L’annulation – bien trop tardive – de la taxe carbone pour 2019, qui a été le « déclencheur d’un sentiment général d’injustice fiscale », met en lumière une vérité dérangeante pour cette frange de la population aisée, citadine, et plus soucieuse de l’état de santé de l’ours polaire que de celui de la France qui se lève tôt.
Le clivage, ni de droite ni de gauche, sépare ceux qui mangent bio pour « sauver le climat » du reste de la population, traversée par le sentiment d’un déclassement, si ce n’est d’un dédain, social. « Les élites parlent de fin du monde, quand nous, on parle de fin du mois ! », résume un protestataire cité par Le Monde. Pour l’écrivain britannique David Goodhart, les « gilets jaunes » posent cette question : « pourquoi est-ce que l’écologie bourgeoise des bobos parisiens devrait être payée par les petites gens de la France périphérique ? ».
À l’instar de son prédécesseur, Nicolas Sarkozy, privé d’un second mandat en raison du Grenelle de l’environnement, qui a été source de mécontentement dans une large partie de son électorat classique, Emmanuel Macron vit des jours difficiles pour avoir confondu les priorités des Français. « Ça fait des décennies qu’on explique aux Français qu’ils doivent accepter un système qui creuse les écarts de revenus, d’abord en raison de la mondialisation, ensuite en raison de l’orthodoxie budgétaire et maintenant au nom de l’écologie », analyse la journaliste Natacha Polony.
La taxe carbone symbolise en effet parfaitement ce clivage entre la France périphérique et cette France urbaine, piétonne, et en même temps connectée en permanence à son iPhone et à la 4G. Pour cette dernière, dont sont issus la plupart des membres de l’entourage présidentiel, se passer de voiture n’est pas très compliqué : il suffit de prendre son vélo ou sa trottinette. Pas non plus compliqué de trouver une alternative au glyphosate: le bio ou la binette ! Installés dans leur monde imaginaire, ces Français-là ne prêtent pas facilement l’oreille à la voix de la raison.
Ainsi, qu’importent les propos rassurants du directeur de l’Anses, Roger Genet, sur cet herbicide de loin le plus écologiquement « friendly » ? Qu’importent les multiples mises en garde de la profession contre les conséquences catastrophiques de son interdiction ? Qu’importent les avis des instituts techniques agricoles, qui ont démontré l’inefficacité économique et environnementale des prétendues alternatives au glyphosate ? Qu’importe la charge financière supplémentaire que le monde agricole devra supporter au moment où la profession traverse une crise inédite ?
Pour l’heure, Emmanuel Macron a décidé de s’enfermer dans une voie sans issue, celle de la délocalisation de notre agriculture. La leçon des gilets jaunes devrait pourtant sérieusement faire réfléchir les amis du Président sur les conséquences d’un tel entêtement. Si l’hôte de l’Élysée persiste dans son aveuglement, il risque fort de se heurter une nouvelle fois au mur des réalités avec un mouvement similaire à celui des gilets jaunes, orchestré cette fois par le monde agricole.