Un an après le « horsegate » , la majorité des emballages restent muets sur la provenance de la viande, tandis que la Commission reste sourde aux arguments de Paris.
Suite à l’affaire des lasagnes frelatées à la viande de cheval, le dossier de l’étiquetage sur les produits transformés a été relancé l’année dernière. Promis juré, les ministres de l’Agriculture et de l’Économie sociale et solidaire, Stéphane Le Foll et Benoît Hamon, devaient faire le nécessaire pour que le consommateur sache désormais ce qu’il mange.
Les ministres jouissaient d’ailleurs du soutien ferme des géants de la distribution, qui s’étaient engagés à n’utiliser que de la viande française dans les plats préparés de leurs marques vendues en France. Pour Carrefour, la mesure devait même être appliquée «dès le mois de mars» pour les plats préparés frais, et «dans six mois» pour les surgelés.
De leur côté, les associations d’éleveurs avaient donné leur satisfecit. « L’instauration, en 1996, d’un label VBF [viande bovine française, NDLR] sur les produits frais, avait permis de restaurer la confiance et de relancer la demande», soulignait Pierre Chevalier, président de la puissante Fédération nationale bovine (FNB). «De la même manière, la France doit encourager la mention volontaire de l’origine des aliments sur l’étiquetage des produits cuisinés», souhaitait-il.
Message reçu cinq sur cinq par le président de la République, François Hollande, qui a assuré militer lui aussi pour un étiquetage obligatoire. On aurait donc pu croire l’affaire facilement bouclée. En effet, il suffisait juste de convaincre la Commission européenne, « a priori pas du tout sur cette ligne», ainsi que les pays nordiques, toujours hésitants face aux bonnes idées des pays du Sud. Vaincre ces quelques réticences pourrait prendre «quelques mois», avait toutefois précisé le président, certain de pouvoir s’appuyer sur l’Allemagne et le Royaume-Uni.
Or, un an plus tard, rien n’a bougé ! En tout cas en ce qui concerne les étiquettes. Sauf pour quelques enseignes. «Tous nos produits de marque Carrefour, frais comme surgelés, ne contiennent que du bœuf et du porc d’origine française», se félicite Béatrice Peyrelongue, responsable com’ du groupe. Certes. Mais comme l’a révélé l’ UFC-QueChoisir ?, plus de 60 % des plats cuisinés vendus sur le marché et contenant de la viande ne mentionnaient toujours pas l’origine de celle-ci en décembre 2013.
Le gouvernement fait marche arrière
C’est que l’affaire est loin d’être aussi simple que ne l’ont présentée MM. Le Foll et Hamon. Ainsi, à la surprise générale, le gouvernement s’est opposé le 27 juin 2013 à l’ensemble des amendements proposés par des députés UMP, PS et Front de gauche, qui visaient pourtant à inscrire dans la loi française l’obligation de mentionner l’origine nationale de la viande, qu’elle soit consommée fraîche ou dans le cadre de produits alimentaires transformés. Pour justifier son refus, le gouvernement a indiqué préférer attendre les propositions de la Commission européenne. «La France est en pointe sur ce dossier, et a décroché des soutiens auprès de plusieurs pays, malgré la position frileuse de la présidence irlandaise de l’UE et de la Commission européenne. Si le signal qui est donné est de voter une disposition contraire aux textes européens, cela mettra le gouvernement français en difficulté», s’est justifié Benoît Hamon. L’adoption de tout texte national qui ne serait pas conforme au droit européen permettrait à n’importe quelle entreprise d’ouvrir un contentieux, «que nous sommes sûrs de perdre», a précisé le ministre.
En septembre 2013, c’est le Sénat qui a voté à l’unanimité un amendement déposé par le sénateur PS Alain Fauconnier, énonçant que «l’indication du pays d’origine est obligatoire pour toutes les viandes, et tous les produits agricoles et alimentaires à base de viande ou contenant en tant qu’ingrédient de la viande, à l’état brut ou transformé».
