L’année 2021 restera dans les annales de l’apiculture comme l’une des pires en raison d’un climat défavorable à la floraison, entraînant un manque de nourriture pour les abeilles, qui ont consommé des quantités records de solutions à base de sucre
Le constat est unanime : 2021 est une année noire pour l’apiculture française. Aucune région de France n’aura été épargnée. Comme l’établissent tous les témoignages recueillis, le gel printanier et les conditions météorologiques qui l’ont suivi — un froid estival et de la pluie — se sont révélés fatals pour la récolte de miel, qui est estimée cette année à moins de 10 000 tonnes, contre 25 000 tonnes en 2020.
Avec une consommation annuelle de près de 50 000 tonnes, les importations de miel vendu à 2 euros le kilo au cours mondial vont donc exploser.
Une dépendance totale au climat
Cette année permet donc de confirmer un constat déjà évident : avant toute chose, l’apiculture dépend des conditions climatiques, qui déterminent les ressources en nectar et en pollen pour les abeilles. En l’absence de ces ressources alimentaires, il ne peut y avoir de production de miel.
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Marie-Claude Cassaugrand, apicultrice à Albi, constate ainsi une perte de 60% par rapport à sa récolte de 1,6 tonne en 2020, tandis que Fabienne Mallein, basée à Giroussens, n’a récolté que 8 tonnes, contre 20 tonnes l’année dernière. Son collègue de Lisle-sur-Tarn, Vincent Fabrègue, fait état, pour sa part, d’une perte de 50 % de miel en un an.
Dans le département de la Seine-et-Marne, les pertes sont supérieures à 70 %, voire 90 % pour certains apiculteurs, comme l’indique une note technique de la FDSEA, que A&E s’est procurée. Des taux de pertes confirmés par Gilles Deshors, cogérant de la Miellerie des Gorges, dans la Loire. Avec ses 1200 ruches, dont 800 à 900 en production chaque année, il ne pense pas dépasser en tout et pour tout les 2 tonnes, après les 30 produites en 2020.
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Fabrice Maccario, apiculteur à Peipin et président du syndicat apicole des Alpes-de-Haute-Provence, dresse le bilan de l’année 2021 : « La saison était bien partie, il a même fait trop chaud en janvier et février. On a pu faire du romarin qui fleurit à ce moment. Et après, tout s’est arrêté. Il y a eu le gel d’avril. Mais même après, il n’a pas fait beau : de la pluie, pas de chaleur. Les abeilles étaient en disette, les reines ont arrêté de pondre, elles se sont affaiblies. Il y a eu de la mortalité. »
« Cela fait trente-et-un ans que je vis de l’apiculture. J’ai connu des bonnes et des mauvaises saisons, mais jamais à ce niveau-là », déplore Gilles Deshors. « Ce sont les pires conditions que l’on peut rencontrer en apiculture », ajoute-t-il. « En raison de la gelée tardive, les acacias n’ont pas fleuri et, à partir de la fin du mois de mai, la pluie et le froid ont empêché toute production de miel de fleurs », explique-t-il encore. Il espérait se rattraper sur le miel de châtaignier, mais sa récolte fut aussi un échec : « La floraison dure quinze jours. On emporte nos ruches en Isère et en Ardèche, mi-juin. Sur les quinze jours de floraison, il a plu douze jours. Les abeilles ont pu travailler seulement trois jours. »
Et ce n’est pas tout : le froid a entraîné aussi une récolte proche du néant pour le miel de montagne et de sapin. « C’est la double peine puisque, en plus de la mauvaise récolte, on est obligés de nourrir les ruches pour qu’elles tiennent l’hiver », note avec amertume l’apiculteur.
Des quantités astronomiques de sirop
En effet, la question de l’apport alimentaire des ruches, qui reste un sujet peu évoqué, prend cette année des proportions stupéfiantes. « Normalement, on commence à nourrir les abeilles au mois de septembre pour stimuler la ponte de la reine, mais là, si on ne s’en occupait pas, elles allaient mourir de faim », rappelle Frédéric Péluchard, apiculteur semi-professionnel à Libermont. Chaque ruche nécessitant environ 15 kilos de miel pour passer l’hiver, les apiculteurs ont en effet l’habitude de fournir un petit complément alimentaire à partir de septembre, au moment où l’hivernage va commencer. Ce qui signifie une consommation d’environ 18000 tonnes de sirop pour une production de miel qui varie de 20 à 25000 tonnes.
« Au mois de mai, alors que habituellement les ruches regorgent de miel, cette année, il n’y avait rien », explique Julien Vicaire, apiculteur semi-professionnel de Machault, dans la Seine-et-Marne. « Notamment parce que les surfaces de colza, indispensables en début de saison, m’ont à peine servi. Lors de la floraison du colza, le temps était exécrable et il était impossible de sortir mes ruches. Ça s’est joué à une semaine », raconte l’apiculteur.
Pour sauver ses 150 ruches de la disette, l’apiculteur d’Île-de-France a dû utiliser 1500 kilos de sirop contre 300 pour une année normale. Sébastien Véron, apiculteur à Villeuve sur Bellot, a réussi à éviter des pertes importantes de ruches en apportant entre 6 et 7 kilos de miel par ruche.
Selon les données récoltées par A&E dans toute la France, la consommation de sirop s’élèvera donc certainement bien au-delà de 30 000 tonnes pour une production de moins de 10000 tonnes de miel, certains apiculteurs ayant d’ores et déjà dû fournir jusqu’à 20 kilos