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La «montée en gamme» : une bêtise de Macron, estime le sénateur Laurent Duplomb

Nommé expert agricole au sein de l’équipe rapprochée de Laurent Wauquiez, le sénateur de la Haute-Loire, Laurent Duplomb, livre ses réflexions concernant son projet agricole.


Fils d’ouvrier, Laurent Duplomb dirige une exploitation laitière de la ville de Saint Paulien, dont il est devenu le maire en 2010. Investi dans le syndicalisme majoritaire auprès des Jeunes Agriculteurs, il a assuré entre 2013 et 2017 la charge de président de la Chambre d’agriculture, un poste qu’il a abandonné suite à son élection en tant que sénateur de la Haute-Loire (Les Républicains), le 24 septembre 2017.


Pourquoi avez-vous accepté de participer au shadow cabinet [terme anglais pour désigner un « gouvernement d’opposition »] mis en place par le président des Républicains, Laurent Wauquiez ?

L’offre que m’a faite Laurent Wauquiez l’année dernière, d’occuper le poste d’expert agricole dans ce qu’il a appelé du nom de « cabinet fantôme », visant essentiellement à impliquer davantage les parlementaires dans les travaux de réflexion menés sur le projet du parti, entrait en résonance avec ce parcours qui a été mien. En effet, depuis l’âge de vingt-cinq ans, j’exerce avec enthousiasme le métier d’agriculteur, et plus précisément d’éleveur. C’est avec plaisir et fierté que je me lève chaque matin pour travailler dans ma ferme. Cette passion pour le monde agricole que j’ai, chevillée au corps, il m’est donc essentiel de la transmettre à ma famille politique, en lui apportant mes idées et mon expérience.

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Du fait que j’ai assumé des responsabilités syndicales dans le monde agricole et assuré la présidence de la Chambre d’agriculture de la Haute-Loire, je crois pouvoir me targuer d’avoir acquis ainsi une certaine connaissance du terrain. Mes responsabilités en tant que maire de Saint-Paulien m’ont également permis d’élargir mon horizon à l’ensemble des problèmes de la ruralité. C’est donc tout cet acquis que j’ai mis à la disposition de mon parti, à un moment particulièrement difficile pour l’agriculture, qui doit faire face à une forme inédite d’« agri-bashing », portée par un imaginaire collectif sur notre métier dont on méconnaît généralement les réalités du quotidien.

Quel est, selon vous, le principal sujet auquel le pouvoir politique se doit de répondre ?

L’agriculture française est avant tout conditionnée, d’une part, par notre engagement collectif dans l’Union européenne et, d’autre part, par tous les accords internationaux, à savoir nos relations avec le reste du monde. Il est donc indispensable de maintenir un budget européen correct au travers de la Politique agricole commune (PAC). C’est un point essentiel, car nous devons pouvoir garantir un revenu décent aux agriculteurs des pays membres de l’Union – ce qui est ni plus ni moins le rôle originel de la PAC tel qu’il a été défini en 1962. À l’échelle européenne comme à l’échelle nationale, nous devons donc trouver les moyens de garantir des prix qui soient tant soit peu rémunérateurs, même si cela reste très complexe étant donné que les prix de revient varient énormément en fonction des exploitations. Par ailleurs, on sait pertinemment que le coût de production est lié au niveau des exigences réglementaires. Ainsi, la traçabilité, qui est un outil indispensable pour assurer la qualité de nos aliments, comme en témoigne encore le cas récent de la viande avariée d’origine polonaise, a un coût. Nous devons toujours garder cela en mémoire lorsque de nouvelles règles sont imposées à l’agriculture.

Nous ne pouvons donc continuer à imposer des normes par le biais d’une réglementation particulièrement exigeante au niveau européen – et plus encore au niveau national –, et laisser dans le même temps notre agriculture être concurrencée au travers d’accords bilatéraux, qui ouvrent nos frontières à des denrées alimentaires produites dans des conditions bien moins contraignantes.

Ensuite, cette politique agricole doit également protéger nos producteurs face à la concurrence internationale. Nous ne pouvons donc continuer à imposer des normes par le biais d’une réglementation particulièrement exigeante au niveau européen – et plus encore au niveau national –, et laisser dans le même temps notre agriculture être concurrencée au travers d’accords bilatéraux, qui ouvrent nos frontières à des denrées alimentaires produites dans des conditions bien moins contraignantes. À cette problématique, au centre des préoccupations pour les années à venir, la PAC doit absolument apporter une réponse.

