Alors que la mode du sans gluten n’en finit plus de se répandre, des voix commencent à se faire entendre, interrogeant le bien-fondé de cette nouvelle tendance. Ainsi, un article du Huffington Post, intitulé « La revanche du gluten, accusé de tous les maux », ironise sur « ces stars et autres auteurs de best-sellers » devenus obsédés par les prétendus méfaits du gluten. « On trouve même maintenant des préservatifs sans gluten », s’amuse le journaliste Grégory Rozières, qui poursuit : « On lit un peu partout que se libérer de ce composant va améliorer notre santé, par exemple en réduisant le risque de maladies cardiaques. Une croyance qui vient du fait que les personnes atteintes de maladie cœliaque ont un risque plus élevé de problèmes de ce type. »
« En cinq ans, l’industrie du sans gluten a convaincu près de 30% de la population américaine que le gluten était mauvais », constate pour sa part le docteur Laurent Alexandre dans L’Express. Dans sa chronique, il s’insurge avec raison contre ces« épidémies de comportements alimentaires irrationnels promus par les marchands de peur » qui « éloignent la population des vrais enjeux de santé publique ». En premier lieu l’obésité, à l’origine d’une baisse de l’espérance de vie outre-Atlantique qui affecte même la population blanche peu diplômée.
Pas besoin de consulter
Pourtant, Christelle Pujol en est convaincue, le gluten serait à l’origine de ses multiples maux : douleurs articulaires, vertiges, eczéma, fatigue chronique, inflammations, etc. Ainsi, sur le site FemininBio, l’auteure du livre de recettes Gourmandises du Sud raconte avoir fait à 35 ans deux rencontres essentielles qui ont bouleversé sa vie, « deux étincelles de vie » : un ostéopathe qui lui suggère de supprimer les produits laitiers et le gluten, et sa meilleure amie « qui [l’] a aidée et conseillée ».
Pour avoir le bon diagnostic, nul besoin donc, selon elle, de consulter un gastro-entérologue ou d’aller voir un spécialiste de la maladie cœliaque, cette pathologie qui touche environ 1 % de la population européenne.
Les effets de son nouveau régime ont été immédiats : « En trois semaines, mes douleurs ont chuté de moitié, en six mois, j’ai arrêté mes antidépresseurs et mes anti- vertigineux, car je n’avais plus de crises. J’ai passé mon premier hiver sans aller chez le médecin, moi qui y allait au minimum tous les 10 jours. »
Alors quitte à changer son régime, pourquoi s’arrêter à mi-chemin ? « J’ai modifié mon alimentation non seulement en supprimant le gluten et les produits laitiers mais aussi en me tournant vers le végétal et le bio mais surtout le fait maison », poursuit Christelle, qui ressent depuis « une force vitale renaître ».
Un régime à risques
Si ce n’est que d’après plusieurs études scientifiques, l’éviction du gluten pour les personnes qui ne sont pas réellement intolérantes pourrait au contraire poser de sérieux problèmes.
Telles sont les conclusions d’une étude parue début mai 2017 et réalisée sous la direction du Dr Andrew Chan de la Harvard Medical School de Boston (Mas- sachusetts). Son équipe a travaillé à partir des données issues de la Nurses’ Health Study et de la Health Professionals Study, deux vastes études prospectives conduites aux Etats-Unis sur 110000 personnes, dont 64000 femmes et 45000 hommes, pendant 24 ans (entre 1986 et 2010).
Sur les 6600 cas environ de maladies cardiovasculaires recensés au cours de cette période, les chercheurs constatent que le risque de maladie coronarienne est signicativement plus faible chez les plus grands consommateurs de gluten, avec un écart de 13% par rapport à ceux qui en consomment le moins.
Ce qui s’expliquerait par les déséquilibres alimentaires induits par l’exclusion du gluten. Les auteurs concluent en effet que les plus basses consommations de gluten étaient associées à des niveaux de consommation peu élevés de céréales complètes, connues pour leur effet protecteur contre le risque cardiovasculaire. Et d’ajouter : « La promotion de régimes sans gluten chez les personnes sans maladie cœliaque ne devrait pas être encouragée. »
Des propos que confirme le Dr Jean-Louis Thillier, spécialiste en hépato-gatroentérologie : « Le blé et les produits à base de blé apportent en effet une contribution substantielle à l’apport alimentaire en protéines, en fibres alimentaires, en minéraux (en particulier en fer, en zinc et en sélénium), en vitamines, en phytochimie et en énergie. (…) Nous sommes nombreux à pointer les risques potentiels de carences ou de problèmes de transit pouvant découler d’une diète sans gluten, surtout issue de l’industrie agroalimentaire », note le spécialiste. Nicoletta Bianchi, diététicienne à la consultation de nutrition clinique du CHUV, à Lausanne, met en garde contre certains additifs, tels que des produits liants, des gommes de guar ou de xanthane, principalement utilisés « pour remplacer l’élasticité que confère le gluten à la texture d’un aliment ».
Enfin, d’après l’observation d’une récente étude de chercheurs espagnols présentée au 50e congrès de la Société européenne de gastroentérologie, hépatologie et nutrition pédiatrique, de très nombreux produits sans gluten sont plus gras, plus sucrés et ont une composition nutritionnelle plus faible que leur équivalent avec gluten.
Toutes ces différences pourraient expliquer pourquoi le risque de diabète est, lui aussi, plus important chez les personnes consommant peu de gluten. C’est en tout cas ce que suggère une étude rendue publique par l’Americain Heart Association en mars dernier.