Même si certains médias se sont empressés d’attribuer la bonne récolte de miel de printemps à un supposé ralentissement de l’activité agricole, la réalité des faits oriente plutôt vers l’importance du climat
« La réduction des activités humaines offre des conditions exceptionnelles aux abeilles », assure Le Parisien dans un article publié le 5 mai dernier, exhibant pour preuve le témoignage de Pierre Stephan. Cet apiculteur alsacien, installé dans les Vosges du Nord, est en effet persuadé que sa belle récolte de printemps est le fruit d’une « suspension des activités agricoles ». « Les prairies n’ont pas encore été fauchées et les pesticides très peu répandus, ainsi le nectar récolté par les abeilles est pur », confie l’apiculteur.
« Je ne pense pas qu’il y ait un lien entre le confinement et cette récolte 2020 de miel», estime Jean-Paul Beck »
Son récit, « politiquement correct » à souhait, a fait le tour des rédactions, toutes alléchées par l’idée que, enfin, « la nature reprendrait ses droits ». L’arrêt de l’activité humaine entraînerait donc le retour à la vie normale des abeilles… D’Europe 1 à France 2, en passant par France 3 Grand Est, les copiés-collés de ce message touchant de candeur ont… essaimé. Il est vrai que le témoignage de l’apiculteur alsacien a été confirmé par plusieurs de ses confrères. Ainsi, Yves Delaunay, un apiculteur corrézien, s’est réjoui lui aussi : « En ce moment, je récolte le miel de pissenlit, et j’en ai deux fois plus que l’an dernier.»
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Même contentement chez les apiculteurs des plaines de Champagne, dont les miellées du printemps se font surtout sur le colza et l’aubépine. « Les récoltes sont très satisfaisantes. Il est vrai qu’on a eu beaucoup d’eau en février et puis du soleil, ce qui est idéal pour le butinage des abeilles », relate Céline Gobin, qui anime la chaîne YouTube Les abeilles de Céline. Idem du côté des apiculteurs du Grand-Duché de Luxembourg, où certains, principalement dans le nord du pays, vont jusqu’à se glorifier d’avoir des « récoltes monstres ».
Une thèse contestée
La thèse d’un lien de causalité entre les bonnes récoltes et l’arrêt de l’activité humaine – induisant moins de bruit, de lumière, de pollution et de produits chimiques – est donc séduisante. Pourtant, le président de la Fédération des unions d’apiculteurs du Grand-Duché de Luxembourg (Fual), Jean-Paul Beck, n’est pas de cet avis : « Je ne pense pas qu’il y ait un lien entre le confinement et cette récolte 2020 de miel », estime-t-il. Selon lui, les origines de ce beau début de récolte luxembourgeois sont multifactorielles et dues au premier chef à la formation des hommes, indispensable pour obtenir des traitements efficaces contre le varroa, principal ravageur des abeilles.
« Fin 2014, nous avons engagé un conseiller en apiculture, qui a réa- lisé une centaine de formations par an. Tout cela nous a permis d’avoir davantage d’apiculteurs (500 en 2020 contre 290 en 2013) avec un total de 8000 ruches contre 3500 en 2013 », se félicite Jean-Paul Beck.
Ensuite, et surtout, il y a les conditions climatiques, exceptionnelles cette année grâce à un hiver très clément suivi d’un printemps radieux. Résultat : une mortalité très faible « qu’on n’avait pas vue depuis au moins dix ans », précise le président de la Fual. De fait, un faisceau de trois facteurs climatiques a caractérisé le début de la saison 2020. Selon Météo-France, l’hiver a été le plus doux depuis cent vingt ans et le printemps a été excédentaire en ensoleillement par rapport à la norme, avec en outre des précipitations déficitaires.
Bref, des conditions idéales pour une floraison précoce et durable de l’ensemble des végétaux et, par conséquent, pour le butinage des abeilles. Certes, il existe des situations contrastées, avec des récoltes plus ou moins bonnes selon les régions. « Mais cela est principalement dû au microclimat de ces régions, car une simple différence de quelques degrés peut entraîner un effet assez radical », explique l’ancien président de la Fual, Roger Dammé.
L’exception des Pyrénées-Orientales
Une seule région de France semble n’avoir pas bénéficié de cette chance : les Pyrénées-Orientales, où la récolte a tout simplement été calamiteuse.
Pour Gaétan Le Ber, apiculteur professionnel dans le Vallespir, 2020 commence très mal : « 2019 fut la pire année depuis vingt-cinq ans, et on se disait que l’on ne pourrait que faire mieux cette année. Mais rien n’est moins sûr. La faute aux pluies qui s’enchaînent depuis des semaines. » À cause d’un mois d’avril qui n’avait pas été aussi humide depuis long- temps, les abeilles n’ont pas pu butiner à satiété. « J’ai fait zéro romarin », se désole l’apiculteur.
Alors que partout ailleurs en France les ruches sont en pleine forme, dans les Pyrénées-Orientales, loin des zones de grandes cultures traitées, elles se trouvent donc en difficulté en raison du vent et de la pluie qui « les-sivent » littéralement la végétation, entraînant une diminution considérable du nectar disponible.
Tous ces constats démontrent clairement que l’apiculture reste avant tout l’une des activités agricoles les plus sensibles aux variations climatiques.