Depuis septembre 2012, date de sa très médiatisée étude sur le maïs OGM NK603, le biologiste Gilles-Eric Séralini ne chôme pas.
Rejetée par la quasi totalité de la communauté scientifique, son étude censée démontrer le caractère cancérigène des OGM et qui fut alors caractérisée de «médiocre » par le journaliste Sylvestre Huet, président de l’association des journalistes scientifiques de la presse d’information (AJSPI), a durablement entaché la crédibilité de ses travaux. Ceux-ci font depuis très difficilement la une des médias. Pourtant, grâce à la publication de son dernier opus, intitulé Le goût des pesticides dans le vin, Gilles-Eric Séralini refait surface, accompagné de son fidèle ami Jérôme Douzelet, chef cuisinier et également propriétaire du Mas de Rivet, un hôtel restaurant « Nature et Bio » situé non loin de Barjac, dans le Gard.
Le petit business des formations écolos
C’est d’ailleurs dans ce lieu au demeurant fort sympathique que le duo Séralini-Douzelet organise chaque année des stages de formation « remboursables à 1 300 euros par personne, séjour et repas compris » sur des sujets aussi variés que les OGM, les perturbateurs endocriniens, les pesticides, ou encore les programmes de détoxification.
Organisés à l’origine par le CRIIGEN, l’association anti-OGM de l’avocate Corinne Lepage, ces séminaires sont désormais encadrés par une petite association baptisée Spark Vie. Fondée le 13 avril 2015 par son président Jérôme Douzelet, en présence de sa secrétaire générale Louisa Douzelet, de son trésorier Patrick Douzelet et de deux « membres témoins », Jacqueline Douzelet et Gilles-Eric Séralini, son objet consiste à « développer de l’information sur les ressources alimentaires, la cuisine et la qualité de l’environnement, de l’écosystème, et de la santé des organismes ». Autrement dit, un objet suffisamment vaste pour organiser des « séminaires, conférences, livres, ou informations sur tout autre support ».
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A la fois hôtes et organisateurs, Séralini et Douzelet assurent également l’animation des stages grâce à leurs rôles d’orateurs, certes aux côtés d’autres conférenciers systématiquement choisis parmi les incontournables de la lutte anti-pesticides, comme François Veillerette, le patron de Générations Futures, l’association de promotion de l’agriculture bio. Bref, tout cela ressemble bien à un petit business entre amis.
Consacré à la détoxification, le séminaire de juin 2018 sera pour sa part animé par Romain Leclere et Claire Laurant-Berthoud, deux responsables de la société Sevene (ex-Sevene Pharma) et par ailleurs sympathisants de la sulfureuse association Invitation à la Vie (IVI), qui commercialise de surprenantes mixtures capables « d’éliminer de l’organisme les toxines qui s’y sont accumulées ». Leur produit phare – le Digeodren – apporterait une défense cellulaire face au redoutable Roundup de Monsanto, affirme sans le moindre sourire Geoffroy Waroqueaux, le directeur général de Sevene. « Une étude démontre l’efficacité de Digeodren contre la mort cellulaire entraînée par le Roundup, le désherbant le plus vendu», note le cadre de Sevene, qui s’appuie sur une étude publiée en 2016 et réalisée sous la direction… du professeur Séralini ! De quoi s’assurer une belle caution dans le monde très curieux des adeptes des médecines alternatives et des solutions miracles de détoxication, qui souhaitent éradiquer tous ces dangereux pesticides.
D’ailleurs, inutile de commander les analyses d’un laboratoire spécialisé pour découvrir leur omniprésence dans les aliments, il suffit d’avoir le «nez» d’un Jérôme Douzelet pour immédiatement distinguer leurs « trames aromatiques ». « Le fenhexamid développe un fort goût de bonbons acidulés chimiques du type fraise Tagada. On va retrouver cet arôme en première bouche dans le vin qui a été cultivé en conventionnel à renfort de ce fongicid », rapporte le chef cuisinier dans une vidéo très condentielle postée en mai 2016.
« Le glyphosate vous bloque les papilles et vous brûle de façon persistante la bouche », constate Jérôme Douzelet qui dit l’avoir « testé sur des doses montantes » pour au final avoir eu «la bouche brûlée pendant trois semaines ». Bref, un vrai héros !
Un atelier sur le thème du goût des pesticides est d’ailleurs au programme des trois séminaires de l’année 2018. Les participants pourront ainsi découvrir « comment les pesticides détruisent l’action des arômes » mais aussi comment certains d’entre eux provoquent « la barre au front qui arrive tout de suite, quasiment dès l’ingestion ». Ils apprécieront les goûts « de bonbons chimiques grossiers ». « Il y en a pour tous les goûts », ironise Jérôme Douzelet, désormais considéré comme l’un des plus grands « nez » des pesticides. « Le glyphosate vous bloque les papilles et vous brûle de façon persistante la bouche », constate ainsi Douzelet qui dit l’avoir « testé sur des doses montantes» pour au final avoir eu « la bouche brûlée pendant trois semaines ». Bref, un vrai héros !
