Dominique Guillet, le fondateur de Kokopelli, peut enfin souffler.Dans son arrêté du 9 septembre 2014, la cour d’appel de Nancy a en effet rendu un jugement d’apaisement. Renvoyés dos-à-dos, Kokopelli et le semencier nancéen Graines Baumaux ont été respectivement condamnés à avoir « commis des actes de concurrence déloyale par dénigrement ». Ils vont donc devoir se verser l’un à l’autre la somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts.
Ce jugement infirme celui du tribunal de grande instance de Nan-
cy rendu le 14 janvier 2008. Celui-ci avait d’une part débouté les parties de leurs demandes réciproques de condamnation pour dénigrement, et d’autre part estimé que la mise sur le marché de produits non autorisés à la vente par Kokopelli était de nature à désorganiser le marché des graines de semences potagères, entraînant un délit de concurrence déloyale envers Graines Baumaux. À l’inverse, les magistrats de la cour d’appel de Nancy ont estimé que la vente illicite de produits ne constituait pas une concurrence déloyale envers Graines Baumaux. Dont acte.
Conscient de la limite du jugement de Nancy, Dominique Guillet ne se réjouit toutefois qu’à moitié. « Cela ne signifie pas que l’activité de Kokopelli se trouve officiellement avalisée par la cour d’appel. Bien au contraire », écrit-il. Simplement, il s’estime ainsi être « hors de danger vis-à-vis de Graines Baumaux et de l’industrie semencière ». Comme les services des fraudes ferment les yeux sur les ventes illicites de son association, Dominique Guillet peut poursuivre son petit commerce sans se faire de souci. « Et c’est évidemment l’essentiel », déclare-t-il.
Le business de Kokopelli marche plutôt bien. Avec un chiffre d’affaires avoisinant les 2 millions d’euros, un réseau de paysans-militants implantés dans de nombreux pays, un nombre d’adhérents multiplié par quatre en dix ans (1768 en 2004, 8877 en 2013), et bien entendu une vaste clientèle qui va au-delà de quelques jardiniers amateurs – une « niche bien trop étroite pour la mission qu’elle s’est donnée » –, l’association ariégeoise cartonne ! Son patron a même obtenu le soutien moral de certains responsables politiques, comme Nathalie Kosciusko-Morizet et Corinne Lepage, ainsi que celui de journalistes séduits par son discours libéral sur la liberté de produire des semences.
Petites insultes entre amis
En réalité, l’arrêté de la cour de Nancy ne facilitera pas le combat solitaire de Dominique Guillet pour la constitution d’un marché européen des semences sans règle ni loi –à l’image de ce qui se pratique aux États-Unis –, ni celui du Réseau semences paysannes (RSP), aujourd’hui en conflit ouvert avec le patron de Kokopelli. Alors que RSP souhaite amender la loi sur le commerce de semences, « mais en aucun cas supprimer tout contrôle du commerce des semences », Guillet le libertaire s’est engagé dans une guerre totale contre « l’opposition contrôlée », accusée d’avoir « pourri, miné et saboté, depuis de très nombreuses années, une grande partie des mouvements activistes et militants de préservation de l’environnement ».
Pour le patron de Kokopelli, RSP et surtout son porte-parole Guy Kastler représentent « les derniers soubresauts d’un monde paysan qui s’effondre, inféodé à l’industrie semencière mais désespéré par les conséquences inéluctables de cette inféodation ». Présent lors d’un forum organisé à Bâle les 20 et 21 septembre 2013 par une coordination d’associations qui défendent les semences paysannes, Dominique Guillet n’aurait aperçu « qu’une pléthore de vieux croûtons et de vieilles croûtonnes sclérosés au service de la technocratie, fût-elle “bio”, au service de l’industrie bio, donc de l’industrie ». Guy Kastler et ses amis de RSP n’auraient pas saisi les véritables enjeux du combat pour la sauvegarde de la biodiversité. Pour Guillet, ceux-ci sont parfaitement exprimés par le chaman mystique américain John Lash, son maître spirituel. Depuis des années, le patron de Kokopelli a d’ailleurs entrepris la traduction des œuvres complètes de son gourou, qu’il diffuse gratuitement sur son site Liberterre.fr.
Ce que ne dit pas Guillet
Antisémite assumé, John Lash livre une vision du monde délirante, teintée d’un discours nauséabond à faire se pâmer Dieudonné et consorts. Toutefois, le pire ne se trouve pas sur le site français de Guillet, mais dans plusieurs interventions audio récentes, également disponibles sur Internet. Dans l’une d’elles, John Lash impute l’état lamentable du monde au pouvoir maléfique des traditionnels « criminels de l’agrochimie », mais aussi à celui des juifs, qualifiés « d’ennemis de l’humanité » ! « Le programme des sionistes, c’est de détruire ou d’asservir les non-juifs […] C’est un fait relaté dans le Talmud juif. […] Le Talmud exprime une idéologie anti-humaniste et contient un programme contre l’humanité », explique Lash, laissant dégouliner sa haine envers le judaïsme. Dans un texte intitulé Le Défi de la Sagesse, disponible sur le site Liberterre, Lash dénonce ainsi le « programme apocalyptique d’une faction minuscule de maniaques génocidaires », ajoutant que ce programme « a progressé jusqu’à aujourd’hui sous la houlette d’un autre Z, très connu du monde entier ». Et Dominique Guillet de préciser que « John Lash fait référence au sionisme, Zionism en anglais ».