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Le sort de la luzerne sera scellé en novembre

«Alors qu’elle couvrait plus de 1,6 million d’hectares en 1965, contre moins de 100.000 ha aujourd’hui, la luzerne risque de disparaître de nos paysages d’ici deux à trois ans ! », a averti Jean-Pol Verzeaux, président de Coop de France Déshydratation, lors d’un colloque organisé à l’Assemblée nationale le 28 octobre dernier sous la présidence du député Rémi Delattre. Dans le cadre de la renégociation de la PAC, la Commission européenne a en effet clairement fait savoir qu’elle souhaitait supprimer les faibles aides dont bénéficient encore les productions dites mineures, dont fait partie la luzerne déshydratée.

Pourtant, si une culture fait bien consensus, tant dans le monde agricole que chez les environnementalistes, c’est la luzerne ! Cette précieuse légumineuse a ainsi reçu le soutien du WWF France et de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), qui s’accordent à dire que sa disparition constituerait une erreur magistrale pour la préservation de la biodiversité. La luzerne est en effet l’archétype de la « plante écologique » telle que la définit le Grenelle de l’environnement : elle ne consomme pas du tout d’engrais puisqu’elle capte naturellement l’azote de l’air et n’a pratiquement pas besoin de pesticides (un seul traitement tous les deux ans en moyenne) ; mais surtout, elle couvre le sol pendant quatre à cinq ans, ce qui en fait la plante idéale pour protéger les sols de l’érosion et du ruissellement, pour préserver la qualité des eaux potables et pour accueillir la faune sauvage, dont les abeilles. « En Champagne-Ardennes, qui concentre 80 % des cultures destinées à l’industrie de la déshydratation, la luzerne constitue une ressource mellifère très appréciée des pollinisateurs », a ajouté le président du Réseau biodiversité pour les abeilles, Philippe Lecompte, lors du colloque à l’Assemblée nationale. Dans une note datée de juin 2008, la fédération nationale de l’agriculture biologique (Fnab) avait également mis en garde les pouvoirs publics. « L’arrêt de la luzerne constituerait un frein considérable au développement de l’agriculture biologique », écrivait la Fnab, qui soulignait que la luzerne représente « l’unique tête d’assolement pour la conduite d’une rotation en grandes cultures biologiques ».

Même les producteurs de fromages AOC sont concernés par le sort de la luzerne, comme en témoigne la lettre de la Confédération générale des producteurs de lait de brebis et des industriels de Roquefort, adressée au cabinet du ministre de l’Agriculture et dans laquelle son président Robert Glandières rappelle l’importance de la luzerne déshydratée dans la ration alimentaire des brebis laitières. Dernier élément pour sa défense – et non des moindres ! –, la luzerne est beaucoup plus performante que ses concurrents directs comme le soja, puisqu’il faut seulement 0,41 ha de luzerne pour produire une tonne de protéines, contre 1,3 ha pour le soja.

Michel Barnier a promis de plaider sa cause. Il devrait sans difficulté obtenir le soutien de son collègue espagnol, l’Espagne étant le premier producteur européen de luzerne. Reste à savoir si le ministre aura constitué un rapport de forces suffisant pour influencer la position de Mariann Fischer Boel, la Commissaire européenne chargée de l’agriculture, toujours aveuglée par sa doctrine d’une « agriculture en phase avec le marché ». Au cours du grand marchandage qui aura inévitablement lieu lors du conseil des ministres de l’Agriculture du 19 novembre prochain, le sort de la luzerne sera donc scellé. On pourra alors mesurer la volonté du ministre français de défendre une agriculture durable à travers son engagement envers une filière certes secondaire, mais pourtant très symbolique…

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