Le secret de polichinelle est devenu officiel le 9 mars 2010. « La Commission compte proposer de donner aux pays la possibilité de cultiver ou de ne pas cultiver des OGM s’ils le souhaitent », a en effet déclaré le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso. « Si on commence à mettre le doigt dans la nationalisation, on n’a plus de politique européenne », lui a rétorqué José Bové. Non seulement le militant anti-OGM a raison, mais on peut même se demander si une telle « nationalisation » est conforme au droit communautaire. « La non-discrimination entre opérateurs économiques est consacrée à l’article 34 (2) du Traité de la Communauté européenne (relatif à la Politique Agricole Commune). L’application de ce principe général signifie également que les produits similaires (ceux mis en concurrence sur le même marché) doivent être traités de la même manière », rappelle en effet Darren Abrahams, avocat international basé à Bruxelles. Or, une renationalisation des autorisations sur les OGM mettrait un terme à ce principe fondateur de l’Union, et dont la Commission est l’ultime garant. Nul doute donc que si la Cour européenne est saisie à ce sujet, elle ne pourra que donner tort à la Commission.
Toutefois, José Manuel Barroso dispose d’un atout majeur, que lui ont fourni les Etats-membres hostiles aux biotechnologies. Alors que M. Barroso a demandé que l’Autriche lève son moratoire sur le maïs MON 810, dont la non-pertinence avait été actée par l’agence en charge des questions sanitaires de l’Union, un petit groupe de pays, mené par la France, a réussi à bloquer cette décision le 2 mars 2009. En clair, une majorité qualifiée a estimé que chaque pays devait être libre de décider, et a renvoyé M. Barroso dans les cordes. Ce dernier aurait pu saisir la Cour européenne, arguant l’illégalité du moratoire. Il ne l’a pas fait, ce qui l’exposait à une requête auprès de la Cour européenne, par exemple de la part de Monsanto. Estimant plus intelligent de ne pas appliquer cette arme qui lui aurait valu de se mettre à dos la Commission, la firme américaine a laissé faire. Pour se sortir de ce guet-apens, M. Barroso a donc procédé à un habile renversement de situation, d’autant plus commode que les Etats-membres se sont eux-mêmes rendus impuissants. Comment pourraient-ils en effet contester une renationalisation dont ils sont de facto à l’origine ?
Dans cette affaire, c’est surtout Nicolas Sarkozy qui s’est fait piéger. Alors qu’il se voulait « à la pointe de la défense de l’environnement », prêt à prendre des mesures d’interdictions unilatérales, il va en effet se trouver prochainement devant le choix cornélien suivant : soit accepter la culture d’OGM en France après avoir tout fait pour l’interdire, soit maintenir le cap et placer en conséquence les agriculteurs français dans une situation de distorsion de concurrence. Précisément ce qu’il a promis de ne pas faire…