La sélection génétique, et tout particulièrement la sélection végétale, fait l’objet de critiques récurrentes, qui contribuent à fragiliser le lien historique entre le monde agricole et une population de plus en plus urbaine.
Si certaines des critiques sur la sélection génétique moderne semblent recevables, notamment sur la diminution de la qualité gustative de diverses variétés de tomates ou de fraises, souvent consécutive à un appauvrissement des caractéristiques génétiques des nouvelles variétés, d’autres, en revanche, sont parfaitement injustifiées.
Le blé et le gluten
Prenons l’exemple du blé, l’une des trois espèces les plus cultivées au niveau mondial avec le riz et le maïs, mais la première pour l’alimentation humaine : il est fréquent d’opposer les blés anciens, censés être dotés de toutes les vertus (nutritionnelles, sanitaires, environnementales), aux blés modernes. Issus des programmes de sélection conduits depuis déjà une centaine d’années, ceux-ci seraient responsables de l’apparition de la sensibilité au gluten non cœliaque (ou SGNC) et de la recrudescence de l’allergie au gluten et de la maladie cœliaque. « La maladie cœliaque est une maladie auto-immune qui résulte de la reconnaissance de certaines protéines du gluten, les gliadines, par le système immunitaire, et qui se caractérise par une inflammation chronique de l’intestin liée à l’ingestion d’aliments contenant du gluten », explique Thierry Langin, responsable de l’équipe Maladies des céréales au sein de l’Inrae de Crouël (Clermont-Ferrand).
Cette maladie, qui ne se manifeste que chez des sujets génétiquement prédisposés, existe probablement depuis l’introduction du blé dans l’alimentation humaine. Décrite pour la première fois par un médecin grec du 1er siècle après J.-C., elle aurait pour cause principale l’augmentation du taux de protéines dans le grain et de la taille des molécules qui rendrait le gluten moins digestible. Le gluten se forme après hydratation et pétrissage de la pâte, à partir des gliadines et des gluténines, qui sont des protéines du grain de blé. Il confère à la pâte ses propriétés de viscoélasticité. « Parmi les protéines constituant le réseau de gluten, seules les gliadines présentent une certaine toxicité, due à la présence sur ces protéines d’épitopes allergènes, des petits peptides de neuf acides aminés possédant des propriétés immunostimulantes. Or, ces épitopes sont présents dans tous les blés, modernes et anciens », note Thierry Langin.
Il poursuit : « Outre le fait que la physiopathologie de la sensibilité au gluten est encore mal connue, avec un tableau clinique mal défini, et donc une certaine difficulté à évaluer “objectivement” le pourcentage de personnes réellement atteintes, opposer blés anciens et blés modernes paraît assez vain, compte tenu du fait que l’on peut trouver des blés anciens à fortes teneurs en gluten et des blés modernes avec de faibles teneurs en gluten. »
De même, des études récentes n’ont pas mis en évidence des différences sur la digestibilité in vitro, ni sur la taille de polymère, qui dépend surtout des conditions climatiques durant la maturation du grain. Comme le confirment les travaux de l’institut technique Arvalis et les données récoltées par FranceAgriMer, la teneur en protéines moyenne des blés tendres en France n’a en réalité évolué que de 1,5% (de 11% à 12,5%) depuis 1996, avec une moyenne pluriannuelle autour de 11,6 %. Autant dire que nous sommes loin d’une explosion du taux de protéines dans les grains des blés modernes!
Si les données concernant la maladie cœliaque montrent une augmentation du nombre de cas détectés chaque année en France durant ces trente dernières années, qui résulte davantage d’un dépistage plus efficace que d’une recrudescence de la maladie, il est vrai, en revanche, qu’on observe une forte augmentation de la sensibilité au gluten.
Il est fréquent d’opposer les blés anciens, censés être dotés de toutes les vertus ( nutritionnelles, sanitaires, environnementales ) aux blés modernes.
