Le ministère de l’Ecologie doit bientôt remettre son évaluation à mi-parcours du dossier ours, commanditée par Nathalie Kosciusko-Morizet en juillet 2007. Une fois encore, les acteurs locaux ont été mis hors jeu.
Si Nathalie Kosciusko-Morizet voulait mettre le feu dans les Pyrénées, elle ne s’y prendrait pas autrement ! Lors de son passage à Toulouse, le 26 juillet 2007, la secrétaire d’Etat au ministère de l’Ecologie, de l’Energie, du Développement durable et de l’Aménagement du territoire (Medad) s’est déclarée prête à « écouter, comprendre et surtout renouer le dialogue ». Or, son traitement de l’épineux dossier ours ne semble pas confirmer ses belles intentions. L’étoile montante de l’UMP a ainsi affirmé être « consciente que des études sont nécessaires pour démontrer qu’en France aussi, les ours ont un impact positif sur la biodiversité ». Pour elle, cet effet positif est donc un fait acquis. Chez les acteurs locaux, ses propos ne peuvent résonner que comme une déclaration de guerre !
La secrétaire d’Etat a par ailleurs souhaité définir « une meilleure qualification de la zone de présence de l’ours » afin que « ce grand prédateur soit toléré, voire souhaité. […] Peut-on dire que dans telle zone la présence de l’ours est possible, et qu’au-delà elle ne l’est plus ? Si oui à quelles conditions ? Si non pourquoi ? ». « Cette initiative est assez surprenante », rétorque le journaliste pyrénéen Louis Dollo, fin connaisseur du dossier. En effet, « vouloir déterminer des zones à ours, c’est prétendre savoir où ils vont aller. Ce qui est impossible, en particulier dans les Pyrénées et surtout avec des ours slovènes habitués à l’homme », explique-t-il.
Dans sa déclaration, NKM affirmait également vouloir réviser le protocole des « ours à problèmes », qui ne serait pas parfaitement adapté à toutes les Pyrénées. Mis en place dès 1995 par l’Institut patrimonial du Haut-Béarn (IPHB), ce protocole est applicable aux ours qui ne fuient pas la présence de l’homme ou qui sont à l’origine de dégâts sur les troupeaux protégés. Deux réunions ont eu lieu, en août et en septembre 2007 : ni l’IPHB ni les élus locaux n’y ont été conviés. Depuis, c’est le silence radio et Alain Auvé, chargé du dossier par la secrétaire d’Etat, a même disparu des Pyrénées ! « M. Auvé s’est vite enfui vers le métro parisien, à croire que la montagne lui faisait peur », ironise unresponsable agricole local.
Des mesures innovantes ?
En ce qui concerne le soutien au pastoralisme, la secrétaire d’Etat avait demandé que « des mesures innovantes soient soumises, notamment autour de l’idée de la création d’un label ou d’une appellation d’origine contrôlée ». « Est-ce vraiment une mesure innovante
? » s’interroge Marie-Lise Broueilh, fondatrice du syndicat des éleveurs ovins AOC de Barèges-Gavarnie, qui rappelle qu’il existe déjà une AOC Ossau Iraty pour les fromages du Béarn et du Pays-Basque, et une AOC moutons Barèges-Gavarnie – le comble étant que le cahier des charges de celle-ci est incompatible avec la présence de l’ours, puisqu’il inclut le pâturage en estime des animaux en liberté… précisément ceux qui sont les proies des plantigrades ! En outre, « il existe également un label rouge “agneau de lait des Pyrénées” qui protège non seulement nos produits, mais aussi nos races locales qui sont, elles, vraiment menacées de disparaître », renchérit Julien Lassalle, éleveur à Lourdios. Quitte à s’intéresser à la biodiversité, il est en effet plus judicieux de protéger les espèces spécifiques de moutons des Pyrénées que l’ours brun slovène, pas vraiment menacé d’extinction !
Par ailleurs, Mme Broueilh estime nécessaire de déconnecter les autres aides au pastoralisme de la problématique ours – notamment le renforcement de l’aide à l’élevage –, sans quoi elles ne seront pas acceptées par les éleveurs. « Le ministère de l’Agriculture s’y est d’ailleurs engagé par courrier en 2006, lors de l’élaboration du Plan de soutien à l’économie montagnarde », rappelle-t-elle, tout en constatant que le Medad persiste dans son absence de transparence et de concertation avec les habitants des vallées.
