La perte de biodiversité fait partie des causes évoquées par la nébuleuse écologiste pour expliquer l’épidémie du coronavirus. Une idée plutôt séduisante mais qui ne résiste pas à l’évidence de la réalité
Dès le début de la crise sanitaire provoquée par le Covid-19, la nébuleuse écologiste s’est empressée de communiquer sur les origines supposées de la pandémie, s’appuyant notamment sur les propos de certains écologues.
Ainsi, pour Jean-François Guégan, directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), la pandémie actuelle est « un boomerang qui nous revient dans la figure ». Et d’affirmer que les origines de la propagation du coronavirus « n’ont rien à voir avec des causes strictement sanitaires ». Selon lui, elles seraient liées à notre modèle économique : modification des habitats naturels, consommation de viande et de produits issus d’animaux sauvages, massification du transport mondial.
Cette analyse a été reprise par Julien Bayou, secrétaire national d’Europe Écologie-Les Verts, affirmant que « le coronavirus n’est pas qu’une crise sanitaire, mais il est le nom du dérèglement du monde », tandis que pour les Amis de la Terre, ce dérèglement est dû à « l’extension permanente d’activités humaines prédatrices des écosystèmes ».
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Même son de cloche chez Greenpeace, qui explique que « les maladies infectieuses sont bel et bien favorisées par le dérèglement climatique et la destruction de la biodiversité », ou encore chez le WWF : « Perte et dégradation d’espaces naturels, trafic d’espèces sauvages, dérèglements climatiques… Les pressions que nous exerçons sur la nature à travers nos modes de consommation et de production non soutenables sont en grande partie à l’origine de la crise sanitaire. »
Pour sa part, Nicolas Hulot estime que « la Nature nous envoie un message » : « Elle nous teste sur notre détermination, voilà. Et quand je parle d’un ultimatum, je pense que c’est un ultimatum au sens propre comme au sens figuré. »
Bref, les écologistes brandissent une fois de plus leur postulat de base, selon lequel le genre humain constitue une malédiction pour la nature et porte une responsabilité dans toutes les catastrophes qui surviennent.
L’écologue Philippe Grandcolas estime que le moment serait donc venu d’ « aborder notre mauvais rapport à notre environnement ». « Les gens pensent que les virus ont toujours existé, que les épidémies n’ont rien à voir avec l’état de la biodiversité ou le changement climatique », déplore ainsi le chercheur au CNRS. Or, selon lui, les épidémies augmentent et leur fréquence s’accélère : « L’émergence de ces maladies infectieuses correspond à notre emprise grandissante sur les milieux naturels. On déforeste, on met en contact des animaux sauvages chassés de leur habitat naturel avec des élevages domestiques dans des écosystèmes déséquilibrés, proches de zones périurbaines. » Et il s’étonne du « silence assourdissant » autour de l’origine de l’épidémie de Covid-19, « liée aux bouleversements que nous imposons à la biodiversité ».
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Au regard des nombreuses tribunes qui traitent de cette question, le terme de « silence assourdissant » ne semble pourtant pas très approprié ! Il est en revanche plus rare, comme le note la chercheuse britannique Kate Jones, professeur d’écologie et de biodiversité à l’University College de Londres, que soit évoqué dans les médias le fait que le nombre de personnes souffrant de maladies infectieuses n’a cessé de diminuer en un siècle, la dernière grande pandémie en date ayant été provoquée par la grippe espagnole de 1919. Donnée d’autant plus rassurante que, depuis 1940, le nombre d’épidémies répertoriées a en effet augmenté, avec un pic au cours des années 1980. La chercheuse britannique a ainsi recensé 335 maladies infectieuses émergentes entre 1940 et 2004, dont 60 % avec des origines dans la faune : virus de Marburg, virus d’Ebola, virus du Sida, virus du SARS, coronavirus du Moyen-Orient, pour ne citer que les plus connus.