Enfin, au niveau français, nous devons œuvrer pour maintenir une agriculture variée sur l’ensemble du territoire, y compris dans les régions les plus défavorisées. C’est tout à fait possible dans le cadre actuel des accords européens, notamment grâce aux indemnités compensatrices délivrées au titre des handicaps naturels, qui permettent de freiner la concentration de l’agriculture sur certains bassins plus productifs au détriment d’autres zones de production. En effet, nous ne pouvons pas avoir une politique agricole similaire à celle de petits pays européens. Les Pays-Bas, par exemple, disposent d’une capacité à produire véritablement exceptionnelle car l’agriculture de ce pays est hyper concentrée, et donc très intensive. Le visage de l’agriculture française est bien différent, puisque nous avons une agriculture très diversifiée, qui reflète l’histoire des territoires, des filières et des productions. Il convient donc que nos politiques nationales prennent en compte cette spécificité à la française. Et si nous voulons préserver une agriculture répartie sur la totalité des territoires, il faut que les décisions politiques y pourvoient. Notamment en prenant davantage en considération les questions logistiques, comme par exemple la collecte en zone de montagne ou en- core les problèmes d’installation avec le poids des investissements induit. L’idée directrice est de conserver sur l’ensemble des régions une agriculture rémunératrice et vivante, avec des productions diversifiées, à l’image des AOP qui sont liées aux territoires. Toutes ces filières devraient davantage être mises en valeur dans une stratégie conçue pour les développer, y compris vers l’international. Les résultats obtenus dans la viticulture, pour le champagne ou le cognac, incarnent d’excellents exemples de réussite.

Le deuxième axe de réflexion invite à se poser la question de la compétitivité de notre agriculture. Face à la mondialisation, et au défi alimentaire qui se présentera dans les années à venir, avec une augmentation de la population de deux milliards d’individus dans les trente prochaines années, et une classe moyenne mondiale en forte progression dans tous les pays, il serait erroné d’accepter que l’agriculture française devienne le laboratoire d’expérimentation des adeptes de la décroissance. Avec une demande alimentaire mondiale accrue, l’agriculture française a de très beaux jours devant elle. Mais cet avenir souriant ne se réalisera que si nous sommes en mesure d’évaluer notre capacité productive et d’analyser les raisons des écarts de compétitivité. En effet, nous ne pouvons pas nous contenter de constater simplement qu’il y a, entre la France et la Pologne par exemple, 75% d’écart sur le coût de la main-d’œuvre utilisée dans le secteur de l’arboriculture, tandis qu’avec l’Allemagne, l’écart est de 25 % et avec l’Italie de 37 %. Tous ces pays font partie de l’Union européenne, et une telle disparité n’est pas acceptable ! Nous devons réfléchir à des systèmes permettant de la corriger. En outre, la compétitivité passant aussi par l’investissement, nous devons instaurer un climat économique et social qui lui soit propice. Sans exclure les aides financières, d’autres moyens pourront également être mis à la disposition des exploitations et des entreprises dans le secteur agro-alimentaire. Dans le dessein, notamment, de favoriser une agriculture exportatrice. Dans de très nombreux secteurs, tel celui des semences, l’agriculture participe déjà à l’excédent commercial, et nous devons nous appliquer à relancer d’autres domaines, pour l’heure en perte de vitesse, comme la volaille par exemple.

Le Président Macron semble faire de la «montée en gamme» l’axe prioritaire de sa politique agricole. Qu’en pensez-vous ?

Personnellement, je ne crois pas qu’orienter l’agriculture vers une « montée en gamme» suffise à résoudre nos problèmes. Je suis même persuadé que c’est une bêtise, et cela pour une raison très simple: il suffit de comparer nos produits à ceux proposés dans le reste du monde pour constater qu’il y a bien longtemps déjà que notre agriculture est « montée en gamme » ! Jamais, en effet, nous n’avons eu une agriculture aussi sécurisée du point de vue sanitaire ni bénéficié d’une telle variété dans l’offre alimentaire. Comme le rappelle Frédéric Denhez, chroniqueur sur France Inter, dans l’un de ses derniers livres, on estime que dans les années 1950 il y avait environ 15000 décès par an à la suite d’intoxications alimentaires. Aujourd’hui, ce chiffre est tombé à moins de 350 victimes par an !