Mais, là aussi, comme souvent, les raisons en sont multiples : changements de nos habitudes alimentaires qui entraînent une surconsommation d’aliments contenant du gluten (sandwichs, pizzas, pâtes, etc.), modification des procédés de transformation, comme par exemple, un raffinage plus poussé de la farine qui conduit à des pâtes plus riches en gluten, réduction de la durée et modification des conditions de pétrissage et de cuisson lors de la fabrication du pain, en particulier pour les pains industriels, tout cela a conduit à une augmentation de la teneur en gluten des aliments transformés, alors qu’une fermentation longue du levain réduit considérablement la teneur en gluten.
Différentes stratégies ont été envisagées pour apporter des réponses à ce problème de santé, comme le rappelle Thierry Langin : « Un travail sur les procédés de transformation, comme par exemple, le développement de nouvelles méthodes de panification, des travaux pour améliorer la digestibilité des protéines, avec la mise en place de programmes de sélection visant à produire des variétés de blés présentant un gluten plus digestible, l’élimination des peptides immunostimulants (épitopes) via la production de blés dits hypotoxiques , possédant des gliadines déplétées en épitopes immunogènes, ou encore la sélection de blés soit par des méthodes classiques visant à éliminer ou à remplacer les gènes codant les protéines de réserve contenant ces épitopes, soit par l’utilisation des bio- technologies, pour éteindre l’expression des gènes de synthèse de ces protéines (ARN interférence, édition du génome). »
Et plus récemment, une équipe espagnole a choisi d’utiliser l’édition du génome pour modifier la partie de la séquence des gènes codant les gliadines, de façon à supprimer les épitopes allergènes présents à la surface de ces protéines de réserve, tout en conservant leurs propriétés fonctionnelles. Ses travaux sont en cours.
Au sujet des microorganismes
L’autre critique, qui émane plutôt du monde agricole et d’une partie du monde académique, consiste à prétendre que les blés modernes interagissent moins bien avec les microorganismes bénéfiques présents dans les microbiomes du sol, et qu’ils ne seraient pas en capacité d’exploiter de façon optimale les services résultant de ces interactions. « Or, plusieurs études démontrent clairement que si les blés anciens interagissent mieux avec ces microorganismes, de nombreux blés modernes sont encore capables de le faire efficacement, et ce, bien que ce caractère n’ait pas fait l’objet d’une sélection. Ce qui suggère d’ailleurs que la sélection variétale n’entraîne pas systématiquement la perte de gènes ou d’allèles non sélectionnés », modère Thierry Langin.
Les bénéfices des variétés modernes
Ces faux procès contre les blés modernes sont d’autant plus inappropriés qu’ils font l’impasse sur un point essentiel, à savoir que notre capacité à sélectionner les variétés les plus adaptées aux conditions de culture du moment a principalement permis, en un siècle, la multiplication des redements du blé par cinq, voire par six, répondant ainsi à la très forte augmentation de la demande au niveau mondial. Une exigence primordiale pour mettre un terme aux grandes famines qui ont accompagné l’humanité jusqu’au milieu du vingtième siècle.
C’est aussi ignorer que le progrès génétique, résultant des programmes de sélection conduits au cours de ces vingt ou trente dernières années, a permis de compenser les impacts de plus en plus forts du changement climatique – qui se concrétise par davantage de périodes de sécheresse, souvent associées à des températures élevées, ou par l’apparition de nouveaux bioagresseurs – en évitant ainsi un effondrement des rendements et une diminution de la qualité des productions. L’adaptation de l’agriculture aux changements, en premier lieu climatique, qui est un impératif, ne pourra se faire sans la création de nouvelles variétés, c’est-à-dire sans mobiliser le levier génétique.
Certes, les cibles de ces programmes seront multiples, tout comme les outils mis à la disposition des sélectionneurs, notamment, si la réglementation européenne évolue, les outils puissants issus de l’édition génomique, qui permettent d’accélérer les programmes de sélection et/ ou de générer une diversité génétique originale adaptée aux besoins de la société. Dans tous les cas, la sélection végétale restera, avec l’agronomie et le développement des agroéquipements adaptés, l’un des axes majeurs du développement de l’agriculture de demain.