Des causes multiples
Si l’on regarde ces cas de près, on constate que les origines des épidémies sont bien plus complexes que ne le martèle la mouvance écologiste. Certes, la proximité entre l’homme et l’animal reste un facteur déterminant pour déclencher une épidémie humaine, et il serait inepte de faire l’impasse sur le danger que constitue une concentration trop forte d’une espèce particulière dans un espace clos, foyer naturel pour la mutation des virus. Tout comme de nier le fait que la mondialisation du tourisme – trois milliards de personnes prennent chaque année l’avion – représente désormais le cheminement le plus naturel des épidémies, loin devant la mondialisation des biens physiques. Relocaliser la production n’aurait donc en réalité que peu d’incidence sur la propagation d’une pandémie.
Ebola : un cas d’étude
D’un point de vue historique, il est clair qu’aucune des grandes pandémies qui ont touché l’humanité – la peste, le choléra, la variole – n’a attendu l’industrialisation ou la perte de biodiversité, ni le changement climatique ou l’élevage industriel, toutes raisons pourtant largement invoquées par l’écolosphère. Mais qu’en est-il des épidémies plus récentes ? Le cas du virus Ebola est particulièrement instructif. Il en existe au minimum cinq souches différentes, et une étude allemande publiée en décembre 2014 dans la revue EMBO Molecular Medicine suggère que l’une des transmissions entre l’homme et l’animal fut le fait d’un enfant guinéen de deux ans du village de Meliandou, décédé en décembre 2013. Les chercheurs de l’Institut Robert Koch de Berlin ont en effet découvert que de petites chauves-souris insectivores colonisaient un arbre creux de cinquante mètres où les enfants du village avaient l’habitude de jouer, leur transmettant le virus par une voie pour le moment encore indéfinie. Si c’est bien la proximité de l’homme et de l’animal qui est à l’origine de ce foyer épidémique, on notera qu’il s’agit d’un tout petit village de quatre cents habitants situé en pleine forêt guinéenne, bien loin des zones de déforestation massive ou de pertes graves de biodiversité. Et sans la présence de grandes exploitations agricoles.
Les grands singes et le VIH
De même, l’émergence du virus VIH dans les profondeurs de la jungle africaine (une vaste zone comprenant le Cameroun, le Gabon, la République démocratique du Congo et l’Ouganda), et son expansion ne correspondent à aucune perte de biodiversité, ni à un quelconque changement climatique ou un élevage industriel d’animaux domestiques, mais bien à la longue et persistante coexistence entre humains et animaux sauvages, avec son lot de pratiques plutôt traditionnelles.
Dans un document publié en mars 2015 dans la revue PNAS, Martine Peeters conclut que le VIH infectant naturellement les grands singes du sud du Cameroun aurait franchi la barrière des espèces à l’occasion de chasses, par morsure d’un singe infecté, par écorchure lors du dépeçage de ces animaux, ou lors de la consommation de viandes de brousse, dès les années 1940. Selon des travaux réalisés par une équipe internationale de virologues, publiés en octobre 2016 dans la revue américaine Science, l’existence du virus chez l’homme daterait même des années 1920. Transmis à l’homme par des singes au moins à treize reprises, les virologues estiment qu’une seule de ces transmissions est responsable de la pandémie humaine, qui a entraîné près de soixante-quinze millions d’infections à ce jour. L’un des auteurs de l’étude, le professeur Oliver Pybus, du département de zoologie d’Oxford, souligne le rôle essentiel du développement des chemins de fer, en particulier au Congo belge, dans la propagation de la pandémie, Kinshasa étant alors une des villes les mieux desservies de toute l’Afrique centrale.
« Nous pensons que les changements dans la société qui se sont produits au moment de l’indépendance du Congo en 1960 ont aussi probablement fait que le virus a pu s’échapper de petits groupes de personnes séropositives pour infecter des populations plus étendues, avant de se propager dans le monde à la fin des années 70 », explique-t-il. Là encore, on ne peut raisonnablement lier le début de ces foyers épidémiques à la perte de biodiversité ni aux grandes fermes industrielles bien absentes dans cette région.