Cependant, à la différence des amendements déposés à l’Assemblée nationale, le texte voté au Sénat stipule que l’application de cette mesure devra être fixée par décret en Conseil d’État «après que la Commission européenne ait déclaré compatible avec le droit de l’Union européenne l’obligation prévue par le présent article». Autrement dit, sans l’aval de la Commission, la France ne peut rien faire, reconnaissent les sénateurs. «L’inscription de cet amendement dans la loi Consommation anticipe l’évolution de la réglementation européenne demandée par la France, l’Allemagne et plusieurs autres pays européens», s’est aussitôt félicité Benoît Hamon, conscient de marcher sur des œufs.
La commission hostile à Paris
À Paris, on déplore en effet la position hermétique de la Commission européenne face aux arguments présentés par la France. Comme la Fédération belge de l’industrie alimentaire (Fevia), la Commission estime qu’un étiquetage renforcé n’empêchera ni ne résoudra les problèmes de fraude. Pire, elle craint qu’une telle mesure ne renforce «certains réflexes nationalistes».
Elle n’a pas tort. À l’heure où le doute s’installe partout sur le continent au sujet du bien-fondé de la construction de l’Union européenne, prendre des mesures à caractère nationaliste représente un jeu bien risqué. Il suffit d’ailleurs d’écouter les propos de Leif Blanc, délégué national à la ruralité, l’agriculture et l’environnement du Front national, pour s’en convaincre. «Les palinodies du gouvernement, qui préfère s’en remettre finalement à de nouvelles négociations avec la Commission et le Parlement européen, ne doivent tromper personne : il s’agit bel et bien d’une reddition sans condition devant les exigences libre-échangistes des technocrates et des multinationales de l’agroalimentaire», a-t-il déclaré.
Or, à moins de mettre en doute les normes européennes, rien ne distingue, sur le plan sanitaire, un poulet élevé en Italie, au Danemark, en Allemagne ou en France. De même que la qualité d’un lait des montagnes auvergnates est censé répondre aux mêmes normes qu’un lait des vallées de Bavière. En réalité, prétendre rassurer le consommateur en indiquant l’origine nationale de l’aliment n’est pas très sérieux. Comme le note le rapport de la Commission,«tous les produits fabriqués dans l’Union, quel que soit le lieu de production, et tous ceux importés sur le territoire européen sont, par définition, sûrs». Mieux vaudrait donc communiquer sur le haut niveau des normes européennes, sur l’excellence des produits de l’UE et sur la multitude des agences de contrôle sanitaire dont elle s’est dotée, plutôt que d’abreuver la population de propos frisant la théorie du complot, tels ceux tenus par Florian Philippot, vice-président du FN, qui accuse l’Union européenne d’être « à la botte des puissances de l’argent et des grands lobbies agroalimentaires ».
En outre, la crise des lasagnes ayant touché un transformateur français –Spanghero–, il n’est pas certain que ce scandale ait renforcé la confiance de nos amis allemands, danois ou polonais, dans la production française ! Enfin, la mise en place d’une telle mesure a un coût, que le consommateur finira par payer. Est-il prêt à le faire ?
Bruxelles sort son joker
Un rapport d’orientation publié le 17 décembre 2013 conforte la position de la Commission. Certes, il ne tranche pas, se contentant d’évoquer trois scénarios possibles : le maintien de l’indication sur une base volontaire ; l’introduction obligatoire d’indication sur la base Union européenne ou hors-UE ; enfin, l’indication du pays d’origine.
L’intérêt principal du texte est avant tout de souligner la complexité de l’industrie de la transformation de la viande en Europe. Celle-ci concerne 13 000 entreprises et 350 000 employés. Or, ce secteur est caractérisé par un très faible degré de concentration, 90% de ces entreprises étant des petites et moyennes structures, qui s’approvisionnent auprès de plusieurs fournisseurs au sein de l’UE et de pays-tiers. « Les exploitants du secteur alimentaire et, en particulier, les PME, tendent à changer de fournisseurs trois fois par an ou davantage afin de garantir un niveau adéquat de matières premières à un prix abordable », expliquent les rédacteurs du rapport. Seules 20% des PME interrogées déclarent que leurs matières premières sont d’origine nationale. C’est pourquoi l’adoption de l’étiquetage obligatoire entraînerait inévitablement des modifications radicales des pratiques d’approvisionnement, mais aussi de production, pour l’immense majorité des PME du secteur. Le scénario 3 (indication obligatoire du pays d’origine) pourrait provoquer jusqu’à 50% de surcoût d’exploitation, estiment les rapporteurs. En outre, il aurait des impacts environnementaux non négligeables, notamment en ce qui concerne le non-usage des ingrédients résiduels (chutes de parage et de graisses), qui n’ont jusqu’à présent fait l’objet d’aucune analyse.