Les voyages du Medad
« Et ce n’est pas la série de voyages à l’étranger auxquels nous avons été invités à participer qui y change quoi que ce soit », poursuit-elle. D’ailleurs, « il y a déjà eu de tels voyages d’étude et de nombreux contacts ont été établis avec ces pays depuis bien longtemps », note pour sa part le député
des Pyrénées-Atlantiques Jean Lassalle. Ces déplacements n’ont pas rapproché d’un iota les positions des uns et des autres. Ainsi, Alain Reynes, directeur de l’association Pays de l’Ours-Adet, affirme que « dans les Asturies, tout le monde est fier de l’ours. En quelques années, le parc hôtelier est passé de 50 à 1.800 lits, et cela est uniquement dû à la présence du plantigrade. Certes, ce n’est pas un exemple parfaitement photocopiable, mais on constate que les éleveurs n’ont pas de soucis. Il y a peu de brebis, mais elles sont bien gardées, donc l’ours n’attaque pas. Cela prouve que si on veut mettre les moyens, on peut arriver à vivre avec l’ours. » Alors que de son côté, Marie-Lise Broueilh estime que « la délégation française a eu droit à toute la propagande formatée du ministère asturien. Tout est beau dans le meilleur des mondes de l’ours. Mais dès que nous posons des questions en dehors du discours, il y a un petit problème : hormis le tourisme, il n’y
plus d’élevage ovin, mais quelques brebis dans des enclos fermés. Seul persiste l’élevage bovin traditionnel, au prix de conditions de vie et de travail archaïques, et qui sert de vitrine touristique. Le tourisme local s’est donc appuyé sur l’ours pour se développer, mais des zones entières sont abandonnées aux plantigrades, avec en conséquence une perte de biodiversité florale. » Depuis plusieurs années, l’hôtellerie asturienne traverse une réelle une crise économique, dont témoignent de nombreux articles parus dans la
presse espagnole.
Le voyage en Italie, du 10 au 13 décembre 2007, n’a pas été plus concluant. Claude Vielle, un éleveur de 300 brebis à Beaucens, qui a participé au voyage, observe : « On nous a expliqué que dans le Trentin, tout allait bien. Mais avec 2.000 hectares, c’est une toute petite zone, qui n’est pas comparable avec par exemple les 25.000 ha d’estives dans le canton de Luz- St-Sauveur ». Il ajoute : « Là-bas, les bergers sont prisonniers de leurs bêtes, qu’ils doivent surveiller nuit et jour du fait de la présence des ours. » C’est également ce qu’a constaté la bergère Madé Maylin, qui souligne que « le pastoralisme trentin se résume à neuf éleveurs sur une surface égale à la moitié des Pyrénées-Atlantiques, et 4.000 brebis contre 300.000 dans ce même département. » Sa rencontre avec un berger nommé Lorenzo l’a abasourdie : « Bien sûr, on lui a fourni une clôture. Bien sûr, il a été indemnisé, mais il reste maintenant 100 jours et 100 nuits consécutives sur l’estive, logé dans un algéco pour tenter de limiter les dégâts ! J’en avais les tripes nouées », relate l’éleveuse de Laruns, réputée pour son franc-parler.
Suite à ces deux voyages, les associations d’éleveurs des Pyrénées, les syndicats agricoles et les chambres d’agriculture ont décidé « d’arrêter les frais de cette mascarade ». Bien leur en a pris, car le voyage suivant, en février 2008, s’est déroulé en Slovénie alors que les montagnes étaient couvertes de neige et que les ours hibernaient ! « Qu’aurions-nous pu voir ? », s’étonne Marie-Lise Broueilh, qui rappelle qu’un premier voyage avait déjà été organisé en 1998 par l’IPHB en Croatie, Autriche et Slovénie, suivi d’un deuxième, également en Slovénie, organisé en 2006 par le conseil général des Hautes-Pyrénées.
