». Quant à la métaanalyse, elle prévient que ces conclusions « doivent être prises avec précaution dans la mesure où les consommateurs de bio tendent, de manière générale, à avoir une alimentation plus équilibrée, ainsi qu’une hygiène de vie plus saine ».

N’en déplaise aux adeptes des produits bio, cette publication ne révèle rien de nouveau. Elle est simplement tirée d’un rapport remis au Parlement européen en décembre 2016, qui procède à l’analyse d’environ 280 études internationales, certaines ayant été rédigées il y a de nombreuses années. Or, aucune d’entre elles n’est conclusive sur les bienfaits du bio. Celles qu’invoque Audrey Garric, censées pourtant apporter de l’eau à son moulin, pas davantage que les autres.

Une vieille étude recyclée

« Au Royaume-Uni, une étude portant sur 620000 femmes d’âge moyen suivies pendant neuf ans a montré une diminution de 21% du risque de développer un lymphome non hodgkinien – un cancer du sang rare – chez les participantes qui mangeaient fréquemment ou toujours des produits bio, comparé à celles qui n’en consommaient jamais », relate ainsi la journaliste.

Comme le note le site Forum-Phyto, « il peut paraître surprenant que ce résultat, déjà relativement ancien, n’ait pas été plus médiatisé à l’époque ». La lecture de la publication originale de 2014 permet de mieux comprendre cette absence de médiatisation. Les auteurs n’ont tout simplement rien trouvé de significatif. Ou plutôt, s’ils ont en effet observé un risque relatif légèrement plus important de lymphomes non hodgkinien (LNH) chez les femmes n’ayant jamais consommé de produits bio, ils ont toutefois observé un risque encore plus important de développer trois autres types de cancers (sein, utérus et cerveau) chez les consommatrices régulières de bio ! C’est-à-dire une relation statistiquement positive, bien que faiblement significative, entre cancers et consommation de bio. Ne pouvant déduire que la consommation d’aliments bio provoquerait ce léger excès de cancer, les auteurs évoquent d’autres facteurs non alimentaires. D’où leur conclusion très prudente: « En résumé, nous n’avons trouvé aucune réduction du risque de cancer chez les femmes qui consomment habituellement ou de manière systématique des aliments issus de l’agriculture biologique. » La journaliste n’ayant jugé digne d’intérêt que le passage évoquant une réduction du risque de LNH pour les consommateurs d’aliments bio, les lecteurs du quotidien du soir ont ainsi été privés d’une conclusion qui apporte pourtant un éclairage bien différent.

 En rhétorique, cette pratique consistant à ne sélectionner que les données ou faits favorables à la thèse de l’auteur en omettant les éléments contradictoires porte le nom de «cherry picking» («cueillette de cerises»). « Certains se contentent d’oublier les publications gênantes (ou, plus souvent, de trouver une bonne raison pour ne pas les retenir). Cette fois, nos méta-analystes ont carrément fait leurs courses parmi les différents résultats d’une même étude», ironise ForumPhyto. A la décharge de la journaliste, il faut admettre que dès la méta-analyse, l’étude britannique était exclusivement citée pour le résultat obtenu sur les LNH. Mais rien n’empêchait Audrey Garric d’aller investiguer les sources…

Régression du QI, vraiment ?

La seconde partie de l’article concerne la perte supposée de QI (quotient intellectuel). D’après Audrey Garric, cette régression de l’intelligence représenterait 13 millions de points de QI à l’échelle européenne, soit « une valeur de 125 milliards d’euros ». Cette fois encore, il s’agit de chiffres alarmistes extraits d’une ancienne étude qui ne repose sur aucune réalité. Une rapide vérification aurait permis à la journaliste de se rendre compte qu’à l’époque, il s’agissait pour l’auteur Martine Bellanger de « lancer un avertissement avant que les perturbateurs endocriniens ne fassent plus de ravages ». Ses résultats avaient déjà été vivement contestés par ses pairs. Notamment la valeur du point de QI qui varie de 7529 euros pour un Bulgare à 20220 euros pour un Danois, mais aussi le prétendu lien entre pesticides – principalement les organophosphorés – et perte supposée de QI. Cette hypothétique corrélation a été démentie par l’étude de l’équipe de Chloé Cartier, de l’Université de Rennes, qui concerne le suivi de 3421mères enceintes domiciliées en Bretagne entre mai 2002 et février 2006. Les conclusions de ces travaux sont sans équivoque : « Nous n’avons pas observé de corrélations entre les biomarqueurs relatifs aux expositions prénatales aux organophosphorés et les résultats des tests d’évaluation cognitive réalisés chez des enfants âgés de six ans, excepté pour l’exposition au DE (métabolites du diethylphosphate), qui est apparu être associé à une meilleure compréhension verbale »

Dans la précipitation induite par une mise en ligne de l’article à 2 heures du matin, Audrey Garric s’est contentée en définitive d’un traitement très sommaire de l’étude. Dommage car le sujet méritait mieux…

Sources :
– « Organic food consumption and the incidence of cancer in a large prospective study of women in the United Kingdom », British Journal of Cancer, 29 avril 2014.
–  Voir à ce sujet l’article « Un curieux calcul à 157 milliards de dollars », paru dans A&E de juillet-août 2016.
Pour aller plus loin :
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