Saisie par ses ministres de tutelle afin de réaliser une série d’étude sur le glyphosate, l’Anses est déjà accusée de conflit d’intérêts
Difficile de dissimuler le malaise qui touche l’Anses, par suite de la publication dans le Monde d’un article mettant en cause la déontologie de l’agence sanitaire dans l’affaire sensible du glyphosate 1. Avertis par un « anonyme » collectif de lanceurs d’alerte », les journalistes du quotidien du soir accusent l’agence d’avoir commis un conflit d’intérêts concernant le choix d’un consortium de sept laboratoires pour réalisation d’une série d’études portant sur le caractère potentiellement cancérigène de l’herbicide. Le 9 juin dernier, à l’occasion d’une question parlementaire à l’Assemblée nationale, la militante antiglyphosate Delphine Batho mettait directement en cause – sans toutefois le nommer – Fabrice Nesslany, membre du comité d’experts spécialisé dans les produits sanitaires de l’Anses ( CES ), et qui, à ce titre, a été nommé président du GECU. C’est ce groupe composé de cinq experts qui a établi le cahier des charges de l’appel d’offres finalement remporté par un organisme public dont M. Nesslany est… le directeur, à savoir l’Institut Pasteur de Lille (IPL) ! « Quelles que soient les compétences de cet expert et leurs singularités, les principes déontologiques et les règles de commande publique ne paraissent pas rendre cumulables les fonctions d’expert scientifique chargé par l’Anses de bâtir le cahier des charges d’une étude financée par l’État et de bénéficiaire de ce même financement au terme de la procédure d’appel d’offres », écrit avec raison la députée des Deux-Sèvres.
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La suspicion d’un cahier des charges taillé « sur mesure » plane désormais sur l’appel d’offres. Et c’est d’autant plus crédible que certains tests, notamment ceux concernant la génotoxicité in vivo, doivent tout naturellement répondre à la certification dite de « bonnes pratiques de laboratoire » (BPL), une distinction accordée à très peu de laboratoires publics, mais dont fait partie l’IPL. Ce que ne pouvait ignorer M. Nesslany. Selon les « lanceurs d’alerte » – en réalité, un groupe de chercheurs, frustrés de ne pas avoir été retenus pour l’appel d’offres –, celui-ci serait même « le seul laboratoire public homologué en France à cet effet ».
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Dans un communiqué de presse paru le 19 juin, l’Anses conteste l’ensemble de ces accusations. Elle souligne la nécéssite d’avoir des études dont les résultats puissent « être confrontés aux données produites par les industriels selon un cahier des charges réglementaire précis », et déplore d’avoir reçu si peu de réponses : « Seuls 2 consortiums – de respectivement 7 et 4 laboratoires – et 2 laboratoires isolés ne répondant qu’à certains points du cahier des charges ont candidaté. » Et si l’agence admet avoir opté « pour un choix par dé- faut », elle assure que celui-ci reste « scientifiquement pertinent ».
Un story-telling déjà rédigé
En réalité, qu’importe la réponse de l’Anses, le discrédit est déjà jeté sur ce projet, dont le budget s’élève à 1,2 million d’euros, de sorte que l’on peut désormais le considérer comme mort-né. En effet, quelles que soient les conclusions des études, censées trancher dans la polémique sur le caractère génotoxique du controversé herbicide, le story-telling des opposants est assurément déjà rédigé.
Non seulement M. Nesslany est mis en cause pour favoritisme à l’égard de son employeur, mais il est aussi accusé d’avoir volontairement établi un cahier des charges qui ne mettrait aucun effet toxique du glyphosate en évidence. « Aucune lignée cellulaire proposée dans le cahier des charges ne permet d’étudier les lymphomes et cancers du sang », note le collectif anonyme, qui ajoute que le test dit de « transformation cellulaire », compris dans le cahier des charges, n’aurait été validé qu’à forte dose, et, par conséquent, ne serait « probablement pas sensible pour un pesticide à faible dose »
Qu’importe la réponse de l’Anses, le discrédit est déjà jeté sur ce projet, dont le budget s’élève à 1,2 million d’euros, de sorte que l’on peut désormais le considérer comme mort-né
Bref, à la faveur de la brèche ouverte par ce prétendu conflit d’intérêts, c’est le côté scientifique de l’appel d’offres qui est mis en cause. Avec en ligne de mire les critiques traditionnelles des opposants aux pesticides ou aux OGM, consistant à suggérer que si aucun effet toxique n’est mis en évidence, c’est par faute de méthodologie des études choisies.
Un pas supplémentaire dans les accusations contre M. Nesslany a même été franchi par la députée, qui rappelle que le directeur de l’IPL est l’un des auteurs du rapport d’expertise de l’Anses « qui a conclu que » le niveau de preuve de cancérogénicité chez l’animal et chez l’homme peut être considéré comme relativement limité et ne permet pas de proposer un classement 1B » (cancérogène supposé) ». Cette « prise de position » n’autoriserait donc pas M. Nesslany à avoir un avis objectif sur la question, estime la députée, quoique cet avis soit partagé par l’immense majorité de la communauté scientifique.
À l’inverse, si l’étude venait à démontrer le moindre problème dû au glyphosate, le pire est à craindre. En effet, la nébuleuse antipesticides n’hésitera pas alors à brandir ce cas comme la preuve définitive que l’ensemble des expertises antérieures, qu’elles aient été réalisées par l’Anses ou par l’une des autres agences sanitaires, qui ont toujours sans exception conclu en faveur du glyphosate, ne repose sur aucune base scientifique sérieuse, faute d’avoir réalisé des études adéquates. Une « vérité » qui sera clamée quel que soit le produit homologué.
En fin de compte, l’agence sanitaire se retrouve dans une situation périlleuse. Pour s’en sortir, elle ne dispose pas d’autre solution que de suspendre les attributions annoncées le 30 avril dernier, afin de pouvoir ensuite soit lancer un nouvel appel à projets sur la base d’un nouveau cahier des charges rédigé par un nouveau comité d’experts, soit, ce qui serait finalement le plus raisonnable, abandonner cette curieuse idée à 1,2 million d’euros censée démontrer ce que toutes les agences du monde ont déjà démontré, à savoir que le glyphosate n’est ni génotoxique, ni cancérigène.