Dans le cadre du règlement SUR ( Règlement utilisation durable des pesticides ), adaptation de la directive SUD (Sustainable Use of pesticides) proposée par la Commission européenne, qui programme à l’horizon 2030 une réduction de 50% de l’usage des pesticides, un bras de fer s’est engagé entre la commissaire à la Santé et à la Sécurité sanitaire, Stella Kyriakides, et une grande majorité des États membres
Voir aussi : Révision du règlement européen sur les pesticides
Lors du conseil des ministres européens de l’Agriculture qui s’est tenu le 26 septembre dernier, une vingtaine d’États ont demandé à la Commission d’approfondir l’analyse de l’impact de la réduction de l’usage des pesticides prévue dans le projet de règlement SUR, élaboré par la DG Santé, sous la direction de Stella Kyriakides.
« La Pologne veut que la Commission réexamine son étude d’impact pour prendre en compte les conséquences de la guerre en Ukraine », note la revue spécialisée Contexte, qui constate que plusieurs pays, dont la Finlande, le Portugal et la Croatie, ont également pointé les « lacunes » de l’analyse, tandis que la Hongrie et la Lettonie regrettent « l’absence de données chiffrées sur l’impact économique de la proposition ». Le ministre luxembourgeois Claude Haagen a estimé pour sa part que les conséquences de ces réductions de production sur l’augmentation du prix des denrées alimentaires n’ont pas été suffisamment évaluées.
La « piètre qualité » de la proposition
Dans le prolongement de cette fronde organisée par la Pologne, Varsovie a interpellé le service juridique du Conseil sur la « piètre qualité » de la proposition de la DG Santé.
Ainsi, dans un document daté du 11 octobre, le gouvernement de Varsovie souligne que, au regard des « nombreuses phrases ambiguës utilisées par la Commission », il ne sera pas possible de mettre en œuvre correctement cette nouvelle législation, notamment en raison de l’imprécision des définitions relatives au « matériel d’application à usage professionnel » et aux « zones sensibles ». « La Pologne regrette également un manque de clarté concernant les justifications à apporter en cas d’utilisation de pesticides chimiques » dans ces zones, ainsi que le relate encore Contexte. L’exemple invoqué par la Pologne concerne l’autorisation d’appliquer des pesticides dès lors que « la présence d’un nombre suffisamment élevé d’organismes nuisibles » a été constatée. Une formulation qui est jugée trop floue par Varsovie : « Il est inacceptable que les destinataires du règlement […] ne puissent pas évaluer si leur activité est conforme à la loi », déplore ainsi le document.
Quant à la Slovénie, à l’occasion de la réunion du groupe de travail sur les pesticides du 11 et 12 octobre, elle a proposé de modifier la méthodologie pour calculer les objectifs de réduction des pesticides en prenant en compte les spécificités nationales. « La Slovénie a mis sur la table un amendement, qui reprend la formule de la Commission, considérant à la fois l’intensité de l’usage des pesticides et les progrès réalisés dans le passé, mais en rajoutant un coefficient correspondant à la quantité de produits phytosanitaires vendus dans un État, par rapport à la moyenne européenne », note Contexte. Elle propose en outre d’exclure du calcul les substances utilisées en bio.
Enfin, la Finlande et la Slovaquie ont interpellé la Commission en dénonçant la charge administrative induite par SUR. Du côté de la Finlande, on juge que le délai prévu pour la remise des Plans d’action nationaux (PAN), à savoir dix-huit mois, est trop court au vu des informations demandées aux États, tandis que la Slovaquie défend le même ajustement tout en exprimant des réserves sur l’obligation annuelle de rapport. « Elle regrette par ailleurs l’inclusion de l’objectif de 25 % des surfaces agricoles en bio dans les PAN », précise Contexte.
Le délicat sujet des zones dites « sensibles »
Et ce n’est pas tout ! Toujours, dans le cadre du groupe de travail du Conseil, la présidence tchèque a adressé aux États membres une note les invitant à faire part de leurs remarques sur l’interdiction des pesticides en zones dites « sensibles », dont la définition est détaillée dans l’article 3 du règlement SUR.
Lors du conseil de juillet, le ministre Vert allemand de l’Agriculture Cem Özdemir, par ailleurs fervent défenseur du Green Deal, avait déjà formulé ses propres réserves. « Je ne suis pas sûr que la Commission ait compris que sa proposition allait inclure un quart du territoire allemand dans cette stricte interdiction », a pour sa part remarqué André Prescher, de la Fédération allemande pour l’environnement et la protection de la nature (Bund), la plus grande association écologiste d’Allemagne, représentant le mouvement international des Amis de la Terre.
Une même crainte est exprimée par le Danemark qui, dans sa réponse à la présidence tchèque, s’inquiète de l’ampleur de la mesure : « L’inclusion de tout site protégé en vertu de la directive-cadre sur l’eau […] pourrait signifier que le Danemark dans son intégralité est une zone écologiquement sensible. » Copenhague souligne également la difficulté d’interdire les pesticides dans les espaces où vivent des pollinisateurs menacés : « Ces pollinisateurs sont susceptibles de changer de lieu au fil du temps ; cela signifie-t-il que l’interdiction […] doit se déplacer en même temps ? »
Enfin, la Finlande propose ni plus ni moins que la suppression de la mesure, soulignant que le règlement de 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytosanitaires encadre déjà leur recours dans les zones sensibles. « Autant les États sont assez divisés sur la méthodologie pour calculer les cibles nationales de réduction, mais sur l’interdiction totale des pesticides dans les zones sensibles, il y a peu de différences de positions : la mesure est inacceptable », résume une source diplomatique citée par Contexte.
Une majorité peu probable au Parlement européen
Mais le coup fatal porté à la proposition de la DG Santé pourrait bien venir du Parlement européen, qui est vent debout contre ce projet.
En effet, le 18 octobre dernier, lors de la réunion du groupe politique du PPE (qui réunit les principaux partis du centre et de la droite), puis à la réunion des eurodéputés PPE de la commission Agriculture, Stella Kyriakides a littéralement été invitée à retirer son projet, comme l’a indiqué le coordinateur du groupe en commission Agri, Herbert Dorfmann. « Amender la proposition ne sera pas suffisant », a souligné ce dernier, rappelant que, pour devenir un règlement, ce texte doit être approuvé par le Conseil et le Parlement. « Or, même amendée, je suis sûr que la proposition n’obtiendrait pas la majorité au Parlement européen », a-t-il ajouté.
En septembre dernier, le coordinateur du PPE pour la commission Environnement, Peter Liese, s’était déjà emporté contre le règlement SUR, jugeant la proposition sur les zones sensibles « disproportionnée » et « contreproductive ». « Il y a une énorme frustration des agriculteurs » a-t-il affirmé, mettant en garde la Commission face à « une vague de protestation qu’on ne pourrait pas contrôler ». Enfin, Ulrike Müller du groupe Renew, le groupe auquel appartient la LREM du Parlement, a estimé que l’objectif de réduction de 50% des pesticides d’ici 2030 a été « lancé au hasard ».
Il est donc d’autant plus dommage que, du côté français, le discours soit demeuré flou. Car, bien que le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau ait déploré le manque de précision de l’analyse sur l’interdiction des pesticides chimiques dans les zones sensibles, il n’a jamais fait montre d’une volonté de faire retirer ce « monstre bureaucratique », pour reprendre le terme employé par le président de la commission Agri, Norbert Lins. Un monstre qui s’inscrit clairement dans un projet décroissant, alors que le président de la République plaide pour une plus grande souveraineté alimentaire.