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Ris de veau et principe de précaution

L’interdiction abusive de la commercialisation du ris de veau, effective entre novembre 2000 et octobre 2002, témoigne des limites de l’application du principe de précaution.

10 millions d’euros : c’est le montant que pourrait atteindre, voire dépasser, la facture de l’État dans l’affaire de l’interdiction de la commercialisation du ris de veau, effective entre le 10 novembre 2000 et le 1er octobre 2002. Condamné une première fois le 11 juillet 2007 par la Cour administrative d’appel de Paris, l’État français avait saisi le Conseil d’État afin d’annuler ce jugement, qui lui ordonnait d’indemniser un négociant en viande de Rungis. Or, le 5 juillet dernier, les sages de la haute juridiction en ont décidé autrement. « L’arrêté du Conseil d’État est une excellente nouvelle pour nos adhérents », se félicite Nicolas Douzain- Didier, directeur de la Fédération nationale de l’industrie et des commerces en gros de viandes, qui rappelle qu’une quarantaine de plaintes sont encore dans les tuyaux. Un coup dur pour l’État, qui va devoir payer le prix fort pour cette décision précipitée, le ministre de l’Agriculture de l’époque, Jean Glavany, ayant été mis sous pression par l’emballement politico-médiatique lié à « l’affaire Carrefour-Soviba ». Retour sur les évènements.

La crise de l’automne 2000

Suite à la mise en vente de viandes provenant d’animaux suspectés d’être atteints de l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), le géant de la distribution alimentaire Carrefour demande immédiatement à ses clients de rapporter la viande de boeuf achetée sous toutes ses formes depuis le 7 octobre 2000 dans 39 de ses magasins. Le dimanche 22 octobre, cette information fait la une du journal télévisé de 20 heures. Elle déclenche une véritable psychose chez les consommateurs, déjà suffisamment traumatisés par le traitement médiatique alarmiste de la crise de la vache folle, quatre ans auparavant. La presse avait alors relayé les prévisions les plus insensées. « Sur la base de travaux de modélisation mathématique, le Pr Roy M. Anderson (Wellcome Trust, Université d’Oxford) calcula que l’épidémie de la nouvelle forme de la maladie de Creutzfeldt-Jakob pourrait, en Grande- Bretagne, faire au total près de 500 000 victimes, voire, selon certaines hypothèses, plusieurs millions [[Vache folle, dix ans après l’annonce de l’apocalypse, Jean-Yves Nau, Revue médicale suisse.]]», rappelle le journaliste Jean-Yves Nau. Une grave erreur de diagnostic qui résultait de l’utilisation d’un modèle simpliste assimilant le prion à un virus de type sida. Or, ce modèle ne prenait pas en compte le fait que le vecteur de l’ESB n’est pas un virus ; qu’il ne se propage pas par contact mais par voie digestive et seulement à travers l’ingestion d’aliments empoisonnés ; que chez le bovin, il n’est présent en forte concentration que dans l’encéphale et les matériaux à risques spécifiques (et non dans le muscle) ; qu’au niveau du tube digestif, chez les animaux et l’homme, il ne pénètre que dans une petite région de la partie distale de l’iléon, au niveau des plaques de Peyer ; et enfin que ces plaques ne sont actives que chez les sujets jeunes, ce qui explique une épidémiologie différente de la maladie de Creutzfeldt-Jakob sporadique.

Lorsque explose l’affaire Carrefour-Soviba, toutes ces connaissances scientifiques sont connues des autorités et des experts. En outre, aucune des vaches suspectées d’être contaminées par l’ESB n’était rentrée dans le circuit d’abattage, preuve du bon fonctionnement du réseau d’épidémio-surveillance. Et pourtant, chez les consommateurs, c’est la panique. Dans la soirée du dimanche, le centre d’appels de Carrefour, mis en place dans l’urgence, reçoit près de 3 000 appels. Le lendemain, le nombre dépasse les 45 000 ! En voyage en Asie, le président de Carrefour, Daniel Bernard, rentre aussitôt à Paris, où un dispositif de crise est déployé avec l’aide des plus grandes sociétés de conseil en communication. Dans les hypermarchés, les ventes des rayons viande s’effondrent, accusant une chute de 20 à 50 %. Afin de limiter la casse et d’éviter un boycott ultérieur de la viande rouge par les consommateurs, Carrefour radicalise son discours en faveur de la mise en place de mesures choc, censées rassurer l’opinion publique. De son côté, la presse s’emballe, tenant un discours des plus catastrophistes. Le 5 novembre, un documentaire diffusé sur M6, intitulé Vache folle : sommes-nous empoisonnés ?, met le feu aux poudres. Il y est question de l’agonie du jeune Arnaud Éboli, 17 ans, mort de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Comment le jeune homme a-t-il été contaminé ? Si personne ne le sait, tout le monde désigne – à tort – la viande de boeuf.

