Le « plan pollinisateurs » fait craindre des décisions aux conséquences tragiques. Son issue, arbitrée par le premier ministre, fera l’objet d’une surveillance particulière.
En quête d’un trophée écolo qui permettrait de faire oublier la réautorisation temporaire des néonicotinoïdes, le gouvernement Castex comptait sur l’adoption d’un « plan pollinisateurs », censé satisfaire l’aile écolo-bobo de son électorat.
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Dans cette représentation théâtrale, la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, tient tout naturellement le rôle de l’amie des écologistes, tandis que le ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, fait figure de défenseur du monde paysan. Il était donc tout à fait normal que, réagissant à la première version de ce plan, présentée oralement au monde agricole le 4 décembre, des élus de la majorité présidentielle se tournent vers leur chef, le Premier ministre Jean Castex, pour lui signaler leur indignation face à un projet qui répéterait inévitablement les erreurs commises par le gouvernement précédent, lorsque celui-ci a interdit les néonicotinoïdes alors qu’aucune alternative n’était disponible.
Une déclaration de guerre
Dans le courrier qu’ils lui ont adressé le 14 décembre, cinq députés LREM ne mâchent pas leurs mots. Ce plan « sonne comme une nouvelle déclaration de guerre au monde paysan », alertent ainsi Pierre Venteau, Jean- Baptiste Moreau, Olivier Damaisin, Martine Leguille-Balloy et Alain Perea. Les élus s’y déclarent consternés par tant de « dogmatisme » qui, « mâtiné d’amateurisme et de déconnexion des réalités de terrain, continue allégrement son œuvre dans certains de nos ministères ». Et pour cause ! L’un des volets de ce plan consistait ni plus ni moins à interdire tout traitement phytosanitaire pendant la journée sur les cultures qui sont en floraison.
Profitant de la période des fêtes et du confinement, le gouvernement souhaitait agir vite. Trop vite : une présentation orale devant quelques représentants du monde agricole le 4 décembre pour une mise en consultation publique prévue le 23 décembre. « On nous a donné six jours pour formuler des observations », peste l’un des participants.
Christiane Lambert, la présidente de la FNSEA, qui prend connaissance du projet par visioconférence, monte alors au créneau : « C’est inadmissible. Notre profession travaille 55 heures par semaine, dans des conditions difficiles. Et en plus, on devrait se cacher et travailler la nuit ? » Selon notre consœur du quotidien L’Opinion Emmanuelle Ducros, la ministre Barbara Pompili lui aurait répondu qu’il suffira de mettre des projecteurs sur les tracteurs et de les faire financer par le plan de relance…
Dès la présentation du projet, un bras de fer s’est donc engagé entre, d’une part, les activistes de la nébuleuse anti-pesticides comme François Veillerette ou encore Nicolas Laarman, le fondateur de la très discrète association Pollinis, qui ne rate jamais une occasion de faire parler de lui, et d’autre part, le réseau de la FNSEA, les viticulteurs de plusieurs régions et les filières de fruits et légumes.
Les raisons de la mobilisation des producteurs de pommes contre ce « plan pollinisateurs »
Dans une lettre ouverte adressée aux parlementaires dès le 11 décembre, l’Association nationale pommes poires (ANPP) a tenu à rappeler quelques vérités.
Premièrement, que l’arrêté « abeilles » du 28 novembre 2003, qui interdit déjà les traitements insecticides et acaricides durant toute la période de floraison, reste une exception française. « La France est le seul État membre à avoir adopté des dispositions de cette nature », note l’ANPP. Un durcissement de cet arrêté irait donc à l’encontre de la promesse présidentielle de ne pas faire de la surtransposition réglementaire nationale.
Deuxièmement, que le calendrier d’urgence prévu par la ministre ne permet aucune concertation. « Il ne permet pas non plus aux parlementaires de poser des questions au gouvernement sur le bien-fondé de cet arrêté et de ses dispositions puisque les travaux parlementaires seront suspendus entre le 18 décembre et le 10 janvier », déplore l’ANPP.