Détecter par le goût les pesticides présents dans l’alimentation, tel est donc le sujet du dernier ouvrage du duo Séralini-Douzelet. D’où leur invitation au Magazine de la santé de France 5, le lundi 12 mars 2018, animé par Marina Carrère d’Encausse et Régis Boxelé qui se sont volontiers prêtés à l’exercice. Après avoir senti du Roundup, ils ont goûté deux verres d’eau, l’un «pur [sic]», et l’autre contenant 10 à 15 microgrammes par litre de Roundup, c’est-à-dire « aux doses où on les trouve dans le vin ».
L’expérience ratée de Séralini
Or, le simple fait d’avoir fait sentir l’odeur recherchée avant dégustation – et d’en avoir donné la description précise – rend l’expérience totalement biaisée. Et pourtant cette expérience vécue en direct s’est avérée un total fiasco, Marina Carrère d’Encausse n’ayant pas été en mesure d’identifier le bon verre.
« Pour moi ce n’est pas du tout évident », a-t-elle admis, bien que, statistiquement elle avait une chance sur deux de tomber juste (un verre sur deux). En réalité, sa réaction n’est pas très surprenante au regard des quantités de Roundup diluées. En effet, qui peut raisonnablement croire que même un palais aussi affiné que celui des meilleurs nez pourrait retrouver l’arôme d’une dizaine de cuillères à café de pastis mélangées à la totalité de l’eau contenue dans une piscine olympique ! Le petit trouble sur le plateau provoqué par Marina Carrère d’Encausse exigeait donc une précision, que Jérôme Douzelet s’est empressé de fournir: « Il y a aussi un “effet retard” sur ces pesticides, c’est-à-dire que ça va vous bloquer les papilles de manière un peu durable, mais si vous avez commencé par l’eau, c’est normal que vous ayez eu plus de peine à les détecter ensuite [sic].» Pas certain que les deux animateurs aient réellement saisi toute la subtilité des propos du chef cuisinier…
Une simple lecture du livre aurait pourtant suffi pour comprendre le manque évident de rigueur des deux auteurs, qui ne sont visiblement pas de grands spécialistes dès lors qu’il s’agit de viticulture, voire même de chimie élémentaire. « Un arôme a dans sa structure chimique un ou des cycles aromatiques, comme souvent les pesticides. Le nom de “cycle aromatique” vient d’une forme bien caractéristique de six atomes de carbone qui se tiennent entre eux en une ronde hexagonale. » Vraiment ? Comme le note l’œnologue André Fuster sur son blog Vitinéraires, « il n’y a pas de “cycle aromatique” dans les “molécules aromatiques” suivantes : acétate d’isoamyle (banane/bonbon anglais), butyrate d’éthyle, butyrate d’amyle, acétate d’hexényle, décadiénoate d’éthyle, géraniol, nérol ». Même topo du côté des pesticides. « On cherchera en vain les six atomes de carbone annoncés parmi les néonicotinoïdes dont, par exemple, le thiaméthoxame ou l’imidaclopride », ironise l’œnologue.
Même désastre du côté des connaissances œnologiques de nos deux « experts », qui affirment que lorsque les petites bactéries lactiques sont trop nombreuses, « il vaut mieux remettre du soufre comme antioxydant et stabilisant afin de stabiliser le vin ». Mise au point d’André Fuster qui, en revanche, connaît bien son métier : « L’ajout de SO2 en vue de la stabilisation microbiologique n’a rien à voir avec des populations de bactéries lactiques trop importantes mais, au contraire, avec des populations trop faibles qui laissent la place libre à des contaminants. » « C’est l’une des notions de base de l’écologie et/ ou de la bioprotection dont l’un des buts est justement d’éviter de recourir au SO2 », rappelle l’œnologue qui regrette « que nos amis qui rejettent le jargon scienti que rejettent aussi, de toute évidence, les bases de ce dont ils prétendent parler ». Une habitude chez Séralini, semble-t-il… Enfin, André Fuster s’étonne de l’assourdissant silence concernant les arômes désagréables apportés par le pesticide le plus répandu dans le vin bio, à savoir le cuivre: « Présent dans tous les vins, il est la clef de bien des problèmes d’oxydoréduction qui influent directement sur les arômes du vin.» « Pas un mot à ce sujet dans le bouquin en question. Pas un », déplore l’œnologue. Et pour cause…
Tromperie sur le bio
Retour à l’émission de France 5. Interrogé par Marina Carrère d’Encausse sur les vins bio « qui ne sont pas une garantie du sans pesticides », Gilles-Eric Séralini n’hésite pas à se lancer dans une apologie aussi excessive que trompeuse, affirmant une série de contre-vérités sur une chaîne publique sans avoir
la moindre contradiction. « Les vins bio se sont développés mais n’ont pas utilisé de pesticides », martèle un Séralini droit dans ses bottes. Rassurant, il poursuit son éloge affirmant que « l’écosystème va davantage les détruire où les empêcher d’être actifs [sic !] », et donc que « les vins bio n’en contiennent pas, ainsi que les vins biodynamiques et les vins natures.» Encore une affimation erronée, comme en témoigne une étude réalisée par l’UFC-Que Choisir qui a révélé que sur tous les 92 vins testés, bio ou pas, on retrouvait des traces de pesticides.
Mais Séralini pouvait-il raisonnablement tenir des propos moins élogieux à propos des vins bio, quand on sait que les deux sponsors de ses travaux sont deux mastodontes du biobusiness : Biocoop et Léa Nature ?
Le goût des pesticides dans le vin,
G-E. Séralini & J. Douzelet
Editions Actes Sud,
janvier 2018.