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Après les noisettes, les pruneaux d’Agen

Les interdictions de produits phytosanitaires continuent à mettre en péril plusieurs productions agricoles. C’est maintenant à la filière des pruneaux d’Agen de tirer la sonnette d’alarme

Après les producteurs de noisettes, c’est au tour des producteurs de pruneaux d’Agen de tirer la sonnette d’alarme.

Cette belle filière structurée autour de son Indication Géographique Protégée (IGP) « Pruneaux d’Agen », s’étend sur six départements du sud-ouest de la France (le Lot-et-Garonne, la Dordogne, la Gironde, le Tarn-et-Garonne, le Lot et le Gers). Elle regroupe plus de 750 producteurs sur une surface de 10 000 ha de vergers, dont 20 % certifiés en agriculture biologique (AB), avec en aval 60 entreprises de transformation, produisant plus de 40 000 tonnes de prunes séchées, dont 25 % sont destinés à l’export. « La France est le 3e producteur mondial de pruneaux, derrière le Chili et les États-Unis, et devant l’Argentine », se félicite Christophe de Hautefeuille, président du Bureau national interprofessionnel du pruneau (BIP). Pourtant, après le passage du pruneau d’Agen de la catégorie A à C dans le nouveau Nutri-Score, une décision qu’il a vécue comme « un coup de bâton derrière les oreilles », le pruniculteur bio de Sembas, dans le Lot-et-Garonne, prédit que le pire est à venir.

Lire aussi : Une France sans producteurs de noisettes ?

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Encore des distorsions de concurrence

Dans un courrier adressé à la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, auquel A&E a eu accès, l’Interprofession se dit en effet préoccupée par les distorsions de concurrence avec nos voisins européens qu’elle subit dans la protection des cultures. « L’Espagne dispose de 13 molécules qui nous sont interdites en France et il y en a 19 pour l’Italie », constate amèrement Christophe de Hautefeuille. Il poursuit : « Ces distorsions de concurrence intra-européenne ont été remontées au ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire via le Comité des solutions, porté par Agnès Pannier-Runacher, mais nous ne constatons aucune avancée concrète à ce stade. »

« L’Espagne dispose de 13 molécules qui nous sont interdites en France et il y en a 19 pour l’Italie », constate amèrement Christophe de Hautefeuille

Aujourd’hui, la filière doit avoir recours, chaque année, à des dérogations limitées dans le temps à 120 jours : « Ces dérogations sont indispensables car, concernant par exemple l’hoplocampe, il n’y a plus aucune molécule autorisée en France », souligne Christophe de Hautefeuille. Il va de soi que ce mode de fonctionnement, qui plonge les producteurs dans une incertitude constante, ne représente pas une stratégie viable sur le long terme.

À cela se surajoute la perspective que, dans le cadre du plan Écophyto 2030, une nouvelle série de molécules soit interdite, « et toujours sans émergence ni même existence de solutions alternatives (qu’elles soient chimiques ou non) », déplore le pruniculteur.

Sont directement visés des produits comme le Movento, l’Admiral, le Delegate et le Karaté Zéon, qui ne pourront bientôt plus être utilisés dans les vergers français, en raison, pour les trois premiers, de la non-réhomologation de leur matière active à l’échelle européenne, et pour le dernier, en vertu d’une décision franco-française de l’Anses. Le Movento, un insecticide de Bayer, est d’ailleurs un cas d’école. Autorisé en Europe depuis 2011, il n’a jamais fait l’objet d’un quelconque problème. Cependant, par manque de visibilité sur les exigences européennes, Bayer a décidé de ne pas présenter de demande de réhomologation, étant donné que l’entreprise commercialise la flupyradifurone, qui constitue une excellente solution de remplacement sur un grand nombre de cibles. Seulement voilà, cette matière active n’est pas autorisée en France, car, quoiqu’elle appartienne au groupe des buténolides, son mode de fonctionnement est assimilé à celui des néonicotinoïdes, une famille de produits que seule la France a décidé d’interdire. Conséquence : nos producteurs sont les seuls à ne pas pouvoir utiliser cette molécule !

Certes, il existe quelques solutions de remplacement, comme la confusion sexuelle, les applications cadencées de substances AB ou encore de biocontrôle, mais les résultats sont loin d’être satisfaisants. « Ces solutions ont un coût nettement plus élevé (4 à 6 fois plus cher à l’hectare), avec des résultats plus aléatoires, et surtout elles ne sont pas adaptées à toutes les configurations de vergers », résume Thierry Albertini, le président du collège des producteurs du BIP, qui précise que, bientôt, il n’y aura plus aucune molécule efficace contre les cochenilles et qu’une seule molécule autorisée permettra de lutter contre les pucerons.

Réduire les distorsions de concurrence est possible

Unique lueur d’espoir à l’horizon : la proposition de loi dite « PPL Duplomb-Menonville ». « En ouvrant la possibilité d’utiliser trois matières actives (acétamipride, sulfoxaflor et flupyradifurone), ce texte permettrait de réduire une partie des distorsions de concurrence intra-européennes. Et l’usage encadré, en particulier de l’acétamipride et du flupyradifurone, apporterait des solutions aux producteurs français de pruneaux, respectivement contre les pucerons et les hoplocampes et contre les cochenilles », martèle Christophe de Hautefeuille, en rappelant que « ces trois molécules sont autorisées dans le reste de l’UE et chez nos principaux compétiteurs, le Chili et l’Argentine, respectivement 1er et 4e pays producteur mondial de pruneaux ».

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« Si, à Paris, on continue à nous ignorer, il va y avoir de la révolte, car on ne va pas se laisser crever comme ça ! », avertit Christophe de Hautefeuille

« Je viens d’apprendre que l’Assemblée nationale a refusé d’examiner cette PPL avant la fin du mois de mai », s’indigne Thierry Albertini, tandis que Christophe de Hautefeuille lance un avertissement: « Si, à Paris, on continue à nous ignorer, il va y avoir de la révolte, car on ne va pas se laisser crever comme ça ! »

En réaction, le président du BIP pourrait s’appuyer sur la loi d’orientation agricole, entrée en vigueur le 25 mars 2025, qui est à même de changer la donne. En effet, l’article L.1 A suggère qu’à défaut d’avoir des solutions « économiquement viables, techniquement efficaces et compatibles avec le développement durable » pour protéger les cultures, l’interdiction des usages de produits phytopharmaceutiques autorisés par l’Union européenne n’est plus conforme à la loi.

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