Toutes les grandes épidémies modernes révèlent tout simplement que l’espèce humaine vit dans un monde où la présence des animaux domestiques et sauvages – avec leurs multiples virus – reste une dangereuse réalité
Il en va de même pour le virus Marburg, parmi les plus pathogènes chez l’homme : aucune des épidémies qu’il a provoquées en Afrique (notamment celle de la République démocratique du Congo en 2002 et celle de l’Angola en 2005) ne résulte d’une perte de biodiversité ni d’une prétendue « rupture d’équilibre avec la nature ». Son réservoir originel a clairement été identifié – une espèce de chauves-souris baptisée la roussette d’Égypte –, tout comme l’infection chez l’homme, qui résulte tout simplement d’une exposition prolongée dans des grottes abritant des colonies de roussettes.
D’ailleurs, bon nombre d’épidémies virales parmi les plus sévères de ces dernières années – Ebola, Marburg mais aussi le SRAS, le MERS, et probablement le coronavirus 2019-nCoV – proviennent de la chauve-souris, animal plutôt très commun, dont il existe plus de 1 400 espèces. L’épidémie du SRAS de 2002, qui a touché plus de 8000 personnes et fait 800 morts en quelques mois, a pris son essor sur les marchés aux animaux de la province du Guangdong, alors que son hôte naturel se trouvait dans une grotte située à une distance de 1 500 km… en pleine jungle. Attribuer cette épidémie, heureusement bien maîtrisée, à une perte de biodiversité serait là aussi un non-sens.
La traversée de l’Atlantique des maladies infectieuses
Cependant, toutes les épidémies ne proviennent pas des grands espaces riches en biodiversité où les hommes se sont aventurés. Selon les experts, la grippe espagnole, qui a provoqué le décès de 25 à 50 millions de personnes dans le monde, aurait démarré aux États- Unis, lors d’une recombinaison d’un virus de grippe avec un virus aviaire.
« On pense que la grippe espagnole est apparue d’abord au Kansas où elle a contaminé de jeunes soldats américains, qui étaient réunis trois mois dans des camps de formation militaire, à raison de 50 000 à 70 000 individus, avant de traverser le pays et de prendre la mer pour l’Europe », explique Patrick Berche, professeur de microbiologie à l’hôpital Necker. Cette fois-ci, le virus a traversé l’Atlantique grâce à l’armée américaine, tout comme l’avaient fait quatre siècles auparavant, mais dans le sens inverse, les maladies infectieuses comme la variole (1525, 1558, 1589), le typhus (1546), la grippe (1558), la diphtérie (1614), la rougeole (1618), qui tuèrent entre 10 et 12 millions de personnes en Amérique, c’est-à-dire près de 50 à 60 % de la population amérindienne.
Bref, toutes les grandes épidémies modernes révèlent tout simplement que l’espèce humaine vit dans un monde où la présence des animaux domestiques et sauvages – avec leurs multiples virus – reste une dangereuse réalité. Comme le note le docteur vétérinaire François Moutou, les parasites circulent partout en permanence, y compris entre les animaux et les humains, et il est tout à fait banal de rencontrer des virus que l’on ne connaît pas encore. Et si, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 60 % des nouvelles maladies infectieuses humaines sont d’origine zoonotique, c’est-à-dire qu’elles sont transmises par des animaux, il est avéré qu’« un pays riche en biodiversité est “riche” en maladies infectieuses », pour reprendre les propos de l’écologue de la santé Serge Morand.
Pour ce dernier, il est cependant hors de question de vouloir éradiquer des espèces pour remédier aux épidémies. Bien au contraire : « Les milieux riches en biodiversité, avec des mosaïques d’habitats, des agricultures diversifiées, des forêts, contribuent à réduire la transmission des maladies zoonotiques et sont plus résilients. » Il explique que si les pathogènes y sont nombreux, ils « circulent “à bas bruit”, localement, répartis sur beaucoup d’espèces, ne se propagent pas facilement d’un endroit à l’autre et d’une espèce à l’autre et ne se transforment donc pas en grosses épidémies ».
