AccueilPesticidesInterdiction du S-métolachlore : un nouveau coup dur pour l’agriculture française

Interdiction du S-métolachlore : un nouveau coup dur pour l’agriculture française

Une semaine à peine après la grande manifestation des agriculteurs qui protestaient contre les contraintes imposées à la profession, « en particulier les restrictions d’usage des pesticides », l’Anses a annoncé le retrait prochain d’un des désherbants les plus utilisés en grande culture en France : le S-métolachlore. Le timing de cette annonce interpelle : y avait-il vraiment urgence ?

De l’aveu même de l’Anses, aucune alerte sanitaire ne justifie la procédure soudaine d’interdiction du S-métolachlore, cet herbicide de Syngenta, dont la procédure européenne pour le renouvellement de son autorisation de mise sur le marché (AMM) n’est pas encore arrivée à son terme.

« La présence du S-métolachlore […] est principalement une question de gestion réglementaire des eaux distribuées », note le rapport de l’Anses, qui précise qu’ « à ce stade, en l’absence de dépassement de Vmax dans les eaux destinées à la consommation humaine, la question posée par le S-métolachlore et certains de ses métabolites n’est pas d’ordre sanitaire ». Des propos confirmés par Charlotte Grastilleur, directrice générale déléguée en charge du pôle Produits réglementés à l’Anses, qui admet que cette présence « concerne uniquement la qualité de l’eau, pas sa potabilité ».

Lire aussi : Haro sur les métabolites de pesticides dans l’eau 

En clair, le S-métolachlore est dans le collimateur des autorités sanitaires pour la simple raison que sa présence dans les eaux pourrait devenir non conforme à la réglementation au cas où l’agence européenne des produits chimiques (Echa), qui a renforcé ses critères toxicologiques, lui attribuerait un classement C2 (susceptible de provoquer le cancer). Si tel était le cas, la molécule ne serait pas automatiquement interdite, mais tous les métabolites du S-métolachlore dans l’eau devraient alors rester au-dessous de 0,1 μg/L, sauf, bien entendu, si le propriétaire de la molécule était en mesure de fournir des études démontrant qu’aucun des métabolites n’est classé C2. Autrement dit, à ce stade, non seulement il n’y a aucun risque sanitaire, mais il n’y a même aucune non-conformité dans l’usage de cet herbicide !

Alors, pourquoi cette décision précipitée ? Tout simplement parce que les résultats des simulations réalisées par l’Anses suggèrent que « malgré un renforcement récent des conditions d’emploi, la limite de 0,1 microgramme par litre fixée par la législation européenne dans les eaux souterraines est dépassée pour trois métabolites du S-métolachlore ». Cela relève donc plutôt de l’anticipation, voire du principe de précaution, alors que les bénéfices de l’usage de cette molécule n’ont pas été mesurés en contrepartie des inconvénients. Une position inédite, validée, selon des rumeurs qui circulent, par le locataire actuel de la rue de Varenne, et qui fait suite au récent changement du directeur de l’agence française. C’est d’autant plus surprenant que les nouvelles mesures permettant de réduire considérablement ces traces de résidus dans l’eau ne sont entrées en vigueur qu’au début de l’année 2022, soit un laps de temps bien trop court pour conclure à un manque d’efficacité, comme l’estime Syngenta.

Décalage avec le calendrier européen

« Ce décalage avec le calendrier européen aura pour effet de provoquer une nouvelle situation de surtransposition réglementaire et donc des distorsions de concurrence inacceptables avec les autres États membres de l’UE », ont immédiatement réagi d’une seule voix les organisations professionnelles des grandes cultures (AGPB, AGPM, FOP, UNPT), rendues particulièrement inquiètes par l’avalanche d’interdictions qui les frappe depuis quelques années. Celles-ci s’insurgent contre le fait que, en l’absence de risque sanitaire avéré, l’Anses n’inscrive pas son action « dans le pas du temps des autorités européennes afin d’éviter toute concurrence inéquitable entre les agriculteurs français et leurs voisins ».

D’autant que, contrairement à ce que suggèrent les associations écologistes, rien ne permet aujourd’hui de présager du sort européen de cet herbicide. « L’interdiction à l’échelle européenne nécessite l’aval d’une majorité des États-membres. Or, si la position de la France est claire, d’autres pays ont déjà annoncé une réticence à retirer un herbicide aussi essentiel », explique une source européenne proche du dossier, en soulignant que, même si l’UE tranche en faveur d’une interdiction, la molécule restera disponible pour les agriculteurs des autres pays a minima pour les deux prochaines années. Ce qui ne sera pas le cas en France.

Des alternatives, certes…

Les agriculteurs français devront donc trouver des alternatives à l’un des derniers représentants de la famille des chloroacétamides encore disponibles. Utilisée sans le moindre problème depuis 2005, cette molécule reste au cœur de la stratégie de désherbage du maïs (maïs semences, doux, pop-corn), du tournesol, des pois, et surtout de la canne à sucre et des haricots, ainsi que le clame haut et fort Syngenta.

Au bout du compte, on aura donc remplacé un produit par un autre, légèrement plus cher, et comme d’habitude, le surcoût financier devra être pris en charge par… le monde agricole

En effet, aujourd’hui encore, le désherbage précoce, déterminant pour la réussite de la culture de la canne à sucre, nécessite l’usage de produits à base de S-métolachlore, afin de contrôler les graminées tropicales. L’interdiction de cet herbicide conduira donc les planteurs de canne des DOM dans une impasse technique qui, par ricochet, mettra en péril toutes les filières de sucre, de rhum et d’énergie. C’est-à-dire plus de 25 000 emplois directs et indirects dans les trois départements et régions d’outremer (DROM).

Quant aux producteurs de haricots, leur situation pourrait également devenir très compliquée, les agriculteurs ne disposant plus que d’un nombre très faible de solutions pour contrôler les dicotylédones, situation qui s’est encore aggravée avec la décision récente de non-renouvellement de la benfluraline. Le S-métolachlore présente un bénéfice agronomique important par son niveau d’efficacité sur les adventices dicotylédones, qui ont, eux, une toxicité avérée pour le consommateur. C’est le cas, par exemple, des morelles, qui peuvent rendre les récoltes impropres à la consommation.

Le désherbage mécanique

Certes, la situation peut paraître moins dramatique pour les autres cultures, qui auront la possibilité de recourir au désherbage mécanique, même si cela reste compliqué pour certains types de cultures, comme le tournesol et le soja. Mais surtout, cette alternative est nettement moins efficace, plus exigeante en temps et plus coûteuse, notamment à cause du carburant. Un comble au moment où tout le monde est sommé de s’organiser pour émettre le moins possible de gaz à effet de serre !

Finalement, l’issue la plus probable sera le remplacement du S-métolachlore par… un autre herbicide, le diméthénamide-p de BASF étant actuellement le meilleur candidat envisageable. « C’est ce que font déjà les agriculteurs luxembourgeois », note dans Le Figaro Xavier Reboud, directeur de recherche à l’Inrae et auteur d’une étude sur les alternatives au S-métolachlore.

Au bout du compte, on aura donc remplacé un produit par un autre, légèrement plus cher, et comme d’habitude, le surcoût financier devra être pris en charge par… le monde agricole. Une belle victoire pour les écologistes, vraiment ?

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