Les vertus nutritionnelles des produits issus de l’agriculture biologique sont régulièrement évoquées par ses partisans. Vrai ou faux ? Nous avons posé la question à Léon Guéguen, membre de l’Académie d’agriculture et ancien directeur du Laboratoire de nutrition et sécurité alimentaire du Centre INRA de Jouy-en-Josas.
Léon Guéguen :
La question des vertus nutritionnelles des produits issus de l’agriculture biologique est complexe, et surtout, rarement évoquée sans passion. Il est vrai que pour les partisans de l’AB, l’argument nutritionnel et sanitaire reste essentiel.
La plus large étude –une méta-analyse– publiée à ce sujet sur les produits végétaux a été réalisée par un panel de 18 auteurs, tous connus pour leur forte sympathie envers l’agriculture biologique. On peut donc difficilement les accuser de parti pris en défaveur des produits bio !
Pour ces constituants analysés, les auteurs ne relèvent aucun écart significatif. Selon eux, il ne resterait principalement que deux points majeurs en faveur de l’agriculture biologique : les différences concernant les polyphénols antioxydants des fruits, et la présence moindre de résidus de pesticides de synthèse.
Sur ce dernier point, personne ne conteste que les produits végétaux –surtout les fruits– obtenus en agriculture biologique contiennent moins souvent, et à des teneurs encore plus faibles, des traces de pesticides de synthèse. C’est logique, puisque ces derniers sont interdits ! En revanche, les auteurs ne font pas état des études portant sur la teneur en traces de pesticides « naturels » autorisés en agriculture biologique, comme le cuivre, la roténone (récemment interdite), l’azadirachtine (l’une des matières actives de l’huile de neem), ou encore le PBO, un synergisant des pyréthrines. À leur décharge, il faut avouer qu’il n’existe quasiment pas d’études sérieuses consacrées à ce type d’analyses… Mais, en réalité, tout cela importe peu puisque la quantité de matières actives détectées est tellement infime qu’à ce niveau, il n’est pas raisonnable d’évoquer un quelconque risque sanitaire.
Reste donc la question des antioxydants, censés apporter des qualités protectrices aux aliments bio. Rappelons qu’une plante non protégée par un traitement phyto-sanitaire réagit à diverses agressions en synthétisant davantage ses propres moyens de défense. Elle fabrique alors des métabolites secondaires, dont certains (polyphénols, caroténoïdes) exercent une action antioxydante réputée bénéfique, tandis que d’autres s’avèrent toxiques.
Un apport en polyphénols supérieur de 20% via les fruits bio ne contribue qu’à environ 1% de l’activité antioxydante du régime.
Les teneurs plus élevées en certains antioxydants trouvées dans les produits issus de l’agriculture biologique sont pourtant le principal argument souligné dans le résumé de la grande étude citée. Ainsi, il y est question de différences comprises entre 50 et 69 % en faveur des fruits bio, et ce pour quelques flavonoïdes particuliers comme les flavonols (kaempférol et quercétine des baies rouges, pommes et brocolis), les flavanones (agrumes) et les anthocyanines (catéchines des baies et fruits rouges).
Or, pour les flavanones, les grands écarts observés dans l’étude ne sont pas significatifs. En outre, des différences bien plus faibles sont constatées pour les composés phénoliques totaux. Enfin et surtout, il n’y a pas de différence pour les caroténoïdes (dont le lycopène), ni pour les vitamines C et E.
Au final, les différences entre agriculture biologique et agriculture conventionnelle sont réduites à moins de 20% lorsqu’on considère la totalité des composés antioxydants.
Or, même ce chiffre doit être pris avec beaucoup de précaution. En effet, on sait que l’activité antioxydante du régime alimentaire est attribuable, pour environ la moitié, aux polyphénols, et qu’en France, selon l’étude NutriNet–Santé, ces polyphénols sont surtout apportés par le café et le thé (70%), le chocolat (10%) et le vin rouge (7%). La part revenant aux fruits et aux légumes, elle, ne dépasse pas 10%.
Autrement dit, un apport en polyphénols supérieur de 20% via les fruits bio ne contribue qu’à environ 1 % de l’activité antioxydante du régime. Plusieurs études récentes ont montré que cet avantage au niveau de l’aliment ne se traduit pas, après absorption intestinale, par un bénéfice sur le pouvoir antioxydant mesuré dans le sang. Ce qui explique que les marqueurs sanguins restent muets dans les comparaisons du statut antioxydant entre agriculture biologique et agriculture conventionnelle.