Surenchère

C’est à ce moment que le Président Jacques Chirac choisit d’intervenir. Le 7 novembre, lors d’une allocution radiotélévisée, il se prononce en faveur de l’interdiction totale et sans délai des farines animales. Comme l’explique Bernard Wolfer, agronome, économiste et directeur de recherches à l’Inra de Paris, « cet événement est fondamental, car il a augmenté le trouble dans les esprits [[Une décision sous influence ? L’interdiction des farines, Bernard Wolfer, Les dossiers de l’Environnement, octobre 2004. ]] ». Par son côté solennel, le Président apparaît comme le défenseur de la santé des Français. À l’inverse, le gouvernement dirigé par Lionel Jospin passe pour indécis. « Le président de la République a saisi, avec un bel opportunisme, cette occasion de mettre en difficulté son Premier ministre », poursuit Bernard Wolfer.

Luc Guyau, président de la FNSEA, alimente pour sa part les doutes de l’opinion en proposant de retirer du circuit alimentaire tous les bovins nés avant le 15 juillet 1996. Pourtant, sur les dix premiers mois de l’année 2000, moins de 100 bovins ont été déclarés atteints de la maladie de la vache folle en France. Excès de zèle censé protéger la santé des Français, ou calcul économique cynique en faveur de la filière laitière ? La question mérite d’être posée. En effet, à l’époque, la filière bovine traverse une grave crise économique, avec des prix en baisse et un marché saturé, du notamment aux importations massives de viande en provenance d’Allemagne et des Pays-Bas (environ 300 000 tonnes, sur une consommation annuelle totale de l’ordre de 1,65 million de tonnes). La France tente de protéger son marché en mettant en place une « grille tarifaire pour les viandes bovines françaises », tandis que Jean Glavany demande aux entreprises de cesser leurs achats à l’étranger. Une double décision qui coûtera ultérieurement la modique somme de 16 millions d’euros aux six fédérations du secteur de la viande bovine, condamnées par la Commission européenne « pour atteinte aux droits de la concurrence » et pour « entente illicite sur les prix ». Dans ce contexte économique difficile, une « purge radicale [[ L’expression vient de Laurent Spanghero, président de la FNICGV (cité par Jean-Yves Nau dans Automne 2001, la crise est toujours bel et bien là, Medhyg.ch, 18 octobre 2001).]] » du marché fait donc bien l’affaire, en tout cas pour la filière vaches laitières, qui peut escompter obtenir un prix correct de la destruction de ses vaches de réforme. « Lors d’une réunion de crise à la FNSEA, la Fédération nationale bovine a proposé l’abattage des vaches laitières nées avant 1996, et leur retrait de la consommation. Mais la FNSEA ne pouvant accepter que seules les vaches laitières soient concernées, Luc Guyau a proposé d’abattre toutes les vaches nées avant 1996, y compris celles du troupeau allaitant. Ce qui a provoqué un tollé dans les campagnes », se souvient un observateur proche du syndicat majoritaire.

Si la proposition de la FNSEA convient à la filière vaches laitières, elle ne séduit pas la filière races à viande (Charolaise, Aubrac, Limousine, etc.). Et pour cause ! Voir ses troupeaux finir, avec leurs carcasses, leurs abats et autres déchets, dans les cimenteries, n’est pas une perspective particulièrement réjouissante… « La proposition de la FNSEA est du plus grand cynisme », s’indigne le secrétaire général de la fédération de l’Allier, Jean-Claude Depoil, qui s’insurge contre le fait que tout animal de plus de cinq ans soit désormais suspect, tant sur le marché intérieur que sur celui de l’export [[Jean-Claude Depoil, cité par Jean-Claude Jaillette dans Vache folle, poulet, cochon, les vrais coupables, Marianne, 20 novembre 2000.]]. Engraissées de manière traditionnelle pour produire des veaux avant d’être vendues à la boucherie vers 7 ou 8 ans, ces vaches dites allaitantes nées avant 1996 se retrouvent dans le même convoi que les vaches laitières, consommatrices majoritaires des farines animales. Or, ces dernières n’entrent dans la chaîne alimentaire qu’en fin de cycle, après avoir fourni abondamment leur lait. Le calcul économique n’est donc pas le même… Déclarant qu’il ne faut pas « ajouter de l’irrationnel à l’irrationnel », Jean Glavany rejette la proposition du patron de la FNSEA. Ce qui n’empêche que dans de nombreuses cantines scolaires, la viande de boeuf est retirée du menu. « La réaction des maires de certaines communes a été une réponse à l’inquiétude d’associations de parents, mais elle a dans le même temps conforté et favorisé de fait l’établissement de la crise », commente Bernard Wolfer.

