Frédéric Denhez est plutôt multifonctions. A la fois chroniqueur pour France Inter et Ushuaïa TV, journaliste et conférencier, écrivain et animateur, cet ingénieur de l’environnement est aussi militant écologiste dans l’âme. Il s’est donc intéressé à l’agriculture biologique pour devenir l’un de ses meilleurs avocats.
Dans son dernier livre, Le Bio, au risque de se perdre, il prend ainsi la défense de la Bio. « Il faut se battre pour le bio, mais du bio frais, local, de qualité, cuisiné chez soi…», martèle Frédéric Denhez en guise d’introduction. Certes, le procès qui oppose « la Bio »et« le bio » a déjà fait l’objet d’un ouvrage, rédigé par le patron de la chaîne de distribution Biocoop, Claude Gruffat. Mais cette fois-ci, l’auteur va plus loin, au risque de jeter quelques pavés dans la mare du merveilleux monde du bio. « Le bio des grands magasins, acheté à l’étranger pour faire du flux et tenir les marges n’est pas la Bio. Il a voyagé alors qu’il n’aurait pas dû », déplore Frédéric Denhez. Il poursuit : « Certes, il a été cultivé sans produits chimiques [sic], mais dans des pays où les contrôles ne sont pas toujours fréquents, et rarement inopinés (…) Ce bio “low cost”, tel que l’a dénoncé avec un énorme succès d’audience Eric Wastiaux dans son documentaire [La Face cachée du bio “low cost”], ne vaut pas le prix de son emballage »!
L’auteur déplore que ces produits bio réduits à l’état de marque rassurante ne véhiculent pas les valeurs de « la Bio », qui sont fondamentalement contradictoires avec les usages de la grande distribution. Le nouveau marché du bio ne serait en fait rien d’autre qu’« un élixir pour retenir la clientèle ». Pourquoi acheter des oignons bio de Nouvelle-Zélande alors qu’il en pousse en France ? « Quel est le coût social des paniers de tomates bio cueillies en Espagne ? Mesure-t-on l’état des sols des immenses champs de blé bio d’Ukraine ? Quelles sont les conditions d’élevage des vaches en Pologne dont le lait en poudre sert à la fabrication de yaourts bio ? », se demande Frédéric Denhez. Bref, le bon bio, c’est « la Bio » française ! Drôle de vision du monde, au demeurant assez réactionnaire, où seule la production bio française serait dépourvue de tout reproche…
Mais Denhez va encore plus loin. Selon lui, « la Bio », « c’est une écologie, c’est-à-dire un socialisme », « un projet politique », « une philosophie qui n’est pas un militantisme passéiste, ni une idolâtrie ésotérique, mais une culture du bon sens et de la raison ». On aimerait en savoir plus sur ce « bon sens », car en réalité, Frédéric Denhez donne plutôt l’impression de défendre une nostalgie enfouie dans son monde imaginaire : « On ne part plus faire ses courses avec une recette en tête, mais on fait avec ce qu’on trouve, au marché comme dans son frigo. » Autrement dit, la soumission totale à ce que veut bien nous donner Mère Nature.
Frédéric Denhez n’ignore pas le côté pétainiste de l’agriculture biologique, lorsque ce mode de production était défendu par cette « belle bande de copains » que formaient alors Henry-Charles Geffroy, admirateur de l’eugéniste Alexis Carrel, et son ami antisémite Henry Coston, ou encore Raoul Lemaire, coéquipier politique de Pierre Poujade. « La Bio, qui ne disait pas encore son nom, se développe ensuite en s’émancipant très lentement, trop lentement, de ses origines fascistes », affirme Denhez.
Or, son éloge à « la Bio » – à la fois socialiste et réactionnaire – ressemble bien à s’y méprendre à ce « retour à la terre, à la glorification du geste paysan », à cette opposition aux produits chimiques et à la mondialisation que portaient alors les fameuses Chemises vertes fondées entre les deux guerres par Henri Dorgères, et qui sont « logiquement tombées dans le képi du maréchal Pétain ». Vous avez dit : émancipation ? Pas si sûr…