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Dérogations sur les pesticides : l’avocat général de la Cour de justice de l’UE plaide pour un encadrement plus strict

Dans un communiqué paru le 12 septembre 1, l’association de lobbying européen contre les pesticides PAN Europe se félicite de l’avis rendu par l’avocat général de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), qui conseille à la Cour de définir, de manière restrictive, la possibilité pour les États membres de prévoir des dérogations pour les pesticides.

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Le 8 septembre 2022, l’avocat général de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a donc rendu son avis dans le dossier relatif aux dérogations de pesticides accordées par les États membres. Saisie par la Cour administrative belge, suite à une procédure judiciaire engagée par Pesticide Action Network Europe (PAN Europe) et Nature et Progrès Belgique, la CJUE doit en effet se prononcer sur cinq questions préliminaires, dont une permettant de clarifier si un danger « prévisible, ordinaire et même cyclique » est suffisant pour justifier une dérogation. Pour l’avocat général, la réponse est négative : « Une autorisation d’urgence au titre de l’article 53, paragraphe 1, du règlement n° 1107/2009 ne peut être octroyée qu’à titre exceptionnel. Un danger habituel, qui survient fréquemment, ne constitue pas un cas exceptionnel et n’est donc pas suffisant 2 », note-t-il. Présenté sous cet angle, son avis semble au demeurant assez logique.

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« Les conclusions de l’avocat général recommandent à la Cour de préciser que les dérogations ne peuvent être utilisées qu’à titre exceptionnel et non pour des organismes nuisibles apparaissant chaque année », se félicite PAN Europe, dans un communiqué de presse en date du 12 septembre. « S’il est suivi par la Cour, cet avis empêchera les États membres d’abuser du système de dérogation comme ils le font systématiquement », précise Martin Dermine, coordinateur de PAN Europe.

Un « abus » qui semble ne pas épargner non plus la filière bio ! Faute d’avoir des traitements adéquats contre certains prédateurs, l’Institut technique de l’agriculture biologique (Itab) dépose en effet chaque année des dossiers de dérogations à la direction générale de l’Alimentation (DGAL) pour permettre aux agriculteurs ayant choisi l’agriculture biologique d’avoir accès notamment à l’azadirachtine, l’une des matières actives de l’huile de neem. Bien que ce produit soit utilisé partout dans le monde, y compris dans le champ de la médecine humaine, ses effets multiples sont très largement documentés. Il est notamment connu pour représenter un danger pour les abeilles 3 , pour provoquer des perturbations endocriniennes en féminisant certains insectes mâles 4 , ou encore pour provoquer des lésions du foie et des poumons chez certains mammifères 5 . Dans une étude de Herbert S. Rosenkranz et Gilles Klopman publiée en 1995, l’azadirachtine est même qualifiée de carcinogène génotoxique 6.

Malgré cela, depuis au moins l’année 2015, l’Itab dépose systématiquement une demande d’autorisation de son usage, estimant que, sans cette dérogation, les agriculteurs bio seraient démunis pour protéger leurs cultures de pommes, de poires, de clémentines ou encore de pomelos, contre les pucerons.

Et ce n’est pas tout : pour 2022, l’Itab a obtenu pas moins de douze dérogations concernant différents produits, notamment le spinosad, dont la toxicité pour les abeilles fait également débat. En 2021, trente dérogations ont été concédées par la DGAL à la filière bio, portant souvent sur les mêmes produits. La raison en est simple : sauf dans les cas exceptionnels où la recherche – et les multinationales de la chimie – ont réussi à apporter une solution aux impasses techniques auxquelles étaient acculés les producteurs agricoles, les problèmes persistent d’une année sur l’autre ! D’où la nécessité de renouveler les dérogations.

Reste à savoir si la CJUE, qui rendra son arrêt d’ici quelques mois, suivra effectivement l’avis de l’avocat général. Si tel est le cas, ainsi que le souhaiterait PAN Europe, l’Itab n’aura donc plus la possibilité de procéder à ces demandes annuelles. Une perspective qui ne constituerait pas vraiment une très bonne nouvelle pour les agriculteurs bio…

Notes

  1. Communiqué de presse de PAN Europe, « EU Advocate General recommends to strongly limit the use of pesticide derogations », 12 septembre 2022.
  2. Conclusions de l’avocate générale Mme Juliane Kokott, présentées le 8 septembre 2022, Affaire C162/21
  3. Christine Y. S. Peng et al., « The effects of azadirachtin on the parasitic mite, Varroa jacobson and its host honey bee (Apis mellifera) », Journal of Apicultural Research, Vol. 39 (3-4) pp. 159-168, Janvier 2000.
  4. Shakti N. Upadhyay et al., « Antifertility Effects of Neem (Azadirachta indica) Oil in Male Rats by Single Intra-Vas Administration : An Alternate Approach to Vasectomy », Journal of Andrology, juillet-août 1993.
  5. M. F. Rahdan et M. K. J. Siddiqui, « Biochemical effects of vepacide (from Azadirachta indica) on Wistar rats during subchronic exposure », Ecotoxicol. Environ. Saf., novembre 2004
  6. Herbert S. Rosenkranz et Gilles Klopman, « An examination of the potential “genotoxic” carcinogenicity of a biopesticide derived from the neem tree », Environ. and Mol. Mutagen., 1995.
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