Jospin forcé d’agir

Pris dans ce maelstrom, Lionel Jospin est forcé d’agir. Le 14 novembre, il annonce sept mesures pour lutter contre la vache folle, parmi lesquelles l’interdiction des farines animales dans toute l’alimentation animale. « Il y a une légitime inquiétude, une pression [de l’opinion française en faveur de cette interdiction], même si c’est irrationnel, même si c’est en décalage avec la réalité, qu’importe, nous allons dans le sens de l’interdiction et du moratoire », explique François Hollande, préparant le terrain pour l’intervention du Premier ministre. À ce moment-là, Lionel Jospin connaît le coût de cette mesure : au minimum 3 à 5 milliards de francs. Ces chiffres lui ont été communiqués par une note conjointe des ministères de l’Agriculture, de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement. Et ce sans compter l’aide exceptionnelle de 3,2 milliards de francs accordée par l’État à la filière bovine sous forme de réduction de charges ! Pour sa part, Jean Glavany sait pertinemment qu’il sera très difficile de revenir sur une telle interdiction, qui transformera porcs et poulets en animaux végétariens…

Mais Lionel Jospin n’a plus le choix. « À partir du moment où l’on n’avait plus la capacité d’expliquer, il fallait agir et prendre des décisions lisibles et emblématiques pour l’opinion publique », écrit Bernard Wolfer. Lionel Jospin signe donc l’acte de décès des farines animales, et avec lui, le recours accru – mais moins visible – au soja américain pour l’alimentation du bétail français… Pressé de reprendre la main, le gouvernement n’attend même pas l’avis des scientifiques de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa). Pourtant, comme le reconnaît François Hollande dans Le Monde du 14 novembre, « c’est quand même mieux pour fonder une décision politique d’avoir un avis des scientifiques » ! Or, cet avis sur les farines animales était d’autant plus facile à obtenir que l’Afssa, récemment créée, était alors présidée par Martin Hirsch. Entré en politique en 1997 en devenant le directeur de cabinet de Bernard Kouchner au Secrétariat d’État à la Santé et à l’Action sociale, Martin Hirsch a ensuite occupé le poste de conseiller chargé de la santé de Martine Aubry. Ses nouvelles fonctions à l’Afssa – agence censée être indépendante du pouvoir politique – ne l’ont pas empêché d’entretenir des relations suivies avec la ministre. « À cette époque, on voyait très souvent sa voiture devant le ministère de la Santé le matin », confie à A&E un ancien responsable de l’Afssa.

L’avis opportun de l’Afssa

En lien avec le ministère de Martine Aubry, l’Afssa prépare donc une série de recommandations dites « de précaution», qui permet au Premier ministre de montrer qu ’ i l s’occupe, lui aussi, attentivement de la santé des Français. Paradoxalement, le 9 novembre, l’agence affirme qu’« aucun élément nouveau ne justifie les inquiétudes» des Français. Or, le lendemain, elle propose l’interdiction du ris de veau ! Une recommandation qui ne repose sur aucun fondement scientifique. C’est ce que vient de confirmer le Conseil d’État, qui dispose aujourd’hui d’un épais dossier sur la vache folle, réalisé par le Dr Jean-Louis Thillier [[Le Dr Thillier publie à la même époque De la vache folle au mouton fou (Ed. Siloë), un ouvrage préfacé par l’ancien directeur du Fonds européen d’orientation et de garantie agricole (Feoga), Michel Jacquot.]]. Ce rapport lui avait été remis en 2001 par le collectif Vérité ESB, un groupe d’éleveurs touchés par l’ESB, qui l’avait saisi au sujet du caractère inadapté d’une autre mesure imposée par la France : la stratégie de l’abattage systématique des troupeaux dès lors qu’un seul cas de vache contaminée par le prion était détecté. Comme pour le ris de veau, la France s’était isolée du reste de l’Union européenne, qui avait appliqué la stratégie de l’abattage par cohorte de naissance. Or, Jean Glavany avait décidé de ne pas suivre les recommandations européennes, qui garantissaient pourtant un niveau de protection sanitaire approprié. Comme le note le Dr Thillier dans son rapport de 2001, « l’exemple de la stratégie de l’abattage illustre en France les contraintes de la décision publique dans un univers incertain et risqué. Il y a un aller-retour permanent entre les “avis“ scientifiques, l’estimation de l’impact de la maladie et les mesures à mettre en place, le tout sur fond de conflit entre intérêt général et intérêts particuliers. »

