Le secteur agricole n’est pas épargné par la diffusion de fake news. Mais souvent, l’agribashing repose sur une manipulation, bien plus insidieuse, d’informations exactes
En avril 2021, la réalisatrice Myriam Tonelotto a procédé à une mise en cause du docu-fiction An Zéro. Comment le Luxembourg a disparu, qu’elle avait pourtant coréalisé avec Julien Becker pour Arte. Amputé d’un tiers de son information scientifique, « le résultat final est un film antinucléaire, catastrophiste, bête et larmoyant de plus », déplorait ainsi la réalisatrice. Et d’accuser la chargée de programme de l’époque d’avoir imposé « des réécritures de fond au film, selon ses opinions personnelles ».
« Elle voulait intégrer des éléments scientifiquement faux, mais faisant écho à une vision dominante chez le public allemand », poursuit Myriam Tonelotto. Plus récemment, la réalisatrice a publié sur son compte Linkedin un texte où elle décrypte le documentaire Nucléaire : une solution pour la planète ?, également diffusé sur Arte. Son objectif était de faire la « démonstration de la puissance d’un des vecteurs de l’ignorance : l’élision ». Autrement dit : « Comment l’omission d’informations clefs, sans recourir à aucune infox, crée la plus efficace des désinformations. » Myriam Tonelotto s’est intéressée en particulier à une mesure de radioactivité réalisée en janvier 2019 sur la Loire, à Saumur, qui affichait un taux de 300 Bq/litre, radioactivité due à la présence de tritium. Une information qui a été commentée de façon hautement anxiogène dans le documentaire d’Arte. Or, Myriam Tonelotto a dénombré pas moins de huit omissions d’informations essentielles qui auraient permis de rassurer le téléspectateur. Notamment, le fait qu’il faudrait, pour atteindre le seuil de nocivité, boire pendant un an 66 litres d’eau chaque jour, en supposant qu’elle demeure à ce niveau exceptionnel de 300 Bq/l !
Des chiffres hors contexe
Sélectionner certains chiffres et les présenter de façon anxiogène, en prenant soin d’éviter de fournir toute information qui permettrait de nuancer voire de rassurer : telle est précisément la méthode que l’on trouve régulièrement employée dans les campagnes contre les pesticides.
Ainsi, ce sont les chiffres de pourcentage d’aliments où l’on a trouvé au moins un résidu de pesticides, et le nombre de résidus trouvés dans chaque aliment, qui sont toujours mentionnés, tandis que le volume de résidus véritablement consommés n’est jamais évoqué. Et pour cause, car les quantités de résidus ingérées sont toujours infinitésimales ! Par exemple, dans une de ses « études » sur les mueslis non bio, Générations Futures (GF) explique avoir trouvé au total 141 résidus dont 70 ont pu être quantifiés. Mais si ces chiffres sont bien exacts, en volume, il s’agit en moyenne de 0,177 mg de résidus de pesticides par kilo de muesli. Autrement dit, un bol de céréales normal (45 g) contient 0,000008 g de pesticides. Huit millionièmes de gramme! C’est l’équivalent d’un cachet de paracétamol qui serait partagé entre 125 000 personnes ! Prétendre que ce muesli serait « gorgé », « gavé » ou « saturé » de résidus est tout simplement mensonger puisque ceux- ci ne représentent que 0,0001 % du produit.
La quantité de pesticides utilisée incarne un autre bel exemple de ce genre de manipulation. Car, si on ne compte plus le nombre de fois où il est affirmé que la France serait le plus gros consommateur de pesticides en Europe, rarement ce chiffre est rapporté à la surface cultivée. Ainsi, les 85 000 tonnes de pesticides utilisées – chiffre parfaitement correct – devraient systématiquement être corrélées avec les 27 millions d’hectares de la surface agricole utilisée (SAU), ou avec 20 millions d’hectares, si l’on soustrait les prairies permanentes et autres surfaces agricoles utilisées hors exploitation. Rapportée à l’hectare, la consommation française se situe juste au-dessus de la moyenne européenne, avec 3,1 kilos de produits phytosanitaires par hectare. Loin derrière l’Irlande, le Portugal, la Belgique, les Pays-Bas ou l’Italie. À cela s’ajoute le fait que l’usage de produits phytosanitaires dépend également du type de culture et du climat. Comparer la France avec la Suède est aussi ridicule que de comparer l’usage d’un médicament par un malade et une personne en bonne santé.
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De même, s’appuyant sur une étude de l’Anses, Générations Futures a récemment affirmé que « la quantité totale de cuivre utilisée en agriculture non bio est 4,37 fois plus importante que celle utilisée par l’agriculture bio à l’échelle du pays ». En l’occurrence, 919 tonnes de cuivre en conventionnel contre 210 tonnes en bio. Certes… Sauf que, une fois de plus, rapportée à la surface, l’agriculture bio est la championne de l’usage des solutions à base de cuivre. Ce que n’ignore d’ailleurs pas GF, puisque l’étude citée indique que la dose moyenne de cuivre par campagne est plus élevée en bio qu’en conventionnel, comme l’attestent les chiffres les plus récents : +96,15 % pour la vigne bio, +418,3 % pour la carotte bio, +168,4 % pour la salade bio, +88,4% pour la fraise bio, etc.
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Les biais cognitifs
Pourquoi alors tant de journalistes reprennent-ils ces informations sans aucune analyse ni critique ? Myriam Tonelotto apporte une part de la réponse. Selon la réalisatrice, si le travail du journaliste consiste bien à « confronter le spectateur à une nouvelle façon de penser, à quelque chose à laquelle il n’est pas habitué, quelque chose qui ne va pas renforcer ses biais cognitifs », elle reconnaît que « malheureusement, cette démarche implique de sortir de sa zone de confort pour le spectateur, et la pression à la fois publicitaire, médiatique, etc., fait que de moins en moins on souhaite confronter le spectateur à quelque chose d’inconfortable ».
La force des associations anti-pesticides est donc d’avoir construit une vision erronée, simpliste et manichéenne qui s’est peu à peu imposée par la répétition des campagnes et le manque de réaction de l’ensemble des acteurs de la profession agricole, qui, aujourd’hui, en payent le prix fort…