La passe d’armes fut violente entre la journaliste d’Europe 1 Géraldine Woessner et Stéphane Foucart, chroniqueur au Monde. A l’origine de leur différend : deux communiqués de presse rédigés respectivement par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et le Muséum national d’histoire naturelle (MNHN).
Dévoilant des conclusions de travaux non publiés à ce jour, le CNRS s’inquiète de la disparition des oiseaux des champs. « Les populations d’oiseaux vivant en milieu agricole ont perdu un tiers de leurs effectifs en 17 ans », s’émeut ainsi Laurianne Geffroy, auteure du communiqué de presse, tandis que le MNHN déplore que « le déclin des oiseaux en milieu agricole s’accélère et atteint un niveau proche de la catastrophe écologique ». Sans surprise, les pesticides sont mis en cause : « Les études pointant du doigt les effets de l’agriculture intensive et de l’utilisation massive de pesticides sur la biodiversité se multiplient », note le CNRS. Plus précis, le MNHN incrimine directement « la généralisation des néonicotinoïdes, insecticides neuro- toxiques très persistants ».
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Dans sa chronique, Stéphane Foucart présente les conclusions de ces deux organismes qu’il soutient par les propos de l’écologue Vincent Bretagnolle, chercheur au Centre d’études biologiques de Chizé, dans les Deux-Sèvres (CNRS et université de La Rochelle). « On constate une accélération du déclin des oiseaux à la fin des années 2000, que l’on peut associer, mais seulement de manière corrélative et empirique, à l’augmentation du recours à certains néonicotinoïdes, en particulier sur le blé, qui correspond à un effondrement accru de populations d’insectes déjà déclinantes », note le chercheur qui poursuit : « Trois pays, les Pays-Bas, la Suède et le Royaume-Uni, ont mis en œuvre des politiques nationales volontaristes pour inverser cette tendance lourde, en aménageant à la marge le modèle agricole dominant. Aucun de ces trois pays n’est parvenu à inverser la tendance : pour obtenir un effet tangible, il faut changer les pratiques sur des surfaces considérables.»
Tout cela semble bien cohérent : utilisés pour tuer les insectes, dont se nourrissent les oiseaux, les insecticides figurent tout naturellement parmi les coupables parfaits de ce déclin.
Passe d’armes entre Woessner et Foucart
Et pourtant, cela n’a pas convaincu Géraldine Woessner qui a osé mettre en doute la place prédominante des insecticides dans ce supposé déclin des oiseaux. « Il m’a fallu du temps pour vérifier l’information, beaucoup plus complexe que ce qu’on nous a présenté », a-t-elle indiqué lors de son émission « Le vrai-faux de l’info ».
Citant la dernière étude du Centre d’écologie et des sciences de la conservation (CESCO), qui a porté sur 199 champs observés dans trois régions françaises, Géraldine Woessner apporte des « nuances » aux propos pourtant si affirmatifs de son collègue journaliste : « Les intrants [pesticides] pèsent trois à quatre fois moins dans le déclin des oiseaux que la modification de leur habitat : les champs qu’on a élargis, la destruction des haies, des mares, la fin des jachères imposée par la PAC.»
Bref, que du bon sens. Et pourtant, ce fut déjà trop pour le militant écologiste du Monde. Dans les décodeurs du quotidien du soir, Stéphane Foucart a donc repris sa plume. Afin de prouver la puissance des néonicotinoïdes, qu’il est bon ton d’incriminer de tous les maux de la Terre, il écrit: « Ces pesticides sont les plus puissants jamais synthétisés et agissent à très faibles doses : un gramme d’imidaclopride peut tuer autant d’abeilles que 7,3 kilogrammes du célèbre DDT.» Or, la comparaison est plus que grotesque (même si elle lui a été suggérée par un chercheur du CNRS, également très militant, Jean-Marc Bonmatin), car si le DDT a certes des défauts, il est en revanche très peu toxique pour les abeilles !
Et ce n’est pas le plus saugrenu. Comment peut-on raisonnablement incriminer les néonicotinoïdes comme cause première dans la disparition des oiseaux lorsque de l’aveu même de Vincent Bretagnolle, cité dans l’article de Foucart, on sait que ce phénomène touche également la Suède, dont la surface agricole totale représente à peine 8% de sa superficie, et les zones boisées plus de la moitié de la surface du pays. L’usage de quelques kilos d’imidaclopride serait la cause première du déclin de la faune suédoise ? Allons, soyons sérieux…
Le fantasme d’un âge d’or
Le plus cocasse dans cette affaire reste l’idée fantasmée de cet « âge d’or de la biodiversité » qui aurait existé au début des années de référence des auteurs. Or, à cette époque, les agriculteurs français déversaient bien plus de produits phytosanitaires dans les champs, à commencer par ceux de la famille des organochlorés à spectre très large, et ensuite les organophosphorés (comme le parathion, le malathion ou encore le chlorpyrifos). Ces produits ont connu un développement considérable, avant d’être remplacés petit à petit par des produits bien plus sélectifs, notamment les trichogrammes, ces petits hyménoptères qui parasitent les œufs des papillons nuisibles, utilisés pour la défense du maïs.
Qu’ils soient de synthèse ou naturels, les insecticides ont bien évidemment un impact sur… les insectes, personne ne peut le nier ! Et en particulier sur les ravageurs des cultures. Sans aucun doute, l’intensification des cultures engagée depuis la fin des années 1940, qui a permis d’améliorer nos conditions de vie et celles de nos agriculteurs grâce au développement d’une production agricole de quantité et de qualité, a réduit la disponibilité en invertébrés comme sources alimentaires pour les oiseaux. Tout cela est largement documenté.
Comme le note Christian Lévêque, président honoraire de l’Académie d’Agriculture, « l’homme a créé une diversité biologique en rapport avec ses pratiques agricoles 1», entraînant inévitablement des modications de la flore et la faune. Mais pas toujours pour le pire ! C’est ainsi qu’au cours des siècles, il y a eu en Europe « un enrichissement artificiel de la biodiversité » qui a, selon lui, probablement culminé dans la première moitié du XXe siècle.
Bref, en France, comme dans beaucoup de pays, l’homme a co-construit son environnement, et cela depuis le Moyen Âge. La nature est ainsi en constante évolution avec l’augmentation de certaines espèces (par exemple la mésange bleue : +83% depuis 1989 ou encore le faisan de colchide : +153% depuis 1989) face à d’autres en diminution (l’alouette des champs : -33 %, le cor- beau freux: -46%…).
Les pratiques agricoles jouent bien entendu leur rôle dans cette évolution, mais elles sont loin d’être les seules. Ainsi, selon le MNHN et la Ligue de protection des oiseaux, les chats domestiques et errants, toujours plus nombreux, seraient responsables à eux seuls de la mort de 75 millions d’oiseaux chaque année en France. D’après un article de Sciences et Avenir publié en 2016, ces redoutables félins sont « responsables de l’extinction de 63 espèces de mammifères, oiseaux et reptiles depuis 500 ans ». Prenant acte du décès d’environ un million d’oiseaux chaque jour à cause des chats, les autorités australiennes ont d’ailleurs décidé de planifier l’élimination de 2 millions de chats d’ici 2020…