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Interdiction du phosmet : une mauvaise nouvelle pour l’environnement

Bien qu’attendue, la suppression du phosmet entraîne des conséquences en cascade pour l’ensemble de la filière colza, avec une diminution des surfaces cultivées à prévoir dans les prochaines années

Depuis le retrait du Patton (chlorpyriphos-méthyl) en 2020, le phosmet représentait la dernière solution réellement efficace pour lutter contre les grosses altises du colza, un coléoptère de 3 à 5 mm baptisé Psylliodes chrysocephala, reconnaissable à son corps noir et brillant aux reflets bleu métallique.

Ce véritable fléau touche principalement les agriculteurs du centre-est de la France, la zone historique de la production du colza. Mais pas seulement : d’autres régions, comme le Poitou-Charentes ou la Vendée, subissent également une attaque forte et récurrente d’altises.

La suspension européenne de ce produit – qui, rappelons-le, a été utilisé pendant plus de vingt-cinq ans sans susciter la moindre alerte sanitaire –, actée ce mois de janvier en raison d’un profil écotox ne satisfaisant plus aux exigences d’aujourd’hui, est une très mauvaise nouvelle pour la filière. « L’arrêt du phosmet est un problème majeur pour continuer à cultiver du colza », s’inquiète avec raison François Arnoux, un agriculteur vendéen.

Face aux incertitudes planant sur leurs récoltes, certains agriculteurs de ces zones, privés de tout moyen de protéger correctement leur culture, vont en effet inévitablement devoir diminuer leur assolement. « Nous estimons qu’un quart des surfaces sont aujourd’hui menacées, surtout la zone bourguignonne autour de l’Aube où, sans moyen de protection, il n’y aura tout simplement plus de production de colza », déplore Gilles Robillard, président de Terres Inovia, l’institut technique de la filière des huiles et protéines végétales. « Pour la Haute-Marne, c’est la fin annoncée de la culture du colza. Car, si c’était déjà compliqué avant, sans solutions, ce sera clairement impossible », confirme Mickael Masselot, producteur de céréales à Dommartin-le-Franc, qui en conclut que, pour « les zones intermédiaires, cette interdiction va entraîner une culture de moins dans les assolements ».

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« Ce qui est en jeu aujourd’hui, ce sont les récoltes de 2023 », prévient Gilles Robillard. Rémi Dumery, exploitant d’une vingtaine d’hectares de colza dans la Beauce, zone pourtant encore peu impactée par les altises, incarne l’exemple parfait de ce que le président de Terres Inovia redoute.

« Si, en octobre, mon colza n’est pas suffisamment levé et résistant à la pression des altises, je le détruirai pour le remplacer par du tournesol ou du blé, même si cela implique la perte d’une tête de rotation dans mon assolement », explique Rémi Dumery

« Pour la prochaine récolte, les semis auront lieu en août 2022, et si, en octobre, mon colza n’est pas suffisamment levé et résistant à la pression des altises, je le détruirai pour le remplacer par du tournesol ou du blé, même si cela implique la perte d’une tête de rotation dans mon assolement », explique l’agriculteur. « La suppression du phosmet est un outil de moins dans ma panoplie d’outils, ce qui va encore confirmer la tendance que j’ai depuis trois ans à plutôt diminuer ma sole de colza de 10 à 20 % chaque année », confirme pour sa part Bruno Cardot, producteur de céréales dans l’Aisne. D’autres, comme Dominique Rousseau, agriculteur dans la Sarthe, au sud du Mans, ont déjà arrêté cette culture, estimant qu’elle exigeait « trop d’interventions pulvé, alors que je suis en zone périurbaine ».

Des pertes de production inévitables

Il va de soi que l’institut Terres Inovia est pleinement mobilisé pour trouver des solutions agronomiques (semis précoces ou avec des plantes pièges, variétés plus résistantes), mais celles-ci n’apporteront toutefois que des compensations partielles, ainsi que le reconnaît Gilles Robillard. « Nous sommes bien conscients qu’aujourd’hui, nous n’avons pas la capacité de remplacer les pertes dues à la suppression du phosmet », admet l’expert. Et le temps que de futures solutions soient disponibles, la filière espère bien obtenir une dérogation « au titre de l’article 53 du règlement sur les produits phytosanitaires », pour pouvoir utiliser dès septembre prochain le cyantraniliprole, molécule en attente d’une homologation par l’Anses. Sauf que la filière n’a absolument aucune garantie que le produit sera réellement disponible pour le monde agricole : « On a vu certaines homologations récentes être recalées par la justice », rappelle Rémi Dumery.

« En outre, cette molécule est clairement moins efficace que le phosmet, » remarque Gilles Robillard. « Même avec des préjudices moins importants, une protection des cultures moins efficace limite le potentiel de rendement de la plante, ce qui va nécessairement induire une perte de rendement à l’hectare », souligne encore l’expert. Or, toute perte de productivité est en soi une mauvaise nouvelle pour le climat et pour la biodiversité, puisque cela implique notamment de consacrer davantage de surface agricole pour la même quantité produite.

Et ce n’est pas tout. Jean-Marc Leluc, agriculteur dans le Loiret, rappelle que l’un des moyens de protéger le colza se révèle déterminant au début de la saison : « Pour résister plus facilement aux attaques des morsures et de la défoliation des plantes par les ravageurs, il faut que les plantes soient résistantes et poussent vite au démarrage. Pour ce faire, il faut pouvoir leur garantir un accès idéal en azote, précisément ce que la directive Nitrates nous interdit ! »

Des effets en cascade

Autrement dit, la non-réapprobation du phosmet officialisée le 24 janvier signe de facto une baisse de la quantité de colza produite en France. Une aberration qui va provoquer un effet domino sur la filière tout entière, mais aussi sur d’autres filières.

Qui dit baisse de production globale en France, dit en effet baisse de trituration, et par conséquent moins de biocarburant pour davantage d’importations de pétrole, mais aussi moins de protéines pour l’alimentation du bétail français avec davantage d’importations de soja issu des pays d’Amérique latine.

« Avec les pouvoirs publics, nous avons mis en place une ambition plan protéines, dont la faisabilité est aujourd’hui remise en question par cette interdiction », note Arnaud Rousseau, président du groupe Avril, qui estime que « notre objectif de souveraineté en protéines est ainsi vraiment remis en question ». À cela s’ajoute le fait qu’une baisse de production du colza entraînera moins de nourriture pour les abeilles domestiques. « Sachant que le colza reste leur première source d’alimentation au printemps, tant en quantité qu’en qualité, et qu’il est essentiel d’avoir une ruche en bonne forme au printemps pour garantir ensuite la production de miel de chataîgnier ou d’acacia, une baisse de surfaces de colza est également un coup dur pour la filière apicole et pour le plan pollinisateur », regrette Gilles Robillard.

Pourtant, depuis 2018, l’érosion des surfaces de colza est déjà considérable : « Nous avons perdu autour de 400000 ha sur 1,5 million en quatre ans. Soit plus de 25 % », observe Arnaud Rousseau, « et alors que notre plan protéines devait inverser la tendance, la suppression du phosmet n’est certainement pas de nature à aller dans le bon sens, quoique le président Macron ne cesse de répéter qu’il ne doit y avoir aucune interdiction sans solution… »

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