De nombreux écologues se sont prononcés dans la presse sur l’existence d’un lien entre l’apparition de l’épidémie du Covid-19 et la perte de biodiversité. Ce thème a été repris par les fonctionnaires de la Commission européenne, comme en témoignent les nombreuses références qui y sont faites dans le Green Deal, rendu public mercredi dernier.
Décryptage avec Marcel Kuntz, directeur de recherche au CNRS et enseignant à l’université Grenoble-Alpes
Vous avez été l’un des rares experts à contester un prétendu lien entre la perte de biodiversité et cette crise sanitaire. Qu’en pensez-vous aujourd’hui ?
Marcel Kuntz : Émanant en réalité d’une poignée d’écologues, les affirmations sur un soi-disant lien entre l’épidémie du coronavirus et la perte de biodiversité sont tout simplement sans fondement. Revenons à la genèse de cette véritable campagne de désinformation, notamment à cette note de la Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité (FRB) publiée le 8 avril et signée de la main de son « Conseil scientifique ». Intitulée « Covid-19 et biodiversité : vers une nouvelle forme de cohabitation entre les humains et l’ensemble des vivants non-humains », elle affirmait qu’ « en l’état actuel des connaissances, la pandémie en cours apparaît liée à ces atteintes à la biodiversité ». Lesdites « atteintes » comportant selon la FRB cinq facteurs de pressions directes : « changements d’usage des terres, exploitation des ressources, changements climatiques, pollutions, espèces exotiques envahissantes. » La FRB a donc activement participé à cette campagne – on peut même parler ici de construction d’une pensée unique – qui visait à faire porter la responsabilité de la Covid-19 « aux bouleversements que nous imposons à la biodiversité », à « une biodiversité maltraitée par l’activité humaine », et qui alléguait même que « les atteintes à la biodiversité ont accéléré l’épidémie ».
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L’un des auteurs de cette note a été interviewé par le quotidien 20 Minutes dès le 3 avril, tandis qu’une tribune a été signée dans le JDD par le directeur du Comité français de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) le lendemain, reprenant bien entendu les mêmes allégations. L’AFP s’est emparée du sujet, qui a donc immédiatement fait le tour des rédactions de France et de Navarre et des médias en tout genre : La Tribune, Le Monde, Le Point ou encore Alternatives Économiques, Futura-Sciences, Sciences et Avenir, etc.Certains organismes scientifiques ont même été « contaminés ». Ainsi, le 17 avril, seize dirigeants d’organismes scientifiques se sont alignés sur cette désormais « pensée unique » dans une tribune publiée par Le Monde : « La pandémie de Covid-19 est étroitement liée à la question de l’environnement ». On peut noter que ces organismes sont tous affiliés à L’Alliance nationale de recherche pour l’environnement (AllEnvi), qui « vise à coordonner les recherches françaises pour réussir la transition écologique et relever les grands défis sociétaux ». Parmi les institutions membres, on peut citer le Cirad, l’Ineris, l’Ifremer, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, l’Inrae, le Bureau de recherches géologiques et minières, Météo-France, l’Institut écologie & environnement du CNRS, l’Institut de recherche pour le développement…
Ils auraient donc tous tort ?
En tout cas, la lecture d’une note de synthèse du 15 mai 2020, rédigée par la même FRB et « son Conseil scientifique élargi à des experts extérieurs », fait apparaître une tout autre réalité ! La synthèse traite de 22 questions dans des fiches, dont chacune comporte comme dernier point l’examen du « cas particulier de la Covid-19 ». Autrement dit, il s’agit de vérifier s’il existe des arguments en faveur des allégations précédentes de la FRB concernant un lien entre cette pandémie et des « atteintes à la biodiversité ». Et la lecture de ces fiches est accablante : aucune d’entre elles ne fournit un quelconque élément confirmant cette affirmation, pourtant largement diffusée dans les médias !
En outre, il ressort d’une lecture attentive du document qu’aucune généralisation ne peut être établie entre biodiversité et risque d’apparition d’une quelconque pandémie. Ce sont même le plus souvent des liens entre richesse en biodiversité et risques qui apparaissent dans ce document. Ainsi, les auteurs reconnaissent plutôt observer « une corrélation entre la richesse en espèces de mammifères et d’oiseaux et le nombre de maladies infectieuses ». Et, quelles que soient les conclusions des études, ces « liens » restent des corrélations et non pas des démonstrations de cause à effet.
Ce qui est assez paradoxal, c’est que cette note de synthèse répond à une demande des ministères concernés et des organismes de recherche membres de l’alliance AllEnvi, qui « ont confié à la FRB et à son Conseil scientifique, élargi à des experts extérieurs, le soin d’apporter les éclairages de la communauté des sciences de la biodiversité sur la question des relations entre zoonose et état et dynamique de la biodiversité et des services écosystémiques ». Comme si ces organismes de recherche s’étaient mis à questionner la véracité des allégations émises par le Conseil scientifique de la FRB, qui fut donc « élargi à des experts extérieurs ».
Mais alors, quelles seraient les motivations de la FRB ?
En fait, je soupçonne la FRB d’avoir tout simplement joué son rôle de lobbyiste afin de garantir des financements pour le type de recherches qu’elle soutient. La Fondation est d’ailleurs assez transparente à ce sujet, puisqu’elle explique espérer « que la pandémie actuelle amènera les gouvernements, les décideurs en général, à ouvrir les yeux sur la réalité de l’état de notre planète et à accorder aux enjeux de biodiversité une priorité équivalente à celle donnée aux enjeux du changement climatique ». J’ajouterais que nous touchons ici à un problème majeur, qui est le mode de financement actuel de la recherche publique. Sa planification à l’excès, via des appels d’offres d’organismes publics, favorise les discours de ceux qui prétendent vouloir « sauver la planète ». Ainsi, un sujet de recherche sur le rôle de la biodiversité comme facteur central dans l’émergence des maladies infectieuses aura davantage de chances de recevoir des subsides publics qu’un projet visant par exemple à comprendre le rôle des maladies dans le déclin des abeilles.