L’épidémie de Covid-19 constitue un nouveau défi pour la filière des fruits et légumes d’importation. Entretien avec Philippe Pons, président de la Chambre syndicale des importateurs français de fruits et légumes (CSIF)
Les pouvoirs publics ont incité les consommateurs à privilégier les produits d’origine 100 % française. Qu’en pensez-vous ?
Philippe Pons : Les importations des fruits et légumes frais répondent à la demande des consommateurs. D’une part, elles fournissent en produits courants qui ne peuvent pas être cultivés en métropole, tels les ananas, les avocats ou les bananes, et d’autre part, elles permettent de compléter l’offre saisonnière de produits français par une mise sur le marché plus précoce ou plus tardive. D’ailleurs, au début du confinement, lorsque l’accent a été mis sur le 100 % français, il ne nous a pas fallu plus de deux jours pour réaliser que l’offre française, notamment en matière de fraises ou d’asperges, était insuffisante, et on a eu recours de nouveau aux importations pour approvisionner les rayons. En outre, les importations, dont les coûts de production sont largement inférieurs à ceux observés en France, permettent aux foyers modestes de consommer des fruits et légumes de qualité pour un prix raisonnable, comme dans le cas de la fraise où on a observé, fin mars ou début avril, un différentiel de prix du simple au double. S’agissant des questions sanitaires, je rappelle que tous les
produits importés sont bien entendu soumis à la législation française (traçabilité, résidus de pesticides, etc.). Il n’y a pas de raison qu’ils subissent une forme quelconque de discrimination.
Pensez-vous que cette crise est de nature à modifier le comportement des consommateurs ?
Cette crise est de nature à rassembler les énergies pour valoriser, autant que faire se peut, la production française. Encore faut-il qu’elle soit en mesure de suivre en termes de quantité suffisante et surtout de prix. La crise économique aura aussi des répercussions sur les choix des consommateurs. Si la visite récente de notre président dans une exploitation hydroponique de tomates – donc dite « industrielle » – a soulevé pas mal de critiques, en particulier de ceux qui veulent privilégier les modes de production plus traditionnels et « haut de gamme », avec une mise sur le marché plus onéreuse, il ne faut pas perdre de vue que tous les ménages français n’ont pas le même budget ! On ne peut à la fois vouloir relocaliser les productions de fruits et légumes, et en même temps tout miser sur une montée en gamme.
À LIRE AUSSI : Le Green Deal européen c’est plus de bio et moins de production agricole
Face à la crise du coronavirus, comment les importateurs de fruits et légumes se sont-ils organisés ?
Il nous a fallu répondre à une demande nouvelle, en raison du passage soudain d’une vente à la restauration collective et aux marchés ouverts à une vente au détail (livraison à domicile et drive). Et résoudre le problème d’une main-d’œuvre devenue défaillante à cause du confinement, tout en appliquant le respect des gestes barrières. De plus, entre le 20 mars et le 15 avril, nous avons assisté à une modification radicale de la demande, car les consommateurs ont privilégié les fruits et légumes dits de base (pommes, bananes, carottes, oignons, pommes de terre) en délaissant les produits plus « festifs » (mangues, avocats, kiwis, ananas). Aussi, pour certains produits, nos stocks n’ont pas pu être écoulés avant les fêtes de Pâques. Face à toutes nos difficultés pour garantir un approvisionnement fluide, la réactivité et la disponibilité dont a fait preuve l’administration méritent cependant d’être saluées.
Que craignez-vous de cette crise économique qui touche désormais les pays producteurs ?
Il y a une grande inquiétude dans beaucoup de pays émergents qui sont dépendants des exportations de fruits et de légumes. Contrairement à une idée reçue, les cultures d’exportation ne se font pas au détriment des cultures vivrières. Les revenus des exportations contribuent largement à l’amélioration du niveau de vie des populations. Et c’est même une question de survie pour des milliers de personnes qui exercent un emploi direct ou indirect dans les filières d’exportation. Je pense notamment à tous ceux et celles qui sont impliqués dans la logistique du conditionnement. Fermer les frontières, ou même seulement réduire la consommation de l’Europe, entraînerait pour ces pays un désastre humain considérable.