Et au milieu coule une rivière
Le dernier voyage, aux Etats-Unis, s’est déroulé dans une discrétion d’autant plus grande qu’il a fait l’objet de railleries dans les montagnes. « On nous a proposé d’aller dans le Montana », s’amuse Philipe Lacube, président de l’Association pour le développement durable de l’identité des Pyrénées (Addip). « J’avoue que j’ai adoré le film Et au milieu coule une rivière. Le Montana est un endroit magnifique, mais je n’ai pas besoin de l’argent de l’Etat pour le visiter. Et je n’ai surtout pas besoin d’aller là-bas pour savoir que les grands parcs nord-américains n’ont absolument rien à voir avec notre situation pyrénéenne », ajoute-t-il. « Peut-être la délégation française répondait elle simplement à une invitation de Christopher Servheen, spécialiste de l’ours à l’Université du Montana ? », ironise un berger. A la tête du Comité d’experts sur les ours pour l’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN), ce chercheur est en effet bien connu des services du ministère de l’Ecologie français, qui l’avaient mandaté en 1996 pour réaliser un « état des lieux de la population ursine et de son habitat dans le Haut-Béarn ». Dans son rapport, M. Servheen affirmait qu’afin de faciliter la réintroduction de l’ours dans les Pyrénées, « il ne faudrait plus construire de nouvelles routes. Il faudrait fermer pour de bon aux véhicules motorisés les routes existant déjà et ne reliant pas d’agglomérations permanentes». Enfonçant le clou, il poursuivait : « Il serait nécessaire d’abandonner les maisons isolées et autres structures semblables (cabanes de bergers), et de les supprimer des habitats de l’ours. Il est aussi fortement recommandé de réduire au minimum les perturbations momentanées causées par la chasse, l’écobuage, les chiens errants, les randonneurs, etc. » En clair, le spécialiste proposait ni plus ni moins de transformer les montagnes pyrénéennes en parc naturel américain…
De simples faire-valoir
Alors, utiles, ces déplacements ? Ont-ils vraiment permis d’« échanger les expériences entre les différents pays concernés », comme l’a expliqué à A&E Michel Perret, chef du bureau faune et flore sauvages du Medad ? Pas si sûr ! « On a plutôt l’impression que ces voyages ont été organisés comme simples faire-valoir et pour donner l’illusion que les avis de tous les acteurs concernés ont bien été pris en compte », estime Marie-Lise Broueilh, qui note au passage qu’aucune de ses remarques ne figure dans les brochures publiées suite aux deux premiers voyages organisés par le Medad. Si l’évaluation à mi parcours devait être « préparée et conduite dans la plus grande concertation avec les acteurs locaux », comme l’avait promis NKM, force est de constater qu’elle a été réalisée dans la plus grande intimité du Medad, sans la participation des éleveurs, des élus, ni des membres des associations représentatives des départements pyrénéens ! « Paris fait semblant d’ignorer notre existence, au point où une lecture du rapport d’évaluation à mi-parcours avant sa version définitive nous a été refusée », s’insurge Philippe Lacube. Le président de l’Addip déplore également le fait que « le travail de concertation sur le terrain, auprès des populations qui vivent au contact de ce prédateur, une fois encore n’a pas été réalisé ». Pour lui, la question de savoir ce qu’on veut faire de ce massif reste en suspens. « Il va falloir que l’Etat prenne
une vraie décision. Soit on nous dit “Vous quittez les Pyrénées”, et on tue cette culture pastorale, qui est une culture au sens large et ne se résume pas seulement à un métier, afin de transformer cet espace en un lieu pour les grands prédateurs ; soit on préserve cet espace pour les hommes et les femmes qui y vivent, qui l’ont aménagé et qui l’ont entretenu. »
Dans les vallées pyrénéennes, la prochaine publication du rapport est attendue « le couteau entre les dents ». De même que la création d’une instance consultative baptisée « Groupe National Ours », au sein de laquelle devraient siéger les associations de bergers, les fédérations de chasse, les élus locaux et les associations environnementalistes. Ces dernières, désireuses d’introduire au minimum deux nouvelles femelles, précisément dans le Haut- Béarn, ont déjà fait savoir qu’elles rejetteraient tout « marché de dupes », alors que du côté des éleveurs, le sentiment d’être mis devant le fait accompli est à son comble. « Trop, c’est trop. Nos ministres doivent faire attention à ne pas jouer avec les Pyrénéens ! », avertit Philippe Lacube