Et on comprend aisément pourquoi la ministre ne souhaite laisser place à aucun débat. En effet, sa proposition totalement hors-sol ne prend tout simplement pas en compte la réalité agronomique : il est assurément indispensable de pouvoir protéger les vergers contre la tavelure, qui reste la principale menace pendant la floraison. De même, l’éclaircissage est nécessairement réalisé sur la fleur, dès que la pollinisation est suffisante pour obtenir une récolte. Or, les produits employés nécessitent des conditions de température et d’hygrométrie qui peuvent être incompatibles avec une application nocturne. « Ne pas faire d’éclaircissage sur fleurs oblige à réaliser un éclaircissage manuel qui pourrait nécessiter 200 à 300 heures de travail supplémentaire pour chaque hectare de verger français » prévient l’ANPP.
Ces 200 heures d’éclaircissage manuel par hectare multipliées par 37 500 ha de vergers de pommes en France représenteraient un surcoût de 100 millions d’euros par an pour les producteurs. De quoi garantir la faillite assurée de la filière pommes en France…
Mais le pire, c’est encore que le plan pollinisateurs, tel qu’il est conçu, n’aura aucun impact sur le bien-être des abeilles, qui sont déjà largement présentes dans les vergers. Les pommiers et les poiriers étant entomophiles, la formation de leurs fruits dépend de la fécondation qui est assurée par les insectes.
La protection des pollinisateurs sauvages et domestiques est donc déjà tout naturellement au cœur de la démarche des producteurs de fruits. D’où les nombreux contrats de pollinisation instaurés avec la Fédération nationale des associations régionales de développement de l’apiculture, qui ont été mis en place depuis plus de onze ans et qui sont, depuis lors, renouvelés chaque année.
« Ces contrats passés entre les apiculteurs et les arboriculteurs attestent de l’innocuité de nos pratiques pour les colonies disposées dans les vergers », note Daniel Sauvaitre, président de l’ANPP. Ce point a d’ailleurs été clairement rappelé à Jean Castex par les députés dans leur lettre : « Au travers des démarches Vergers écoresponsables ou BeeFriendly, les ruches sont présentes depuis de nombreuses années dans les vergers et, à ce jour, les colonies d’abeilles sédentaires présentes sont productives. » Les élus poursuivent : « Elles se portent à merveille avec des programmes phytosanitaires qui peuvent comprendre selon les cahiers des charges herbicides, fongicides et éclaircissants. » Comme le note Jean-Baptiste Moreau, « Le projet de Mme Pompili ignore des années d’efforts et d’adaptations ».
Même son de cloche du côté des cultures de colza, comme l’écrit Jean-Yves Chauveau, rédacteur de la revue agricole Terre de Touraine : « La DRAAF Centre ne recense qu’environ 5 cas d’intoxication par an, tous liés aux insecticides et aucun en raison de traitement par fongicide. »
En Auvergne-Rhône-Alpes, un seul cas de suspicion de fongicide colza a été référencé sur une ruche, et encore le vétérinaire en charge du dossier a- t-il précisé n’avoir « aucune certitude » quant au rôle du foncigide dans cette intoxication.
Ce qui est certain, en revanche, c’est que l’interdiction de traiter le colza va mettre en péril cette culture – et avec elle tout le plan protéines défendu par le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation –, en entraînant sa suppression progressive et, par conséquent, celle de l’offre alimentaire pour les pollinisateurs. À savoir exactement l’inverse de l’objectif affiché par le plan pollinisateurs !
Des arguments entendus
Grâce à la vigilance du sénateur Laurent Duplomb, une mobilisation s’est également déroulée au sein du Sénat. Ainsi Sophie Primas, présidente de la commission des Affaires économiques du Sénat, et Gérard Larcher ont directement interpellé Jean Castex sur les incohérences du plan pollinisateurs qui ne pouvait pas se réduire une nouvelle fois à la seule stigmatisation de l’usage des produits phytosanitaires par les agriculteurs et à des règles qui produiront des effets inverses de ceux recherchés. Ces arguments ont finalement été entendus et le ministre de l’Agriculture a annoncé le report de la mise en consultation publique du projet, initialement prévue pour le 23 décembre.
Mais la partie est loin d’être gagnée, l’objectif du monde agricole restant d’aboutir à des mesures réglementaires qui s’inscrivent dans le strict cadre européen, afin d’éviter toutes formes supplémentaires de distorsion de concurrence. On ne peut à la fois promouvoir la souveraineté alimentaire et priver les agriculteurs des moyens de produire. Le choix du Premier ministre, juge de paix final, sera donc accueilli avec beaucoup d’attention…