Censée renforcer la déontologie et faciliter la remontée des alertes en santé-environnement, la cnDAspe est régulièrement saisie par la nébuleuse écologiste sur la question des pesticides. Avec des avis dont l’objectivité est discutable
La sphère écolo-décroissante a pour habitude d’étayer son discours en faisant référence à des « experts impartiaux ». D’où la prolifération notable des associations écologistes de type « Crii » – Criirad, Criigen, Criirem –, qui revendiquent toutes une « information indépendante ». Et il existe aussi des structures plus discrètes, comme par exemple le Bureau d’analyse sociétale d’intérêt collectif (Basic), fournissant clés en main des études « indépendantes » dont les conclusions répondent parfaitement aux attentes des ONG écologistes. Mais le nec plus ultra est l’utilisation d’avis d’experts émanant d’organismes publics.
Sur les questions relatives aux pesticides, les avis de la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement (cnDAspe) sont très prisés et servent couramment de prétextes pour la rédaction d’articles à charge contre les autorités sanitaires.
Ainsi, en novembre 2019, à la parution de l’avis de la cnDAspe sur les SDHI, le journaliste décroissant Stéphane Foucart a publié dans Le Monde un article intitulé « SDHI : l’avertissement des chercheurs validé ». Idem, en juillet 2022 : « Glyphosate : des experts indépendants mettent en doute l’intégrité des travaux d’homologation », pouvait-on lire, toujours signé de sa main. Et rebelote quatre mois plus tard, en novembre 2022, avec « La légalité des autorisations de pesticides en France et en Europe en question », puis, en février 2023 : « Pesticides : les procédures d’autorisation attaquées ».
Une initiative de Marie-Christine Blandin
La cnDAspe a été créée en 2013 par la sénatrice écologiste Marie-Christine Blandin après le scandale du Mediator, et a rendu, depuis 2017, en réponse à des alertes, un total de neuf avis, dont cinq concernent les pesticides agricoles.
Composée de vingt-deux membres bénévoles et de plusieurs suppléants, la cnDAspe intervient, en effet, lorsqu’il est question de déontologie de l’expertise scientifique et technique en matière de santé et d’environnement, mais elle peut également recevoir et instruire une alerte concernant une menace ou une atteinte à la santé publique ou à l’environnement. Elle peut être saisie par des parlementaires comme par des associations agréées agissant pour la protection de l’environnement. L’avis concernant la « sous-évaluation chronique de la toxicité des pesticides en France » qu’elle a rendu en 2022 fait ainsi suite à une saisine de la coalition antipesticides Secrets Toxiques, associée à un groupe de parlementaires incluant notamment le député Loïc Prud’homme (La France insoumise) et l’ancien euro-député écologiste Benoît Biteau.
Or, la lecture des conclusions de cet avis révèle que la commission n’a fait que reprendre à son compte les éléments de langage de Secrets Toxiques, à savoir que la connaissance des risques associés aux pesticides ne serait pas « à la mesure des exigences du législateur européen ». Notamment en ce qui concerne les effets à long terme des formulations finales (matière active plus coformulants). Des affirmations pourtant contestées tant par l’Anses que par l’Efsa, comme en témoignent la réponse donnée par Charlotte Grastilleur, directrice générale déléguée du pôle « Produits réglementés » de l’Anses, lors de son audition parlementaire du 21 septembre 2023, et celle de Guilhem de Sèze, chef du département de l’évaluation scientifique des produits réglementés au sein de l’Efsa, entendu la veille.
« On a parfois l’impression, en effet, que circule l’idée que nous ne regarderions que la substance active, rien que la substance active, et jamais la formulation dans son ensemble. Or, ce n’est absolument pas le cas, évidemment […], nous conduisons des évaluations pour le produit complet volet par volet. Je précise d’ailleurs qu’une de nos unités, l’unité physico-chimie et méthodes d’analyse des produits réglementés (UPCMA), évalue les propriétés physico-chimiques de l’entièreté du produit, coformulants compris », a souligné Charlotte Grastilleur, tandis que Guilhem de Sèze a rappelé que « l’avis scientifique prédominant, aussi bien à l’Efsa qu’à l’Echa, est que les évaluations sont plus précises et plus efficaces en testant individuellement chacun des composants ». Et d’ajouter que « plusieurs raisons peuvent être avancées. Tout d’abord, si nous testons une formulation complète, un phénomène de dilution peut nous empêcher de distinguer les effets toxiques de chacun des ingrédients. Ensuite, lorsque les substances sont libérées dans l’environnement, elles peuvent connaître des destins différents, en raison de leur durée de vie, de leurs diverses interactions avec l’environnement, etc. ».
Une proximité certaine avec la nébuleuse écologiste
Comment expliquer le décalage entre les conclusions des deux agences sanitaires spécialisées en la matière et celles de cette Commission, qui se proclame pourtant impartiale ?
