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Lorsque Greenpeace se trompe de cible

Le 26 novembre 2018, Greenpeace France a lancé une nouvelle offensive contre le monde agricole. En ligne de mire, cette fois : les « fermes-usines ».

Pour la multinationale verte, en effet, le « constat est accablant »: « Peu de régions sont épargnées par les fermes-usines : elles sont présentes dans 90% des départements français. À partir d’une base de données du ministère de la Transition écologique et solidaire, nous avons recensé sur le territoire français 4413 fermes-usines réparties dans 2340 communes. » Pour dénoncer cette « ultra-concentration», qui fait que « 1% des fermes françaises produit plus de la moitié des porcs, poulets et œufs produits en France », Greenpeace a publié une carte permettant de visualiser ces «fermes-usines». Procédé qui n’a rien d’étonnant, puisque le «name and shame» (littéralement « nommer et couvrir de honte ») est l’une des stratégies préférées de Greenpeace, consistant à stigmatiser des entreprises pour les faire plier à ses exigences. Sauf que la mécanique de communication de Greenpeace, d’ordinaire parfaitement huilée, semble, cette fois-ci, s’être enrayée.

Le «name and shame » est l’une des stratégies préférées de Greenpeace, consistant à stigmatiser des entreprises pour les faire plier à ses exigences.

Comme la présidente de la FNSEA, Christiane Lambert, qui accuse Greenpeace de « délation et de calomnie », les représentants locaux des FDSEA sont eux aussi montés au créneau, en fournissant la preuve que la carte établie par Greenpeace n’a rien à voir avec la réalité. Ainsi, dans l’Ain, ils ont invité le préfet et la presse à visiter une de ces soi-disant « fermes- usines » stigmatisées par Greenpeace. Ainsi que le rapporte le quotidien Le Progrès, ses exploitants, les frères Christophe et Sylvain Vallin « sont tombés de haut lorsqu’ils ont découvert qu’ils se trouvaient dans le viseur de l’association environnementale ».

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Leur ferme est en effet composée de 80 vaches laitières élevées au bon foin de Gaec des Eglances, dans la commune de Champagne-en-Valromey. « Une exploitation familiale traditionnelle, typique de cette zone de montagne. Une ”ferme- usine” selon la carte dévoilée cette semaine par Greenpeace », ironise l’article. Selon le préfet de l’Ain, Arnaud Cochet, « l’association verte a commis une erreur d’interprétation en répertoriant comme ferme-usine toutes les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) ».

Le préfet de Vendée a, quant à lui, volé au secours du monde agricole par le biais d’un communiqué fustigeant la carte de Greenpeace : « La taille moyenne des élevages de poules pondeuses en Vendée s’établit à 19 000 poules, soit 10 fois moins que les 185 000 cités dans l’exemple par cette association ». Il poursuit : « S’agissant de l’élevage des porcs, elle s’établit à 1 100 animaux par élevage, soit 24 fois moins que les 26 000 dans l’autre exemple cité par cette association. » Aussi le préfet met-il « en garde par avance contre toute interprétation de ces données qui assimilerait ces élevages vendéens à des “fermes- usines“ et contre les mises en cause qui en résulteraient ».

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Alors que cinq de ses militants ont récemment été condamnés à 120 000 euros d’amende pour les dégradations commises à la ferme dite «1 000 Vaches » de Drucat, dans la Somme, la Confédération paysanne a, elle aussi, pris ses distances avec Greenpeace, estimant que l’ONG est « tombée dans une caricature regrettable » et que sa campagne « dessert le combat contre l’industrialisation de l’agriculture ». « L’industrialisation des fermes ne peut se résumer au seul critère environnemental ICPE retenu par Greenpeace », stipule le syndicat paysan. Et d’ajouter qu’« à vouloir faire le buzz, Greenpeace oublie les réalités des paysannes et paysans qui souffrent ».

Le mea culpa de Greenpeace

Face à l’évidence, la multinationale verte n’a pu que battre sa coulpe, en délivrant un message à propos de sa carte : « Il semblerait que ces données ne soient pas à jour, ce qui nous a amené à désactiver pour le moment la fonction de recherche par commune. Nous présentons toutes nos excuses aux agricultrices et agriculteurs dont la ferme s’est retrouvée sur cette carte alors qu’elle n’aurait pas dû y être, et qui se sont senti.e.s injustement pointé.e.s du doigt. » Elle n’en démord pas pour autant quant à la menace éventuelle que représenteraient ces « fermes-usines ».

Une menace que relativise à raison la journaliste de L’Opinion Emmanuelle Ducros, en rappelant qu’il y a 254 000 fermes qui pratiquent de l’élevage dans l’hexagone. « En France, note-t-elle, une exploitation bovine est considérée comme grande et a besoin d’être déclarée lorsqu’elle dépasse 400 vaches. La moyenne d’une exploitation française, c’est 55 vaches. Il y en a une, très grande, la ferme des 1 000 vaches, mais il n’y en a qu’une et elle n’a pas fait d’émules.»

