Tout comme l’étude du département d’agriculture américain (USDA), un rapport du Coceral met en garde contre les conséquences économiques du Green Deal proposé par la Commission européenne
Lors d’un webinaire organisé le 23 juin par le Coceral (Comité du commerce des céréales, aliments du bétail, oléagineux, huile d’olive, huiles, graisses et agrofournitures), l’économiste Oliver Balkhausen, responsable de la recherche chez ADM Europe, a présenté les principales conclusions d’un travail collectif concernant les impacts de la stratégie « De la ferme à la table » sur les marchés des céréales et des oléagineux.
Quatre scénarios, dont un « extrême », ont ainsi été étudiés, se basant sur l’ambition de la Commission européenne de convertir 25 % des surfaces agricoles européennes en bio, de diminuer de 50% l’usage et le risque liés aux pesticides de synthèse, de réduire de 20 % l’utilisation d’engrais, et de consacrer 10 % de la SAU à des « surfaces d’intérêt environnemental ».
Des conclusions sans appel
« Il y a des limites à cet exercice, étant donné les nombreuses incertitudes qui découlent de la mise en application par les différents pays de l’UE du Green Deal à travers la PAC », a tenu à préciser Oliver Balkhausen.
Toutefois, les résultats de ces projections sont sans appel : l’ensemble des scénarios conclut à une baisse de production à l’horizon 2030 : 109 millions de tonnes de blé pour le scénario médian – et qui est aussi le plus probable – contre les 128 millions envisagés par l’UE (soit 15 % de moins); 59 millions de tonnes de maïs contre 68 millions (soit 19% de moins) ; 43 millions de tonnes d’orge contre 51 millions (soit 16 % de moins); et 24 millions contre 30 millions pour les oléagineux (soit 17 % de moins), avec un écart plus considérable pour le colza (11 millions contre 16 millions) que pour le tournesol et le soja, sur lesquels les projections de la Commission et de l’étude s’accordent à peu de chose près.
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Ces pourcentages de baisse ont été calculés par l’étude du Coceral au niveau européen, sachant que les impacts sur la production seront cependant différents d’un pays membre à un autre, selon le rendement de départ de chaque pays.
Ces conclusions vont dans le même sens que celles établies par le département de l’agriculture américain (USDA) qui estime, pour sa part, que « la baisse de la production agricole dans l’UE serait comprise entre 7 et 12 % ». Les auteurs du rapport américain notent également que « la baisse de la production agricole entraînerait un resserrement de l’offre alimentaire de l’UE, qui se traduirait par une hausse des prix ayant une incidence sur le budget des consommateurs ».
La consolidation de ces chiffres entraîne une différence radicale d’appréciation concernant le solde commercial. Alors que la Commission, dans ses dernières projections de décembre 2020, table sur des exportations de céréales de l’ordre de 18 millions de tonnes, l’étude prévoit plutôt une baisse de 18 millions de tonnes pour le scénario médian ( moins 1 million de tonnes pour le plus optimiste, et moins 76 millions de tonnes pour le plus pessimiste ).
« D’après notre analyse, les importations d’oléagineux pourraient ainsi monter à 27 millions de tonnes, voire même 29 millions contre les 22 millions qu’estime la Commission », déplore Oliver Balkhausen, qui craint que l’UE soit ainsi contrainte d’importer plus de 10 millions de tonnes de colza, ce qui provoquerait inévitablement une hausse des prix sur le marché domestique européen.
D’autant que, le Canada ayant repris ses exportations vers la Chine, la demande mondiale ne devrait pas décroître. Un comble au regard de l’ambition affichée par l’UE, et par la France, de réduire la dépendance à l’égard des importations de protéagineux !
En effet, la réduction de la production de colza ne ferait qu’accroître les importations de matières premières protéiques, dont la demande ne pourra pas être satisfaite par des sources alternatives, comme le soja européen ou les protéines d’insectes, déjà utilisées en aquaculture, ni par l’utilisation de protéines animales transformées provenant de non-ruminants pour l’alimentation des volailles et des porcs, dont la proposition émanant de la Commission européenne vient d’être validée par la commission de l’environnement du Parlement européen.
Sur les marchés internationaux
« Ce manque de production aura également des conséquences sur les marchés internationaux », a ensuite souligné Giorgio Dalla Bona, le président de Cereal Docks International en Italie. « Si l’Union européenne n’est plus en mesure d’approvisionner les régions du monde les plus démunies en aliments de base, tels que le blé, d’autres régions devront mettre des terres supplémentaires en production. Ce sera le cas, par exemple, du Kazakhstan, où les rendements en blé sont un cinquième de ceux de l’Europe, ce qui signifie que cinq fois plus de terres devront être utilisées pour produire la même quantité de blé », note ainsi l’expert.
Enfin, en ce qui concerne le maïs, les experts craignent qu’avec une augmentation des besoins dans l’UE, déjà actuellement un importateur net, des tensions apparaissent au regard des importations de la Chine qui devraient rester élevées. « Reste à savoir si les pays exportateurs, comme les États-Unis, le Brésil ou l’Ukraine, seront en mesure de répondre à la demande mondiale », s’interroge Giorgio Dalla Bona. On peut donc redouter une atteinte à la sécurité alimentaire mondiale, au vu de la place importante qu’occupe aujourd’hui l’UE dans les échanges mondiaux agricoles et agro-alimentaires.
En réalité, la Commission table sur le fait que le besoin en surfaces agricoles pour nourrir les citoyens européens sera diminué en raison de l’évolution démographique (1,5 enfant par femme en Europe) combinée à la lutte contre le gaspillage et à l’évolution des modes de consommation vers une alimentation moins carnée.
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Dans son document de décembre 2020, la Commission postule également que, grâce à l’augmentation des rendements due aux « meilleurs systèmes de rotation des cultures, à une meilleure gestion des sols et une utilisation accrue des outils d’aide à la décision (…), la production céréalière totale de l’UE devrait rester stable à 277 millions de tonnes ». En outre, l’augmentation considérable des surfaces en bio devrait s’accompagner d’un encouragement massif au passage à la consommation bio, par définition plus onéreuse pour le consommateur.
En fin de compte, la Commission prône donc une politique agricole qui rendra incontestablement la nourriture plus chère, alors que la crise du coronavirus a mis en lumière avec évidence les difficultés financières d’une partie des consommateurs européens.