Serait-ce donc le fruit d’influences extérieures (gouvernement, acteurs économiques, lobbies environnementalistes…), qui interféreraient dans les analyses de la cnDAspe, ou alors d’un parti pris de certains de ses membres, étant donné que quelques-uns sont, d’une manière ou d’une autre, liés à la mouvance écologiste ? Insistant sur le fait que la cnDAspe est hébergée au sein du commissariat général au développement durable (CGDD) du ministère de la Transition écologique, le rapport annuel de 2022 de la cnDAspe reconnaît en tout cas que cette domiciliation « ne peut manquer de paraître contraire à la nécessaire indépendance de la Commission ». Avoir pour adresse le ministère de l’Écologie n’est, en effet, pas vraiment le signe d’une neutralité certaine, les membres de son secrétariat permanent étant alors « placés dans l’ambiguïté d’une loyauté due à la fois à l’administration dont ils relèvent et à la cnDAspe pour laquelle ils œuvrent ».
Mais la proximité de certains de ses membres avec la mouvance écologiste interpelle encore davantage.
Il y a, par exemple, la vice-présidente de la cnADspe, Agnès Popelin, qui est, par ailleurs, membre du directoire Santé Environnement de la fédération France Nature Environnement (FNE), au conseil d’administration de laquelle elle est élue depuis 2013. Or, FNE est signataire de l’Appel pour l’interdiction de tous les pesticides de synthèse lancé en 2018 par le mouvement Nous voulons des coquelicots.
Certes, dans le cas de l’avis sur la procédure européenne d’instruction de la demande de renouvellement du glyphosate, Agnès Popelin a été écartée des débats et de la validation de l’avis, mais cette précaution ne semble pas avoir été prise pour d’autres avis, ni non plus pour d’autres membres, comme le montre la participation aux travaux de la Commission de nombreux sociologues, également engagés dans la cause environnementaliste.
Ainsi, Giovanni Prete, signataire de l’« Appel des campus : rejoignons les Soulèvements de la terre ! », lancé en juin 2021, qui a publié, en collaboration avec le sociologue Jean-Noël Jouzel, le livre L’Agriculture empoisonnée. Le long combat des victimes des pesticides (2024), a fait partie, avec son coauteur, des dix experts réunis en juin 2022 par la cnDAspe pour proposer une formation, dans le but d’« actualiser l’état des connaissances sur l’exposition professionnelle aux pesticides en agriculture ».
De même, le sociologue Olivier Leclerc est, lui aussi, membre de la cnDAspe, bien qu’il soit par ailleurs signataire de l’Appel de 1000 scientifiques « Face à la crise écologique, la rébellion est nécessaire », lancé par Scientifiques en rébellion, et qu’il ait animé, en septembre 2018, le colloque « Contre-modèles pour une recherche responsable », organisé par l’association Sciences Citoyennes, dont l’un des objectifs majeurs est de soutenir une science sans croissance.
Enfin, y figure également le sociologue Henri Bergeron, cofondateur en 2010 et membre du conseil scientifique de « Pour une république écologique », un think tank de gauche promouvant une «social-écologie».
Et mériterait encore d’être mentionné le cas de Soraya Duboc, à la fois membre de la cnDAspe et secrétaire fédérale de la Fédération générale agro-alimentaire CFDT (FGA-CFDT), une branche de la CFDT résolument antipesticides qui affirme « s’engager dans les initiatives pour réduire l’usage des pesticides et interdire les plus dangereux […] et s’engager résolument dans la transition agroécologique ». Or, c’est cette fédération elle-même qui a saisi, en mai 2022, la cnDAspe afin d’identifier « les points qui n’ont pas permis de supprimer ou de réduire les risques liés à l’exposition aux pesticides des travailleurs de la production agricole ».
Alors qu’Agnès Popelin a été écartée des débats de certains avis, cette précaution ne semble pas avoir été prise pour d’autres membres, également engagés dans la cause environnementaliste
Or, si ce dernier avis rendu reprend de nombreuses recommandations de la profession, il laisse cependant planer un soupçon injustifié sur la qualité actuelle des équipements de protection individuelle (Épi), qui fait écho, une fois de plus, aux fausses affirmations des associations antipesticides.
« La recherche sur l’efficacité des Épi se limite trop souvent à des travaux en laboratoire ou encore à des essais en champ dans des conditions expérimentales peu comparables aux conditions réelles de travail en agriculture », déclare ainsi la Commission, alors qu’il existe pourtant des dizaines d’études européennes ayant justement permis d’évaluer l’efficacité des équipements de protection dans des conditions de travail réelles, et cela dans une dizaine de pays européens, portant sur plus de 500 agriculteurs. C’est d’ailleurs grâce à ces travaux qu’ont été réalisés des progrès considérables tant en confort qu’en qualité de protection.
Même si ces quelques exemples ne remettent pas en cause l’impartialité de l’ensemble des travaux de la cnDAspe, ils interrogent cependant sur l’équilibre des forces politiques en son sein, et par là même sur l’objectivité de ses avis.