Le retour du malthusianisme
Certes, il n’a pas tort. Sans mouvement de population, le risque qu’une épidémie prenne la forme d’une pandémie reste très faible. Mais est-il concevable de sanctuariser les zones de forte biodiversité avec une sorte de mur étanche entre vie animale et vie humaine ? En outre, est- il réaliste de penser à limiter le tourisme, aujourd’hui de loin le principal moyen de circulation des virus ? Et surtout, comment garantir un niveau de vie acceptable aux 9 milliards d’individus qui peuplent désormais la Terre et dont plus de la moitié est devenue citadine ?
La réponse à ces questions donnée par l’écologue Jean-François Guégan, a de quoi faire frémir : « La Terre ne peut plus supporter une telle croissance démographique, une telle expansion économique au détriment des écosystèmes naturels. » Pour lui, « ces virus ne sont pas des agents pathogènes en soi. Les parasites sont d’ailleurs nécessaires aux équilibres des écosystèmes […] En empiétant sur les écosystèmes naturels, on réveille actuellement et massivement des cycles de vie naturels de microbes existant depuis la nuit des temps ». Et toujours selon l’écologue, ce déséquilibre aurait commencé… au néolithique : « La recherche de nouvelles terres agricoles a provoqué ces dernières décennies une déforestation massive qui a bousculé les équilibres naturels […] Ce phénomène remonte au néolithique : chaque fois que l’homme a modifié les sols, a commencé à défricher les écosystèmes pour le développement de son agriculture, il s’est retrouvé exposé à de nouveaux micro-organismes qu’il n’avait jamais rencontrés auparavant. » Et donc… ?
Le côté obscur de la biodiversité
Comme le souligne Christian Lévêque, écologue et auteur du livre intitulé La biodiversité : avec ou sans l’homme ?, « le coronavirus vient rappeler brutalement aux citoyens abusés par les discours des mouvements conservationnistes que la biodiversité est également une source permanente de danger ».
L’écologue souligne que « l’histoire de l’humanité a été un combat permanent pour survivre face aux méfaits de la nature, jalonnée de périodes de mortalités massives du fait des épidémies. Les virus comme les bactéries et les parasites de tout poil qui nous empoisonnent la vie, c’est de la diversité biologique ». « Dans ce contexte, laisser croire que l’on peut vivre “en harmonie” avec une nature uniquement pourvoyeuse de biens et de services est de la pure utopie », note l’écologue, qui ose même poser la question qui dérange : « Protéger les chauves-souris c’est en quelque sorte entretenir une bombe à retardement ! Alors protéger la nature, oui mais à quel prix ? »
L’auteur remarque aussi avec pertinence que la disparition des zones humides dans le monde a toujours eu comme objectif d’éliminer les maladies infectieuses. On connaît ainsi le cas de la malaria encore présente en Camargue au début du siècle dernier. « Certains s’en indignent, mais en l’absence d’autres alternatives fallait-il laisser les populations dépérir, à l’exemple de la maladie des “ventres jaunes” qui décimait les Solo- gnots ? », s’interroge l’écologue, qui interpelle les mouvements conservationnistes au sujet d’une question trop souvent éludée, à savoir « comment gérer la conservation de la biodiversité tout en protégeant la santé des hommes, des animaux domestiques et des plantes cultivées ? Autrement dit, les hommes ont-ils la légitimité de se protéger aussi de la nature ? »
Ce qui induit naturellement l’interrogation suivante : le plus raisonnable ne serait-il pas de nous protéger de ces pandémies en contrôlant les populations d’animaux vecteurs de virus, ainsi que nous l’avons fait pour contrôler la rage en Europe ? Paradoxalement, les endroits les plus sécurisés sont précisément ceux qui ont été le plus façonnés par l’Homme ! Hong-Kong, Singapour et la Corée du Sud – pays à très haute densité de population et paradis high-tech – sont en effet les lieux où le coronavirus a causé le moins de dégâts…