Parmi les dossiers que devra traiter la nouvelle ministre de l’Agriculture Annie Genevard, figure celui du plan protéines, un plan qui fait face à des difficultés structurelles majeures
Lancée en décembre 2020 par Julien Denormandie, la stratégie nationale pour les protéines végétales a succédé au plan protéines végétales mis en place par Stéphane Le Foll, qui n’avait pas permis d’accroître significativement la production de protéagineux, alors qu’environ 50 % des matières riches en protéines végétales employées en France dans l’alimentation animale sont importées, principalement sous la forme de tourteaux de soja en provenance du Brésil.
Bien que la France fasse partie des pays d’Europe les moins dépendants de l’importation de protéines végétales (l’Union européenne en important globalement environ 75 %), l’idée – parfaitement défendable – consistait à réduire considérablement cette dépendance aux importations afin d’améliorer l’autonomie alimentaire des élevages, soit à l’échelle des exploitations, soit à celle des territoires, tout en développant une offre de produits locaux en matière de légumes secs (lentilles, pois chiches, haricots, fèves, etc.).
Des résultats décevants
Un premier objectif avait alors été fixé à l’horizon 2023 d’accroître de 40 % les surfaces semées en espèces riches en protéines végétales, soit une augmentation de 400 000 hectares, tandis qu’un second objectif visait à doubler d’ici 2030 les surfaces semées riches en protéines végétales, dans le dessein d’atteindre 8% de la surface agricole utile, soit un total de 2 millions d’hectares.
Des moyens considérables avaient d’ailleurs été mis en œuvre pour atteindre ce premier objectif : 50 millions d’euros pour la structuration des filières, 75 millions d’euros consacrés aux investissements, aux agroéquipements et aux achats de semences, 23 millions d’euros pour la recherche et l’innovation, notamment pour la recherche variétale sur les légumineuses et le développement de nouvelles formes de protéines, 3 millions d’euros alloués à la campagne de promotion des légumineuses auprès des consommateurs, et enfin 2 millions d’euros accordés aux subventions de l’accompagnement Bpifrance des entreprises transformant et valorisant des protéines végétales.
Or, le bilan n’a pas vraiment été à la hauteur des attentes. Car les données disponibles révèlent que les surfaces cultivées riches en protéines végétales étaient même en léger retrait en 2022 par rapport à 2020, avec une diminution de 20 % des surfaces des cultures protéagineuses ; une baisse des surfaces consacrées au soja de 3% en 2022 par rapport à 2021, année d’un fort recul de 18 % par rapport à 2020 ; une diminution des surfaces consacrées aux légumes secs de 23 % (entre 2020 et 2022). En revanche, on observe une légère augmentation des surfaces dédiées à la culture de luzerne déshydratée (+4 %) en 2022 par rapport à 2020, ainsi qu’aux prairies artificielles (+10 %). Pour les surfaces des cultures oléagineuses, l’augmentation se situe autour de 10% de 2020 à 2022, tandis que la production augmente dans des pro- portions plus importantes (+28 %)
que les surfaces, ce qui sous-tend en parallèle une augmentation des rendements.
Les obstacles
Comment expliquer ce bilan si peu en rapport avec les objectifs ? Les obstacles au développement de ces filières ont parfaitement été identifiés. Ce sujet a été abordé en janvier 2024 à l’occasion de la conférence de presse de clôture du projet ProteiNEW – un projet de trente mois visant à dynamiser la structuration des filières végétales porté par Protéines France, en partenariat avec Terres Univia –, et il a fait l’objet d’une note du Centre d’études et de prospective (CEP) du ministère de l’Agriculture rendue publique en mars dernier.
Ces faibles rendements n’étant pas compensés par des prix de vente adéquats, ces productions sont donc souvent prises dans un cercle vicieux dont elles peinent à sortir
« Difficulté à produire du soja sans irrigation, manque de diversité génétique en lentilles et pois chiches, difficile gestion des ravageurs en l’absence de produits phytosanitaires suffisamment efficaces, etc.», peut-on y lire. Les auteurs estiment également que « ces freins sont renforcés par le réchauffement climatique, qui accentue les stress hydriques et thermiques, tout en créant des conditions plus favorables aux ravageurs ».
Or, ces faibles rendements n’étant pas compensés par des prix de vente adéquats, les infrastructures spécifiques pour la transformation de ces produits manquant dans de nombreuses zones du territoire, ces productions sont donc souvent prises dans un cercle vicieux dont elles peinent à sortir: « Les quantités disponibles sont insuffisantes pour atteindre les volumes critiques aux différentes échelles (locale, régionale, nationale), qui permettraient de rentabiliser les activités de chacun des maillons de la chaîne de valeur. De ce fait, les infrastructures et la recherche amont et aval ne se développent pas », analyse le CEP.
Raphaëlle Senio-Girerd, directrice Innovation et filières à Sofiprotéol, résume parfaitement la situation en no- tant que la filière connaissait « trente ans de retard d’innovation et d’investissement ». Et, comme le souligne le CEP, malgré tous les efforts du gouvernement, sans la création de valeur, à tous les maillons de ces filières, et l’existence de débouchés porteurs, il sera très compliqué d’atteindre les objectifs fixés par les plans.
À cela s’ajoute la question essentielle de la gestion des ravageurs, selon le directeur général de Terres Univia, Laurent Rosso, qui s’inquiète pour l’avenir de la filière, en raison de la menace qui pèse sur la totalité des désherbants autorisés sur les légumineuses: « Si on ne peut plus gérer les adventices, il n’y aura plus de cultures, sauf à faire du bio qui sera deux à trois fois plus cher, puisqu’on a deux à trois fois moins de rendement. » Encore un bel exemple des dégâts causés par plus d’une décennie de politique davantage focalisée sur l’écologie – avec la suppression systématique des produits phytosanitaires – que sur la production…