Toutefois, si Greenpeace a donné un coup de frein à sa campagne de communication, il serait naïf de croire que la multinationale verte va en rester là. Ainsi, dès le 1er décembre, l’ONG annonçait qu’elle avait, avec des structures locales, déposé un recours en justice contre le projet d’une porcherie de 17000 porcs dans le village d’Escoubès.

Un acharnement très sélectif

On peut s’étonner de cet acharnement déployé contre une ferme qui est loin de rivaliser avec ce qui se fait dans d’autres pays, où Greenpeace se montre plus discret. À titre d’exemple, Mark Retzloff, le patron d’Aurora Organic Dairy, le premier producteur et transformateur de lait et de beurre bio pour les détaillants américains, expliquait en 2005 : « Les grandes fermes laitières bio, 1 000 vaches ou plus, font 25 à 30% de tout le lait bio produit aux États-Unis. […] La demande en lait biologique est en croissance de 20% par an. Tant que la demande augmente, les grandes exploitations sont appelées à jouer un rôle-clé pour contenter ce besoin.» Aucun recours n’a pourtant été déposé aux États-Unis par Greenpeace contre ces élevages bio bien plus importants que les fermes françaises.

Une mobilisation pour lever des fonds

Certes, la campagne contre « l’agriculture industrielle », et plus spécifiquement contre l’élevage, ne cible pas exclusivement la France, puisqu’elle s’inscrit dans le cadre d’une campagne internationale, décidée au siège de Greenpeace International, à Amsterdam. Comme l’explique le site Ecolopedia.fr: « Les responsables de Greenpeace France ont certes des marges de manœuvre, mais la structure est verrouillée et peu démocratique. Ils sont avant tout des salariés de l’association, se soumettant donc aux impératifs et argumentaires décidés par leur employeur, le siège international. »

En réalité, la mobilisation contre l’agriculture industrielle a débuté en mars 2018, à grand renfort de clips vidéo, de pétitions, de sites Internet et de divers documents « techniques », que Greenpeace a lancés à l’échelon international pour sa campagne « Less is more », en français : « Moins, c’est mieux.» Le programme est simple : « Greenpeace appelle à une réduction planétaire de la consommation de viande et de produits laitiers de 50 % d’ici à 2050. » Les raisons invoquées par la multinationale verte sont doubles. Il s’agit d’abord de raisons environnementales : « Les produits d’origine animale sont responsables d’environ 60% des émissions de gaz à effet de serre liées à l’alimentation. […] Le système alimentaire est en outre à l’origine de 80 % de la déforestation en cours dans certaines des forêts les plus riches en biodiversité qui persistent sur Terre […] L’agriculture, et en particulier l’élevage, peuvent être considérés comme l’un des principaux facteurs de la perte de biodiversité mondiale. » Ensuite, de raisons sanitaires : « Notre alimentation figure parmi les principaux facteurs de risque de décès prématuré et d’augmentation du risque de maladie à l’échelle mondiale. » En bref, la viande réchauffe la planète et rend malade ! Grotesque…

Comme tous les choix de campagne de Greenpeace International, celui de s’en prendre à la consommation de viande et à l’élevage, bien loin d’être anodin, répond à un impératif absolu, très éloigné des questions sanitaires et écologiques, à savoir générer des dons de la part du public. Cela s’explique facilement par le fait que Greenpeace France, comme d’autres structures nationales de Greenpeace, a mis en place une collecte de fonds confiée à des professionnels, qui a pour particularité d’être très onéreuse. En effet, presque un tiers du budget de Greenpeace France est consacré à récupérer de l’argent – 6,7 millions d’euros en 2017 sur un budget de 21 millions. Dès lors, le choix de campagne s’oriente automatiquement vers des sujets porteurs. Or, ces dernières années, avec les campagnes internationales de Peta contre la souffrance animale et contre la consommation de viande et de produits laitiers, avec l’appui apporté par de nombreuses vedettes, la thématique de l’élevage a pris de l’ampleur. À la suite des fameuses vidéos chocs de l’association L 214 – qui a bénéficié d’un soutien financier de 1,14 million d’euros versé par une association américaine, l’Open philantropy project –, le sujet est devenu bien plus populaire en France que nulle part ailleurs. Il en résulte une désaffection pour la viande et le lait de vache. La consommation de viande bovine a décliné de 27 % entre son maximum de 1979 et 2013, tandis que la consommation de lait de vache achuté de 60 à 53 litres par an et par personne en une décennie.

Une désaffection qui a permis aux géants de l’agro-alimentaire de faire prospérer une large gamme de leurs produits végétaux. Flairant le bon filon, Danone a par exemple déboursé 11 milliards de dollars en 2016 pour racheter l’entreprise américaine WhiteWave, notamment à cause de son positionnement dans le secteur des produits d’origine végétale. Ce marché – qui s’élève déjà à 35 milliards de dollars – croît trois fois plus vite que l’alimentation conventionnelle. Et les campagnes anti-viande de Greenpeace n’y sont sans doute pas pour rien…

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