Personnellement, je ne crois pas qu’orienter l’agriculture vers une « montée en gamme » suffise à résoudre nos problèmes. Je suis même persuadé que c’est une bêtise, et cela pour une raison très simple: il suffit de comparer nos produits à ceux proposés dans le reste du monde pour constater qu’il y a bien longtemps déjà que notre agriculture est « montée en gamme » !

Depuis des décennies, les pouvoirs politiques se sont montrés bien trop silencieux : en ne prenant pas suffisamment la défense de l’agriculture, ils ont ainsi laissé le champ libre aux discours anxiogènes sur l’alimentation. Notre tort, pendant trop longtemps, a été de présenter notre agriculture sous un angle passéiste délivrant le message du « c’était mieux avant ». Nous n’avons pas su communiquer autour des évolutions de l’agriculture, ce qui a entraîné comme conséquence qu’aujourd’hui la société fantasme sur une agriculture qui n’a jamais existé… C’est à cette chimère que semble répondre la « montée en gamme » proposée par Emmanuel Macron.

Car, soyons réalistes, la montée en gamme, vers le bio par exemple, a aussi ses limites. Ainsi, en 2018, alors que le blé était payé à la récolte autour de 550 euros la tonne en France, sur le marché international, on pouvait en acheter à 375 euros la tonne. Idem pour le lait. Savez-vous que l’année dernière, une coopérative laitière française a déclassé environ 40 millions de litres de lait bio faute de trouver des clients? Ce qui a engendré pour la coopérative en question une facture de 5 millions d’euros. Même en forte progression, le marché du bio ne permet donc pas d’écouler toute la production française ! En outre, notre marché n’étant pas protégé, il va inévitablement se trouver en concurrence avec des producteurs bio largement plus compétitifs. Vous pensez bien que produire du blé bio sur les terres fertiles d’Ukraine est bien plus rentable que sur nos petites parcelles… Je me pose donc la question de savoir si nous ne commettons pas une erreur stratégique en misant sur une «montée en gamme » – avec une augmentation du prix de revient en raison d’une baisse de rendement pas toujours compensée par un meilleur prix de vente – qui a pour effet de détricoter des filières qui sont le fruit de plusieurs décennies d’efforts continus. Or, ces filières nourrissent une activité économique répartie sur l’ensemble du territoire, par la présence, notamment, de nombreux sites de transformation agro- alimentaire. Prenez par exemple la coopérative Sodiaal, que je connais bien, qui dispose de 72 sites industriels répartis dans tout le pays, et particulièrement sur des zones économiquement défavorisées. D’un point de vue politique, il est déterminant de réfléchir aux moyens de préserver cet extraordinaire outil, qui nous évite par exemple de faire parcourir 5 000 km à un produit laitier. Ce réseau national constitue même un atout formidable pour réussir la transition écologique. Il ne s’agit pas toutefois d’envisager encore et encore des soutiens financiers, mais plutôt de garantir un climat serein en restant prudent sur l’excès de réglementations ou de normes. Je pense particulièrement à l’affaiblissement de ces structures – coopératives et négoces – qui sera la conséquence de la séparation de la vente et du conseil sur les produits phytosanitaires ou encore de l’usine à gaz que représentent les certificats d’économie de produits phytopharmaceutiques (CEPP).

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Que pensez-vous de la loi Egalim, qui a pour objectif de mieux rémunérer les agriculteurs ?

Adoptée par le Parlement en octobre 2018, la loi Egalim vise en effet à mieux équilibrer les relations commerciales entre les producteurs et les centrales d’achats, dans le but de remédier aux problèmes inhérents au système de commercialisation français. Une foultitude de mesures ont donc été adoptées pour aboutir à une augmentation des revenus des agriculteurs. Cependant, on se rend compte, d’ores et déjà, que la puissance des centrales d’achats et des marques de distributeurs est telle que, au lieu d’avoir un ruissellement qui permette une augmentation du prix d’achat pour le producteur, on assiste à une captation de la valeur ajoutée par les grandes surfaces, qui vont s’en servir pour faire des remises sur des produits non alimentaires.

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Pour ma part, je pense qu’il aurait été préférable de s’inspirer de ce qui se fait aux États-Unis avec le système de bons alimentaires (Food Stamp). Selon les chiffres du ministère de l’Agriculture américain, près de cinquante millions d’Américains, soit pratiquement un Américain sur six, bénéficient de bons permettant d’acquérir certains produits alimentaires, dans le cadre du programme SNAP d’assistance supplémentaire à l’alimentation. Ceux-ci sont attribués en fonction d’un plafond mensuel de ressources et selon la taille de la famille (250 dollars d’allocation environ pour un revenu de 2 500 dollars dans une famille de 4 personnes).

