En exclusivité pour A&E, le député européen socialiste Stéphane Le Foll livre ses réflexions sur la proposition du commissaire européen à l’agriculture, Dacian Ciolos, pour la politique agricole commune après 2013.
Stéphane Le Foll :
Selon moi, quatre enjeux essentiels ressortent de la communication de la Commission. Le premier concerne la réorganisation de la structure même de la politique agricole. Jusqu’à présent, celle-ci repose sur deux piliers. Or, la Commission propose de restructurer le premier pilier afin qu’il rassemble toutes les aides versées annuellement, et de garder dans le deuxième pilier tout ce qui est contractualisé. Cela va dans le bon sens. En effet, il est temps de donner un peu plus de clarté à l’organisation de la politique agricole. De plus, une partie des aides compensatrices seraient dorénavant intégrées dans le premier pilier. Notamment celles qui concernent les handicaps naturels. J’en déduis que la Commission s’engage à soutenir une agriculture qui occupe l’ensemble de l’espace européen. C’est un élément fort, qu’il faut appuyer. Nous le savons, sans ce type d’aides compensatoires, il y aurait disparition de filières dans des régions entières de France et d’Europe. Or, je suis convaincu que l’Europe a besoin de cette diversité de production.
L’autre élément important clairement inscrit dans l’ambition du Commissaire, c’est le maintien du couplage facultatif des aides. Il reste également nécessaire si l’on veut garder un certain nombre de filières qui, sans un tel couplage d’aides, pourraient disparaître. Or, ne connaissant pas les potentiels de demain, nous ne pouvons pas nous permettre la disparition de filières, et celle d’un savoir-faire et d’une organisation qui leur sont liés. Le fait d’avoir obtenu de la Commission un tel engagement est une avancée considérable.
Le deuxième grand choix d’orientation que je vois dans la proposition, c’est le lien entre le social et l’économique. La Commission avance deux pistes majeures. La première consiste à reconnaître le rôle essentiel des « petites exploitations agricoles ». Ce sujet va entraîner des discussions vives et fortes, notamment concernant le niveau auquel on va situer le curseur. Il faut rappeler qu’il existe des écarts énormes à l’intérieur même de l’Europe, et que le paysage agricole français n’est pas vraiment marqué par de grandes exploitations, notamment en Allemagne. Or, la fixation du curseur va entraîner des conséquences budgétaires qui pourraient devenir très lourdes. Cependant, l’idée qu’on puisse reconnaître l’existence de petites exploitations – à la condition qu’elles garantissent leurs propres débouchés, comme l’a rappelé la Commission – me paraît une voie qui mérite réflexion. C’est particulièrement pertinent pour un pays comme le nôtre, qui a aussi fait le choix de soutenir les circuits courts et les productions localisées. Reste donc à calibrer correctement la mesure.
La deuxième piste, mentionnée dans le projet de la Commission, est très pertinente. Il s’agit de lier les aides aux actifs agricoles. Ceci concerne donc l’avenir juridique de l’agriculture et des exploitations. Il faudra déterminer si tous les agriculteurs auront le statut de chef d’exploitation. Aujourd’hui, il y a des tendances lourdes qui vont dans le sens inverse, avec des investisseurs qui achètent des terres et cherchent ensuite à les rentabiliser, comme n’importe quel genre d’investissement. L’Europe doit donc se demander si elle veut garder son modèle basé sur des exploitations familiales avec un chef d’exploitation. Traiter de la taille des exploitations et de leur statut juridique ensemble, comme le fait le Commissaire dans sa proposition, me paraît être un choix politique essentiel. Bien entendu, il y aura là aussi un grand débat, qui portera non pas sur le présent mais bien sur l’avenir juridique des exploitations agricoles.
Le troisième enjeu que soulève la Commission relève du domaine de l’environnement. C’est ce qui a été baptisé le « verdissement » de la politique agricole, autrement dit : savoir comment on intègre l’environnement dans la PAC. Aujourd’hui, l’éco-conditionnalité définit un cadre, auquel s’ajoutent ensuite des politiques sectorielles et de zonage, qui font partie du deuxième pilier. Pour moi, tout l’enjeu consiste à définir une politique d’ensemble, qui permette à la fois une performance écologique et une performance économique. C’est une équation qui n’est pas aussi facile à résoudre qu’on pourrait le penser. L’enjeu dépasse d’ailleurs l’agriculture. Les 19ème et 20ème siècles ont été des siècles qui ont combiné les facteurs de production à la question sociale. A partir de la fin du 20ème et du début du 21ème siècles, on y a ajouté un troisième élément, qui n’existait pas : l’écologie. Ce qui ne veut surtout pas dire qu’il faille oublier la question sociale, qui reste plus que jamais un vrai sujet. Cependant, l’écologie ne doit pas être réduite à son sens restrictif, mais doit être envisagée de manière vaste. C’est-à-dire qu’elle traite de la biodiversité à la lutte contre le réchauffement climatique, en passant par la protection des ressources naturelles. Pour l’agriculture, cela va encore plus loin. En effet, l’écologie signifie également se poser correctement la question de la photosynthèse. On parle beaucoup d’énergie solaire, or, la première activité qui utilise l’énergie solaire, c’est de très loin l’agriculture grâce la photosynthèse. Ne l’oublions pas ! Ensuite, la photosynthèse conditionne la capacité à fixer le carbone.
Le dernier des quatre enjeux est celui de la régulation. Or, dans ce cas, ce que propose la Commission est faible. C’est le minimum syndical : les sécurités, les assurances, etc. C’est très bien, mais il n’y a pas de proposition nouvelle. Si on devait avancer à l’échelle européenne, par exemple sur la contractualisation, il faudrait créer un statut juridique européen, sans quoi chaque Etat ferait ce qu’il veut. On me dit même qu’on veut limiter dans chaque pays le niveau lié à la contractualisation à quelques pourcentages de la totalité de la production en question. Nous ne sommes pas du tout dans un processus qui permettrait d’avoir des objectifs plus dynamiques. Comme par exemple mettre en place une régulation sur la base d’acteurs économiques qui ont fait des choix stratégiques. Je dirais même que, pour la France, la question de la contractualisation n’est pas simplement posée dans son lien entre exploitation et industriel, mais aussi dans l’idée du contrat commercial qui lie souvent l’industriel et la grande distribution. Prenons l’exemple de l’Allemagne, ce qui est très à la mode aujourd’hui : les contrats sont extrêmement solides et toujours respectés. Par conséquent, la production agroalimentaire allemande trouve des débouchés même chez les hard-discounters ! Pourtant, il ne semble pas qu’il y ait de problèmes entre ces hard-discounters et les industriels allemands, alors qu’en France nous sommes dans un rapport de forces qui, depuis des années, fait systématiquement conflit. Bref, sur le dernier des enjeux, il y a encore une grande marge de progrès, et nous autres parlementaires, nous comptons y apporter notre contribution.