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L’OPECST et la controverse sur le glyphosate

Le 16 mai 2019, l’Office parlementaire pour l’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) a présenté un rapport intitulé Évaluation des risques sanitaires et environnementaux par les agences : trouver le chemin de la confiance.

Le cas spécifique du glyphosate y fait l’objet d’un examen particulier, en raison de son retentissement médiatique, suite aux divergences d’avis entre le CIRC et les autres organismes qui se sont exprimés sur ce sujet, notamment l’Efsa (Autorité européenne de sécurité des aliments).

Philippe Stoop, membre d’Académie de l’Agriculture de France et directeur Recherche et Innovation de la société ITK, nous apporte son expertise.

Rapport OPECST permet-il de voir plus clair dans la controverse qui oppose le CIRC aux autres agences sanitaires ?

Pas vraiment, hélas ! L’OPECST analyse bien les différences de méthode entre le CIRC et l’Efsa, mais sans se prononcer sur le fond. Comme l’ont déjà fait beaucoup de commentateurs, il laisse sous-entendre que l’avis du CIRC (qui a classé le glyphosate comme cancérogène probable) n’est pas forcément contradictoire avec celui des autres agences, sous prétexte que celui-ci se prononcerait sur le danger et les autres agences sur le risque. C’est bien sûr totalement faux pour les agences européennes, dont les avis sont soumis au règlement européen 1107/2009, qui interdit l’homologation de pesticides classés comme cancérogènes probables selon la classification européenne définie par l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA).

Si l’Efsa et l’Anses n’ont pas interdit le glyphosate, cela signifie donc qu’elles considèrent qu’il n’est pas « cancérogène probable ». Même si, officiellement, le CIRC ne se prononce que sur le danger, son avis implique d’ailleurs forcément qu’il considère qu’il y a bien un risque probable chez les utilisateurs puisqu’il s’appuie, entre autres, sur des études épidémiologiques réalisées chez des agriculteurs.

Il y a donc bel et bien une contradiction qui mériterait une clarification, afin de permettre aux citoyens de s’y retrouver. Malheureusement, l’OPECST élude cette question en produisant une analyse très bienveillante vis-à-vis du CIRC, avec, de surcroît, quelques approximations surprenantes.

Lesquelles ?

Le rapport cite par exemple les fameux « Monsanto Papers » comme argument pouvant être utilisé à charge contre les agences sanitaires. Or, nulle part il n’est précisé par les auteurs que ces « Papers » ne révèlent aucune irrégularité concernant les publications utilisées par les agences.

À lire aussi : les fichiers « Monsanto Paper » : un vrai-faux coupable

De fait, les pratiques litigieuses citées ne concernent que la  communication, qui ne fait pas partie du processus réglementaire. Contrairement aux amalgames qui ont été faits par la presse, sous l’influence du Monde qui a eu la primeur de ces documents pour la France, ces « Papers » ne mettent effectivement en cause que les pratiques de communication de Monsanto, pas le travail des agences. Il est donc regrettable que l’OPECST entretienne cette confusion créée par les médias.

Ensuite, le premier chapitre du rapport se clôt par un récapitulatif des différences méthodologiques pouvant expliquer les divergences d’interprétation entre le CIRC et l’Efsa. Cet inventaire est très exhaustif, mais pas du tout hiérarchisé, d’où l’impossibilité pour les lecteurs non initiés de saisir les questions vraiment importantes.

Contrairement aux amalgames qui ont été faits par la presse, sous l’influence du Monde, les «Monsanto Papers» ne mettent effectivement en cause que les pratiques de communication de Monsanto, pas le travail des agences.

Enfin, les divergences essentielles entre le CIRC et les agences portent principalement sur la sélection de travaux scientifiques jugés suffisamment fiables. Or, sur ce thème, l’analyse de l’OPECST est pour le moins surprenante : le rapport commence en effet par affirmer que, contrairement au CIRC, l’Efsa (et les autres agences) ne prennent en compte que les expérimentations de laboratoire agréées BPL (Bonnes Pratiques de Laboratoire). Ce qui est faux car, tout comme le CIRC, l’Efsa prend en compte les expérimentations issues de la recherche publique, qui n’ont généralement pas l’agrément BPL.

Plus avant, il considère que l’Efsa « accorde une plus grande importance (…) aux études réalisées conformément aux lignes directrices de l’OCDE ». C’est indéniable, ces lignes directrices définissant effectivement des normes de qualité minimales pour les expérimentations réglementées. Mais cela constitue surtout une façon indirecte de reconnaître que l’avis du CIRC reposait, contre tous les usages de l’expertise, sur des expériences non conformes à ces lignes directrices ! Finalement, l’OPECST conclut que « l’Efsa semble exiger des éléments de preuve plus lourds que le CIRC pour conclure à l’existence d’un lien significatif entre cancer et glyphosate, ce qui peut expliquer deux évaluations dont les conclusions ne vont pas dans le même sens ». Cet avis subjectif, sans fondement scientifique, est d’autant plus inattendu que l’historique des divergences entre le CIRC et l’Efsa démontre précisément le contraire. En effet, l’OPECST rappelle lui-même que sur les 25 molécules pour lesquelles les classifications de l’Efsa et du CIRC divergent, l’Efsa a proposé le classement le plus strict dans 14 cas contre 11.