En outre, ces deux mesures (l’interdiction de la commercialisation du ris de veau et l’abattage systématique) constituaient une violation flagrante du règlement communautaire N°1999/2001. Certes, ce règlement – dont l’objectif est d’harmoniser les règles de prévention, de contrôle et d’éradication de l’ESB – est entré en vigueur le 1er juillet 2001, c’est-à-dire après le début de l’affaire Carrefour-Soviba. Mais il avait été élaboré sous la présidence française de l’UE. En toute logique, les autorités françaises auraient dû suivre les recommandations européennes pour la gestion de l’ESB ! Comme se souvient le Dr Thillier, à cette époque, les politiques de lutte contre la zoonose de l’ESB commençaient d’ailleurs à converger sur de nombreux points. « Jusqu’en 1999, le seul régime de surveillance possible était une surveillance clinique, dite passive, reposant sur la détection de symptômes sur les animaux vivants. Depuis 1999, des tests de dépistage post mortem de l’ESB ont permis une surveillance plus active. Les tests ont été utilisés par tous les États européens pour les bovins âgés de plus de 30 mois à l’abattoir », rappelle-t-il. Autre point de convergence : la responsabilité des protéines animales transformées, et surtout des corps gras issus de la fonte des os, dans la diffusion de l’ESB chez les veaux, et seulement chez les veaux. Ce qui a entraîné assez rapidement leur interdiction dans l’alimentation des bovins, puis des autres ruminants. Ces progrès dans la gestion de la crise de la vache folle ont été rendus possibles grâce au travail du Comité scientifique multidisciplinaire sur l’ESB (devenu le Comité scientifique directeur), mis en place par l’UE afin d’obtenir des avis d’experts indépendants sur la vache folle. Ce comité, dont la présidence a été confiée au toxicologue français Gérard Pascal, grand spécialiste de la nutrition à l’Inra – de l’étable à la table –, a émis entre décembre 1997 et avril 2003 non moins de 236 avis au sujet de l’ESB.

La France fait cavalier seul

« À l’époque, la France était également en conflit avec l’Union européenne sur la question de l’embargo sur la viande bovine britannique », se souvient Gérard Pascal. En effet, alors que pour la Commission, la Grande Bretagne avait mis en place suffisamment de mesures pour justifier une levée de l’embargo, la France s’appuyait sur des avis défavorables rendus par l’Afssa pour rejeter la proposition européenne. Persistant dans son refus, la France s’exposait à une condamnation par la Cour de justice européenne. Celleci a d’ailleurs été saisie par la Commission le 4 janvier 2000. Comble du paradoxe, la Commission se basait sur l’avis de son Comité scientifique directeur européen, présidé par Gérard Pascal, alors que pour sa défense, la France brandissait des avis opposés provenant de l’Afssa, dont le Conseil scientifique était alors présidé… par le même Gérard Pascal ! « Gérer la partie de ping pong entre les autorités communautaires et les autorités françaises n’était pas vraiment une partie de plaisir», se souvient aujourd’hui l’expert à la retraite. D’autant plus qu’en ce qui concerne le dossier de l’ESB, l’Afssa n’avait pas encore mis en place tous ses comités spécialisés. La nouvelle agence s’appuyait donc essentiellement sur les avis du Comité interministériel sur les encéphalopathies spongiformes subaiguës transmissibles (ESST), présidé par le Dr Dominique Dormont, médecin militaire au Centre de recherche du service de santé des armées.

Face à Bruxelles, la France n’a pas hésité à faire de l’excès de zèle, estimant que ses experts étaient les plus compétents, et que les pouvoirs publics français étaient mieux engagés à défendre la santé des citoyens. Ce qui explique la position radicale de l’Hexagone sur le ris de veau. Le Comité scientifique directeur de l’UE (CSDE) a beau estimer que le thymus du bovin ne présente aucun risque, la France prétend être mieux informée. Face à l’avis du CSDE confirmant la noninfectiosité du ris de veau (22 mai 2001), la France émet cinq mois plus tard un avis opposé rédigé par le « soldat » Dormont. Pourtant, « chez le bovin atteint d’ESB, on avait déjà confirmé l’absence de diffusion du prion-poison dans le système lymphatique et le sang, contrairement au mouton ou à la chèvre, où les agents pathogènes des encéphalopathies spongiformes diffusent partout dans l’organisme », explique le Dr Thillier. Ne pouvant laisser la France agir contre le règlement européen, la Commission ouvre un nouveau contentieux avec elle.