Ainsi, au lieu de verser une indemnité en numéraire à ceux qui sont dans des situations précaires, nous pourrions mettre en place un système permettant de fournir une partie de cette aide sous forme de bons d’achats pour des denrées alimentaires issues de notre agriculture. Certes, il reste à réfléchir sur les fondements juridiques d’une telle mesure, mais je pense néanmoins que c’est une piste intéressante à suivre, notamment parce qu’elle présente l’avantage d’orienter les aides financières sur des produits français, alors qu’aujourd’hui, financées en fin de compte par nos impôts, celles-ci peuvent tout autant servir à acheter des produits importés, fruits d’accords internationaux concurrençant nos producteurs. Ce système devrait également pouvoir réorienter les achats de la restauration hors foyer, qui se fournit pour 80% en ce qui concerne la viande de bœuf et 100% pour les poulets congelés à partir de l’étranger. Avec ces bons alimentaires, nous ferions diminuer de façon significative l’importation de ce genre de denrées en redonnant de l’oxygène à nos producteurs.

La puissance des centrales d’achats et des marques de distributeurs est telle que, au lieu d’avoir un ruissellement qui permette une augmentation du prix d’achat pour le producteur, on assiste à une captation de la valeur ajoutée par les grandes surfaces.

Vous parliez au début de notre entretien de « l’agribashing ». Que proposez-vous concrètement pour y mettre un terme?

Dans un premier temps, nous devrions faire un état des lieux de tout ce qui a déjà été accompli en matière de protection de l’environnement et de bien-être animal. Cela permettrait de montrer de manière pédagogique tout ce que l’agriculture a apporté depuis ces cinquante dernières années. De la sorte, au lieu d’être sans cesse dans une écologie punitive, on s’orienterait, à partir d’un préalable positif, vers une écologie incitative. Pour redonner aux agriculteurs fierté et confiance, il est indispensable que la société établisse le constat de ce qui a déjà été réalisé grâce aux efforts du monde agricole. C’est d’autant plus important qu’il existe aujourd’hui un écart très grand entre la vie d’un agriculteur – une profession qui demeure difficile à exercer – et le reste de la société. Non seulement en ce qui concerne le temps de travail, très loin des 35 heures réglementaires, mais aussi plus généralement quant au niveau des revenus, à la couverture sociale, aux droits à la retraite, sans oublier l’accès aux réseaux sociaux ou encore les loisirs et la capacité de prendre des vacances. À tous ces égards, l’agriculture reste une activité très particulière, ancrée dans la ruralité.

Et dans un second temps, il faudrait démontrer que l’agriculture est également un métier qui évolue, réclamant science et innovation. D’où la nécessité absolue pour les pouvoirs publics de définir un cadre offensif dans une stratégie ouverte à l’innovation. Des projets très intéressants existent déjà autour de la robotique, par exemple, avec des pulvérisateurs qui seront en mesure de reconnaître la nature de l’adventice, afin d’apporter en temps réel la juste dose du bon produit pour la détruire. Avec ce genre de technologie, pourquoi devrait-on se priver de la chimie de synthèse ? D’ailleurs, laisser croire que nous allons pouvoir nous passer entièrement de solutions chimiques relève du mensonge. Ainsi, la suppression du glyphosate pose de très sérieuses questions sur la maîtrise du chiendent. Sans parler du chardon et de la folle avoine, déjà résistante à diverses familles d’herbicides. Pour l’élevage, la robotique permettra également de faciliter le travail. Les nouvelles générations de robots de traite ou de distributeurs d’aliments lactés pour les veaux en offrent d’ores et déjà d’excellents exemples.

Il faut mentionner, en outre, tout le progrès opéré dans les méthodes de sélections variétales, qui évoluent au rythme de la science. Je pense ainsi aux méthodes les plus récentes de l’édition du génome. S’en priver serait une erreur stratégique considérable. D’une façon générale, je constate que grâce à la science – la chimie, l’hygiène de vie, la mécanisation –, notre espérance de vie a considérablement augmenté au cours du siècle dernier puisqu’elle a atteint, en France, 79,5 ans pour les hommes et 85,4 ans pour les femmes en 2018.

Bref, je ne vois aucune raison valable pour que l’agriculture soit le seul secteur économique à ne pas profiter des apports de l’innovation et de la science. Là aussi, il faut que le message délivré soit parfaitement clair.

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