Cette façon d’opposer la recherche d’éléments de preuve solides à la détection des « signaux faibles » donne l’impression que les agences sanitaires sont, certes, plus rigoureuses que le CIRC, mais par-là même qu’elles sont susceptibles de laisser échapper des dangers difficiles à détecter. Or, tel n’est pas du tout le cas, bien au contraire!

En termes scientifiques, la capacité à détecter des signaux faibles est déterminée par la puissance statistique du protocole expérimental employé. Et les lignes directrices de l’OCDE ont justement pour but de garantir, entre autres, une bonne puissance statistique dans les expérimentations réglementées. Il est donc surprenant que l’OPECST puisse considérer comme facultatif le respect de ces deux garde-fous, et il est en tout cas faux de penser que s’en affranchir réduise le risque d’ignorer un danger réel.

Une application différente des lignes directrices de l’OCDE a été invoquée pour expliquer les divergences entre l’avis du CIRC et celui des agences ?

En effet, ce sujet a été au cœur de la polémique sur le glyphosate. L’ECHA a rappelé que les expérimentations sur l’animal évoquées par le CIRC n’étaient pas conformes à ces recommandations. Elle lui reproche ainsi d’avoir retenu des effets cancérogènes observés à des concentrations supérieures à la MTD (Maximum Tolerable Dose). En clair, cela signifie que les animaux ont été exposés à des doses de glyphosate tellement massives que sa toxicité à court et à long terme – pourtant faible – ne permet pas d’obtenir des comparaisons fiables entre les animaux exposés et la population témoin.

Difficilement réfutable, un tel argument suffit à lui seul à empêcher la classification comme cancérogène probable, car, en l’absence de ces publications non conformes, le CIRC n’aurait plus les « preuves suffisantes sur l’animal » requises. Et sans compter le fait que les résultats épidémiologiques retenus par le CIRC sur la liaison entre exposition au glyphosate et lymphome non hodgkinien sont eux aussi très fragiles.

Mais est-ce vraiment le rôle de l’OPECST de trancher entre les avis des agences ?

Non, bien sûr, car cela constituerait une ingérence dans le travail des scientifiques. Toutefois, celui-ci aurait au moins pu se prononcer sur le niveau minimal de qualité des travaux scientifiques dignes d’être pris en compte dans les travaux des expertises des agences. Or, non seulement il ne l’a pas fait, mais il a même suscité un nouveau débat en ne voyant aucun inconvénient à ce que le CIRC se soit appuyé sur des publications scientifiques non conformes aux lignes directrices de l’OCDE. Des éclaircissements sur cette question délicate sembleraient pourtant nécessaires, de façon à éviter de futures polémiques sur les critères d’élimination des publications scientifiques examinées par les agences. En outre, puisqu’il constate que les divergences entre le CIRC et l’Efsa sont récurrentes, l’OPECST aurait pu demander aux deux agences de produire une note commune expliquant les raisons de leurs divergences et indiquant les données supplémentaires qu’il serait nécessaire de prendre en compte pour trancher leur différend.

Enfin de compte, ce rapport va-t-il vraiment permettre de rétablir la confiance dans les agences sanitaires ?

C’est loin d’être sûr ! Il risque même de produire l’effet inverse, car il n’a analysé que le fonctionnement des agences, en se contentant de formuler des propositions d’amélioration pour celles-ci.

Or, la principale cause de doute des citoyens envers les évaluations des agences provient de la médiatisation, souvent prématurée, de publications scientifiques qui semblent contredire les avis des agences, ou démontrer des risques qui leur auraient échappé. Pourtant, de nombreux chercheurs s’inquiètent aujourd’hui de la « crise de répétabilité » que connaît la recherche, c’est-à-dire du fait que beaucoup de publications scientifiques, même dans les revues dotées d’un comité de lecture, se révèlent non répétables et par conséquent non fiables.

Ce problème touche en particulier l’épidémiologie, discipline qui joue un rôle majeur dans l’évaluation des risques. L’épidémiologiste américain John Ioannidis est particulièrement actif sur ce sujet, depuis son célèbre article daté de 2005, au titre provocateur mais au développement bien argumenté : « Pourquoi la plupart des résultats de recherche publiés sont faux. » En n’interrogeant pas les pratiques de la recherche et de la presse scientifique, l’OPECST passe à côté de la principale cause de discrédit des agences, et ne propose donc aucune solution pour y remédier.

À défaut d’avoir étudié le rôle de la recherche et le poids du législatif dans les polémiques actuelles, l’OPECST suggère que seules les agences doivent s’adapter au contexte de défiance d’aujourd’hui.

En ce sens, il est donc proche de l’esprit très partial de la lettre de saisine initiale, qui tendait clairement à incriminer les agences européennes. Toutes ces questions avaient pourtant fait l’objet d’une séance à l’Académie d’Agriculture de France, dont les résultats ont été présentés en avant-première aux membres de la mission.

Faute de s’en être saisi, l’OPECST laisse en friche un important travail de pédagogie nécessaire pour parvenir à restaurer la confiance des Français dans leurs agences sanitaires.

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