À ce moment-là, Paris n’a toujours rien de sérieux à proposer pour sa défense. En mars 2002, le gouvernement finit par se plier aux exigences européennes en accordant une première autorisation de commercialisation du ris de veau, « sous conditions ». Afin de ne pas perdre la face, l’Afssa tente de se justifier. « Dans un rapport du 11 avril 2001, nous avions écrit que lorsque les mesures sur les farines seraient totalement appliquées, nous pourrions alléger la liste des matériaux à risques spécifiques (MRS) », explique à la presse Martin Hirsch, forcé de reconnaître que l’infectiosité du ris de veau n’a jamais été démontrée, contrairement à celle des intestins et de l’encéphale chez le bovin (alors que chez le « mouton fou », tous les organes sont atteints). Pourtant, pas question de supprimer le ris de veau de la liste des MRS, comme le prévoyait un projet d’arrêté de novembre 2001 ! Martin Hirsch tente une explication bien hasardeuse : « On ne pouvait pas le faire sans être sûrs que les veaux n’avaient jamais mangé de graisses d’os ». D’où l’exigence que les veaux soient nés après le 1er janvier 2002, date à laquelle l’Afssa considère que « globalement, en France, toutes les interdictions de farines et de graisses animales sont mises en application ». Deuxième condition : les thymus doivent provenir de jeunes bêtes nourries sous la mère, c’est-à-dire dans des exploitations n’ayant recours à aucun lactoremplaceur. Bref, la France veut montrer à l’Europe qu’elle maîtrise toujours le calendrier.

La France rentre dans les rangs

Il a fallu attendre octobre 2002 pour que la France se décide à se conformer à la législation européenne sur la commercialisation du ris de veau. C’est aussi à ce moment qu’elle lève son embargo sur la viande bovine originaire du Royaume-Uni. Deux mois plus tard, elle abandonne l’abattage total des troupeaux au profit de l’abattage sélectif de la cohorte correspondant à l’animal atteint. Cette dernière décision est fondamentale dans l’affaire de la vache folle, car elle acte que l’ESB n’est pas une maladie contagieuse, mais une maladie transmise uniquement par un poison diffusé par voie alimentaire. La thèse virale, défendue encore en 2001 par le Dr Dormont, s’effondre [[ Prion diseases : etiologic agents and pathogenesis, Dominique Dormont, Hématologie, Volume 7. N° 4, juillet – août 2001.]] . Et ce dernier décède tragiquement à 54 ans en novembre 2003, alors qu’il était en pleine santé. Si l’interdiction du ris de veau peut sembler secondaire – le préjudice pour une quarantaine de négociants s’élève à peine à 10 millions d’euros –, d’autres mesures prises dans l’affolement de la crise ont eu de bien plus sérieuses conséquences. Par exemple l’interdiction totale des farines animales, qui a étouffé trop longtemps l’existence d’autres sources de contamination comme les lactoremplaceurs. En outre, la condamnation sans distinction des farines animales, nerf de l’indépendance européenne en matière de protéines de qualité, a transformé celles-ci en vulgaire combustible pour les cimenteries. « Paradoxalement, des mesures excessives ont été prises concernant les farines au moment même où on disposait des moyens techniques pour les rendre sécurisées », souligne le Dr Thillier. Depuis, l’Europe s’en mord les doigts : les importations de soja américain – OGM pour la plupart – ont explosé, et aucun responsable politique n’ose réhabiliter les protéines animales transformées (PAT), si indispensables à l’alimentation des nonruminants. Certes, une réintroduction est régulièrement évoquée. Mais traumatisée par la seule expression de « farines animales», l’opinion publique n’est toujours pas disposée à en entendre parler. En tout cas pas tant que toute la lumière sur la crise de la vache folle ne sera faite. Le récent avis du Conseil d’État apporte un élément positif. L’instruction en cours, dirigée par la juge Marie-Odile Bertella- Geffroy, coordonnatrice du pôle santé de Paris, devrait en apporter d’autres. Si le procès a bien lieu…

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