Très attendu par les agriculteurs et maintes fois repoussé alors qu’il comptait parmi les promesses de campagne d’Emmanuel Macron, le projet de loi d’orientation et d’avenir agricole a finalement été présenté au Parlement courant mai
Élaboré autour de vingt articles, le projet de loi d’orientation et d’avenir agricole est censé apporter une visibilité pour les années à venir, prenant pour point central l’objectif de souveraineté alimentaire de la France, tout en tenant compte des défis climatique et de biodiversité ainsi que du renouvellement des générations d’actifs, puisqu’un tiers des agriculteurs arrivera à l’âge de la retraite dans les dix prochaines années.
Et, sans surprise, la version initiale présentée par le gouvernement a suscité une forte opposition, notamment chez ceux qui, à l’instar du Haut Conseil pour le climat, déplorent un « recul de son ambition climatique ». « Si le terme de transition agroécologique est récurrent dans le texte, les mesures concrètes pour la mettre en œuvre sont presque inexistantes, et certaines d’entre elles entraînent même un retour en arrière », regrette ainsi Thomas Uthayakumar, directeur des programmes de la Fondation pour la nature et l’homme. Il en veut pour preuves les nouvelles mesures visant à accélérer les procédures pour la construction de réserves de stockage d’eau ou pour l’agrandissement de bâtiments d’élevage.
Inquiétude aussi au sein du Collectif Nourrir, réunissant plusieurs organisations (dont France Nature Environnement, Greenpeace, Générations Futures…), qui estime que, au nom de la simplification administrative, « le gouvernement prend le risque de retarder une nouvelle fois les évolutions indispensables pour assurer la survie de l’agriculture ». Enfin, l’association Agir pour l’environnement dénonce un texte qui « frappe par son absence totale d’ambition en matière d’installations ou de transition agro-écologique », et fustige une « trajectoire d’industrialisation et de négation de l’urgence environnementale, cédant à toutes les exigences cyniques des syndicats productivistes ».
S’il est vrai que le texte ne fait a priori pas la part belle au projet de décroissance si cher à la nébuleuse écologiste, on ne peut pas dire qu’il rompe avec la trajectoire de ces dernières années et encore moins qu’il offre une vision pour l’agriculture. On n’y trouve aucune mesure pour revenir sur les distorsions de concurrence, qui frappent de plein fouet la production agricole, et rien permettant aux agriculteurs de regagner des parts de marché, notamment sur les produits transformés, dont la valeur ajoutée échappe de plus en plus aux acteurs économiques du secteur. Enfin, c’est le vide sidéral concernant les exportations, et donc du rôle stratégique et diplomatique de l’arme alimentaire, à un moment où celle-ci est pleinement utilisée par la Russie et les États-Unis.
Arnaud rousseau président de la FNSEA, estime qu’« on est loin de la loi pisani ! », ce texte signé en 1962 qui a fondé les bases de la puissance agricole française
Déception au sein du monde agricole
« On attendait du gouvernement qu’il fixe un cap à l’agriculture pour les cinq à dix prochaines années, et on nous a soumis un texte contenant une série de mesures censées plaire à tout le monde, à la fois aux agriculteurs et aux écolos, un coup à la droite, et un coup à la gauche », observe Julien Dive, député LR de l’Aisne, tandis que, pour sa part, le député PS de Meurthe-et-Moselle Dominique Potier qualifie le texte de « hors-sol ».
Même son de cloche du côté des syndicats, unanimement déçus par le texte. « Il faut reprendre le travail sénatorial sur le choc de compétitivité de la ferme France », note Véronique Le Floc’h, tandis qu’Arnaud Rousseau, président de la FNSEA, estime qu’« on est loin de la loi Pisani ! », ce texte signé en 1962 qui a fondé les bases de la puissance agricole française. « Ce n’est pas en en discutant pendant des heures, avec des dizaines de députés qui veulent laisser un amendement “haie” à leur nom, qu’on va écrire une orientation agricole crédible et ambitieuse pour la France », ironise Arnaud Rousseau.
« Le présent projet de loi ne répondra pas, à lui seul, à l’ensemble des défis auxquels est confrontée notre agriculture, mais il fixe des principes et un cadre pour les acteurs », reconnaissait Marc Fesneau lors de l’examen du texte en commission, le 30 avril, précisant toutefois que ce projet s’inscrivait bien dans les politiques publiques mises en œuvre dès 2017, et poursuivies depuis 2022. Et c’est là, justement, que réside le problème !
Le règne d’une forme d’écolo-économie
Alors que le Premier ministre Gabriel Attal promettait, dans son discours du 26 janvier, d’écrire un « nouveau chapitre pour l’agriculture française », un simple parcours du projet de loi, tel qu’il a été proposé par le gouvernement, permet de confirmer que celui-ci n’a nullement l’intention de rompre avec la trajectoire qui a déjà conduit au mécontentement des agriculteurs. Ainsi, l’article 1 contient des dizaines d’alinéas aux contenus hétéroclites rendant insaisissables les concepts mêmes de « produire » et de « souveraineté alimentaire », définis comme l’approvisionnement alimentaire, l’anticipation, l’adaptation aux conséquences du changement climatique, en passant par la contribution à la décarbonation de l’économie, l’amélioration du revenu agricole, la capacité à assurer le renouvellement des générations, le maintien du modèle d’exploitation familiale, la lutte contre la décapitalisation de l’élevage, ou encore le développement des labels de production !