Le paradoxe des consommateurs
Reste à savoir si le jeu en vaut la chandelle. Certes, le consommateur est demandeur d’une telle mesure. Bien qu’il existe des différences marquantes entre États-membres, «les consommateurs sont, dans leur ensemble, désireux d’en savoir plus sur l’origine de la viande», admet la Commission. L’indication de l’origine est associée à toute une série de caractéristiques positives, dont la qualité. C’est une manière simple de «raconter l’histoire des aliments», et donc de redonner du sens à des produits industriels qui sont assimilés à des «objets comestibles non-identifiés», pour reprendre les termes du sociologue Claude Fischler.
Tout cela est juste. Sauf que selon une étude de Food Chain Evaluation Consortium (FCEC), cette exigence sur les origines des produits ne figure qu’en cinquième place, derrière le goût, la date de péremption, l’apparence et le prix. Elle remonte à la quatrième place –toujours derrière le prix– lorsqu’il s’agit d’un produit à base de viande. «Il apparaît que les consommateurs achètent actuellement de la viande portant des indications sur l’origine moins souvent qu’ils ne le souhaitent en raison des prix», souligne le rapport de la Commission. C’est là tout le paradoxe : les consommateurs sont effectivement intéressés par l’obtention d’informations très précises sur l’origine des aliments, mais seulement si ces données leur sont fournies sans majoration des prix.
C’est là tout le paradoxe: les consommateurs sont intéressés par l’obtention d’informations très précises concernant l’origine des aliments, mais seulement si ces données lui sont fournies sans majoration des prix.
Pire, comme le note une étude publiée par l’Université de Wageningen (Pays-Bas), ils ne sont généralement pas conscients des coûts supplémentaires induits par l’indication de l’origine sur l’étiquette. «Ils croient qu’ils se limitent au coût d’un peu d’encre supplémentaire pour l’impression», indique l’étude. Le risque serait donc qu’afin de maintenir un prix attractif, l’étiquetage se fasse au détriment de la qualité –déjà pas extraordinaire– des plats transformés.
Le véritable enjeu
Benoît Hamon et Stéphane Le Foll ont beau instrumentaliser le scandale du «horsegate» pour justifier un étiquetage qui constituerait, selon eux, l’arme fatale contre «les fraudeurs de tous poils», les raisons réelles qui poussent les filières agricoles françaises à défendre ce dossier sont d’un tout autre ordre. Il s’agit ni plus ni moins de fournir une réponse stratégique au déclin des filières animales, en perte de vitesse sur tous les plans depuis une bonne dizaine d’années. En cause, non pas le coût du travail des salariés chinois ou indiens, mais notamment le manque d’harmonisation fiscale et sociale de l’Union européenne, et en particulier les distorsions de concurrence entre la France et l’Allemagne.
«Le cheptel porcin allemand s’est développé avec une croissance de +10% de 2000 à 2012, alors que pour la même période, la France a perdu 8,16 % de son cheptel», déplore le SNIV. Ainsi, après avoir perdu des parts de marché sur le territoire européen, la France se trouve acculée sur son propre marché intérieur.
Aujourd’hui, plus de 50% de la viande de volaille consommée dans l’Hexagone est importée, notamment d’Allemagne. Pire, malgré nos excellentes races à viande, nous sommes devenus le plus grand importateur de viande bovine d’Europe. Un comble !
Or, face à cette réalité, tous les responsables politiques – de droite comme de gauche – se sont montrés impuissants. Impuissants, à Paris, pour accompagner la nécessaire restructuration du secteur de la viande. Et impuissants, à Bruxelles, pour imposer un cadre réglementaire et fiscal européen harmonisé.