Dopée par ses bonnes ventes de maïs et de soja transgéniques, la multinationale américaine Monsanto connaît un rebond de 12% de son chiffre d’affaires (5,1 milliards de dollars) et un résultat net de 1,37 milliard de dollars pour le premier trimestre de 2017.
Cette bonne nouvelle pour les actionnaires de la société de Saint-Louis s’ajoute à l’annonce de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA), qui estime que les preuves scientifiques existantes ne permettent pas de classer le glyphosate, son principal herbicide, dans la catégorie des produits cancérigènes, mutagènes ou ayant des effets toxiques sur la reproduction. Cet avis confirme les conclusions précédemment émises par l’ensemble des agences sanitaires du monde, à l’exception de celle, controversée, de mars 2015, rendue par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC).
Lors d’une conférence de presse tenue le 15 mars 2017, Jack de Bruijn, directeur du comité d’évaluation des risques de l’ECHA, a en effet indiqué que les recherches fondées sur une « évaluation étendue de toutes les informations disponibles » sur les humains et sur les animaux n’avaient pas permis de conclure à un risque de défauts génétiques ou reproducteurs. Très attendu par Bruxelles, cet avis pourrait ouvrir la voie à la réautorisation de l’herbicide désormais le plus contesté du monde sur le continent européen, au grand dam des ONG antipesticides, qui ont vivement réagi à cette annonce. Comme à leur habitude, elles ont dénoncé de prétendus conflits d’intérêts au sein du comité d’évaluation des risques de l’agence.
Mise en cause de l’ECHA par les ONG
Portée par Martin Pigeon, un lobbyiste bruxellois au service d’ONG écologistes, cette accusation a été relayée en France par le quotidien Le Monde. Réagissant à ces critiques, l’ECHA a tenu à préciser que les deux experts mis en cause par les ONG ne sont « ni rapporteurs ni réviseurs de l’expertise glyphosate ». « Ces deux membres du comité d’évaluation des risques [de l’ECHA] travaillent pour des institutions nationales respectées qui offrent des services de consultance à l’industrie, ce qui est une pratique normale », ajoute l’agence. « Avant chaque séance, les experts en conflit d’intérêts avec le sujet abordé se démettent et sont alors remplacés », précise pour sa part Le Monde.
Cette clarification n’a pas suffi à éteindre l’incendie régulièrement alimenté par les ONG hostiles aux pesticides en général et au glyphosate en particulier, et qui ont mis en ligne une pétition appelant à son interdiction. Franziska Achterberg, la directrice politique alimentaire européenne de Greenpeace, accuse désormais l’ECHA de « glisser sous le tapis les preuves de cancérogénicité du glyphosate », tandis que François Veillerette, le patron de Générations Futures, rappelle avoir « critiqué ces mois derniers cette attitude des agences qui conduit à garder sur le marché des produits dangereux ».
Plus curieusement, le ministère de l’Environnement français s’est joint au concert des protestations, contre l’avis des experts. Dans un communiqué de presse publié moins de 24 heures après la décision de l’ECHA, Ségolène Royal s’est déclarée « consternée par cet avis qui ne reconnaît pas de caractère cancérogène au glyphosate ». Préférant s’appuyer sur un simple article de presse, la ministre prétend désormais que « les avis entre experts sont divisés également aux États-Unis ». Elle appelle « les ministres européens de l’Environnement à s’opposer à un renouvellement de l’autorisation dans la durée du glyphosate au niveau européen ».
Les « Monsanto Papers » de Stéphane Foucart
Malheureusement, le cas de Ségolène Royal n’est pas unique. Ainsi, 29 députés européens – essentiellement socialistes et écologistes – sur les 721 qui siègent au Parlement, ont adressé un courrier au président de la Commission européenne, Jean- Claude Juncker, pour lui demander à leur tour l’interdiction du glyphosate. Dans cette lettre, les signataires font notamment référence à un article de presse, en l’occurrence des documents appelés « Monsanto Papers » par le journaliste du Monde Stéphane Foucart.
Dans cet article, le journaliste tente de démontrer que la firme de St-Louis s’inquiétait du potentiel mutagène du glyphosate « dès 1999 ». « Rarement hasard du calendrier aura été plus embarrassant pour une agence d’expertise. Dans le cadre d’une action intentée contre Monsanto, la justice fédérale américaine a déclassifié, jeudi 16 mars, plus de 250 pages de correspondance interne de la firme agrochimique, montrant que cette dernière s’inquiétait sérieusement, dès 1999, du potentiel mutagène du glyphosate, principe actif de son produit phare, le Roundup, et molécule phytosanitaire la plus utilisée au monde », relate Stéphane Foucart. Pour preuve, des emails d’un génotoxicologue, James Parry, avec qui Monsanto avait travaillé. Ce dernier aurait « conclu que le glyphosate avait des effets clastogènes potentiels in vitro, et suggéré de mener des études plus spécifiques sur les effets mutagènes potentiels du glyphosate ». « Les emails montrent aussi que Monsanto regrettait d’avoir travaillé avec Parry et avait l’intention de ne pas poursuivre les études suggérées », note Foucart.
« Faux », rétorque la firme de Saint-Louis : « Le Dr Parry a initialement cru que ces études montraient des effets génotoxiques possibles du Roundup et a suggéré à Monsanto de conduire plus d’analyses, par le biais d’études de génotoxicité ». Celles-ci auraient été conduites et auraient finalement changé l’opinion de M. Parry, indique Monsanto. Pour preuve, une étude de William F. Heydens publiée en 2008 dans The Journal of Agricultural and Food Chemestry . Qui dit vrai ?
En réalité, peu importe la réponse, car depuis 1999, le glyphosate a été réévalué à deux occasions : en 2002, par l’Union Européenne, et en 2009, par l’agence américaine pour la protection de l’environnement (EPA). Dans ce cadre, des études spécifiques sur le caractère cancérigène, mutagène ou toxique sur la reproduction sont tout naturellement exigées. Ces études ont été conçues selon des protocoles définis par les instances internationales d’évaluation précisément pour mettre en évidence les effets potentiellement mutagènes. Toutes les matières actives y sont soumises, y compris le glyphosate. Or, aucune étude validée scientifiquement n’a mis en évidence un quelconque effet mutagène de cet herbicide.
Suggérer qu’une société, aussi puissante soit-elle, puisse dissimuler de tels effets, comme le laisse entendre Stéphane Foucart, représente une accusation très grave : à savoir un total dysfonctionnement non seulement de l’EPA et de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa), mais également de l’ensemble des agences nationales des 28 États-membres que compte l’UE, dont la France.
Rien ne permet aujourd’hui d’accréditer une telle thèse.