La publication du rapport de la Cour des comptes concernant la filière bovine a légitimement soulevé une indignation immédiate et générale. Comment était-il possible, en effet, que les sages de la rue Cambon proposent « une réduction importante du cheptel bovin », alors que, depuis 2021, la France a déjà perdu plus de 460 000 bovins, et deux millions d’animaux depuis cinq ans ?
« Le discours sur la décroissance forcée, portée comme politique publique, est curieux pour ne pas dire hors des réalités, quand on sait que la France n’est autosuffisante pour aucune filière animale », a réagi Marc Fesneau, le ministre de l’Agriculture, tandis que le député LR de l’Ain Xavier Breton s’est indigné de cet « acharnement contre la filière de l’élevage ».« Mais de quoi se mêle la Cour des comptes ? Leur rôle n’est pas de dicter aux Français leur mode d’alimentation ni de prescrire la taille de nos élevages », a-t-il poursuivi lors des questions au gouvernement, le 23 mai. Pour sa part, Arnaud Rousseau, le président de la FNSEA, s’est dit « agacé et blessé ». En rappelant que « 5 % de la viande bovine en France est importée », il a estimé que « les conclusions de ce rapport sont simplistes et inexactes ».
Vraiment ? Ce n’est pas, en tout cas, l’avis de notre consœur Géraldine Woessner, journaliste du magazine Le Point, qui a rappelé le contexte exact dudit rapport. Car cette réduction du cheptel bovin, prescrite par les auteurs, s’impose « si la France veut tenir ses engagements en matière d’émissions de méthane ». Une contrainte qu’elle s’est elle-même infligée en signant, lors de la COP26, l’accord international « Global Methane Pledge », lequel engage le pays à réduire de 30 % ses émissions de méthane d’ici 2030. Or, calculettes en main, les magistrats financiers de la rue Cambon ont estimé impossible de réduire les émissions de méthane de 30 % sans que cela n’affecte le cheptel bovin.Certes, les prairies sur lesquelles paissent les bêtes capturent du CO2, mais seulement autour de 8,5 millions de tonnes eq/CO2 par an, qui ne compensent pas les émissions entériques des ruminants. De même, des modifications du bol alimentaire des vaches peuvent réduire les émissions, mais les perspectives de réduction de ces émissions sont limitées à 10 ou 20 %.
En clair, la position de la Cour des comptes met en lumière une injonction contradictoire : alors que l’État clame haut et fort son soutien à la filière bovine, ce même État a par ailleurs fixé des objectifs « climat » qui supposent sa décroissance. Une décroissance qui est d’ores et déjà inscrite au programme du gouvernement, puisque celui-ci envisagerait – sans jamais le dire explicitement – de faire passer le cheptel bovin français de 17 millions de têtes en 2025 à 13,5 millions en 2050…