Et cela ne s’arrange guère dans les articles suivants, où règne une forme d’écolo-économie placée sous la tutelle des transitions agroécologique et climatique. Autrement dit, une économie du « moins » : moins de phyto, moins d’eau, moins d’engrais, moins de production et, pour finir, inévitablement… moins de revenus pour les agriculteurs.
Tout cela suggère que le gouvernement sous-estime la gravité de la crise économique que traverse le monde agricole, tout comme, d’ailleurs, le reste de l’économie française.
Une économie sous perfusion
Dans une remarquable étude publiée en exclusivité par Le Figaro, Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion et stratégies d’entreprise de l’Ifop, analyse justement les causes qui ont précipité le modèle économique français dans une impasse. « Ce modèle que nous qualifierons d’étato-consumériste ou de stato-consumériste, a résulté de choix collectifs et politiques qui ont été effectués avec constance par les différentes majorités politiques qui se sont succédé au pouvoir », explique-t-il ainsi. « Il repose sur deux postulats et piliers que sont, d’une part, l’extension permanente de la dépense et de la sphère publiques (financée par un niveau de prélèvements obligatoires le plus élevé de l’OCDE) et, d’autre part, le primat accordé à la consommation comme principal moteur économique, au détriment de la production. »
tout cela suggère que le gouvernement sous-estime la gravité de la crise économique que traverse le monde agricole, tout comme, d’ailleurs le reste de l’économie française
En résumé, Jérôme Fourquet constate que, depuis plusieurs décennies, les gouvernements successifs n’ont cessé d’injecter de la dépense publique pour doper et soutenir la consommation, provoquant une spectaculaire augmentation de la dette publique, combinée à « une bureaucratisation galopante, sécrétée par une administration hypertrophiée, qui complexifie et pénalise au quotidien la vie des acteurs économiques et des citoyens ». Le tout se faisant au détriment de l’outil de production.
Selon le politologue, le choix de favoriser la consommation plutôt que la production a certes permis d’apaiser quelque peu les tensions sociales en France, du fait de l’accession d’une large partie de la population à la société de consommation, mais au prix d’un revers de la médaille évident : une désindustrialisation massive du pays. « De très nombreuses filières productives, lestées d’un haut niveau de prélèvement obligatoire et d’un carcan réglementaire de plus en plus incapacitant, n’ont en effet pas pu lutter à armes égales avec leurs concurrents étrangers », note Jérôme Fourquet.
Si ce constat est vrai pour l’économie française, il l’est encore davantage pour l’agriculture, dont les subventions diverses ont systématiquement été accompagnées d’impératifs environnementaux contraires aux besoins de la production. Résultat : une dégradation spectaculaire de notre balance commerciale dans plusieurs secteurs agricoles, et surtout dans les produits transformés, c’est-à-dire là où la valeur ajoutée est la plus importante. Jérôme Fourquet mentionne l’exemple des pommes de terre : alors que la France reste le deuxième producteur européen, et le premier exportateur mondial (50 % de ses volumes exportés) de pommes de terre, la filière a totalement loupé le coche des produits transformés. Ainsi, en ce qui concerne les chips, l’Hexagone en importe cinq fois plus qu’il n’en exporte. Au total, à peine 15 % des chips consommées en France sont produites à l’intérieur de nos frontières, tandis que plus de 50 % des frites et purée dégustées chez les particuliers et dans les restaurants français proviennent de la Belgique et des Pays-Bas, pays importateurs de pommes de terre… françaises ! « Bénéficiant d’une réglementation sociale et environnementale plus souple que leurs homologues français, les fabricants belges ont capté une grande partie du marché hexagonal », déplore le politologue. Il aurait pu signaler également le sabordage de l’industrie de la semence, pourtant particulièrement performante, mais qui a été privée d’exportation des semences traitées à certains produits, précisément celles où la valeur ajoutée était la plus forte.
Dans sa version initiale, aucun objectif de production n’avait été inscrit et aucune mesure proposée pour rompre avec ce que Fourquet appelle « la politique du chèque et du guichet ». Heureusement, les députés issus de la majorité présidentielle en coalition avec Les Républicains, et sans l’appui du RN, ont apporté une première correction du texte faisant voter un amendement le vendredi 16 mai. Celui-ci vise à mettre en place une « programmation pluriannuelle de l’agriculture » censée préciser des « objectifs nationaux de production par filière, qui doivent tendre à être, a minima, excédentaires par rapport aux consommations nationales ». Une modification essentielle, car elle remet sous les projecteurs la question fondamentale de la production. Reste désormais à savoir comment le texte va évoluer lors de son prochain passage au Sénat.