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Pesticides : les dérives sociologiques de l’institut agricole Inrae

Fruit de deux années de travaux, l’étude prospective de l’Inrae sur la fin des pesticides à l’horizon 2050 ressemble encore une fois davantage à une thèse de sociologues qu’à un rapport apportant des solutions concrètes pour améliorer les pratiques agricoles

Dans un communiqué de presse daté du 21 mars, l’Inrae annonce la publication d’une « étude prospective inédite » réalisée sous la direction du sociologue Olivier Mora. Après avoir mobilisé 144 experts pendant deux ans, l’institut de recherche public propose plusieurs scénarios permettant d’obtenir ni plus ni moins qu’« une agriculture européenne sans pesticides chimiques » à l’horizon 2050.

L’objectif est ambitieux et séduisant, et on aurait pu s’attendre à ce que l’étude, émanant d’un institut aussi renommé que l’Inrae, trace des pistes innovantes et émette des idées originales. Or, les quinze pages du résumé laissent le lecteur sur sa faim, tant les trajectoires décrites paraissent flotter dans les airs, tels des nuages dans un ciel bleu.

Les auteurs expliquent en préambule que l’objectif du « sans pesticides d’ici 2050 » nécessite de « changer de paradigme » et de passer « d’une démarche incrémentale de réduction de l’usage des pesticides en agriculture à une démarche disruptive visant à construire des systèmes de culture innovants ». Jusque-là, rien à redire.

L’étude envisage ensuite trois scénarios, qui s’imbriquent comme des poupées russes.

Un premier scénario basé sur l’innovation

Le premier scénario (S1), baptisé « Marché Global », consiste essentiellement à adopter un éventail de nouvelles technologies, afin principalement de « renforcer l’immunité des plantes » et de gérer l’interaction entre une plante et son microbiote. Il s’agit de généraliser le biocontrôle, les biostimulants et la lutte physique, le tout appliqué dans « des systèmes de cultures innovants » constitués de grandes bases de données, d’observations en temps réel obtenues par des capteurs, des drones et des systèmes de télédétection avec de la modélisation prédictive, et « des robots, robots compagnons et robots en essaims » qui permettent de renforcer l’épidémiosurveillance et les traitements préventifs. Il est vrai que ces thèmes – notamment l’interaction entre les plantes et leur microbiote, tout comme la robotique – font l’objet de multiples recherches, et cela depuis de nombreuses années, avec à la clé, à en croire certaines entreprises, de très belles perspectives pour les années à venir.

Les chercheurs restent curieusement très silencieux sur l’apport pourtant essentiel des biotechnologies dans la résistance aux maladies des plantes

Cependant, tout cela est à considérer avec beaucoup de prudence, car, à l’heure actuelle, rien ne permet d’affirmer qu’il sera possible de remplacer la protection des plantes par la simple conjonction de ces seuls modes d’action. D’autant plus que les chercheurs restent curieusement très silencieux sur l’apport – pourtant essentiel – des biotechnologies dans la résistance aux maladies des plantes. Mais après tout, pourquoi pas…

Un deuxième scénario pour une transformation alimentaire

Le deuxième scénario (S2), qui ne peut se réaliser sans S1, s’appuie sur « la valorisation des régimes alimentaires les plus sains ». Partant du postulat que « les systèmes de culture sont des composantes des systèmes alimentaires », les auteurs en déduisent que leur transition vers le sans « pesticides chimiques » nécessite « une transformation simultanée » de ces différentes composantes. C’est-à-dire également par un changement des habitudes alimentaires des consommateurs vers une « alimentation saine et sans pesticides ». Dans ce scénario, tout comme dans le suivant, les Européens consommeraient donc moins de calories, avec moins d’aliments d’origine animale. Un grand classique par les temps qui courent.

Lire aussi : Une étude annonce une baisse de la production agricole de l’UE à l’horizon 2030

Pour accompagner cette transformation alimentaire, le rapport estime nécessaire de modifier la Politique agricole commune (Pac) ainsi que d’instaurer d’autres « instruments économiques », comme la mise en place d’« accords commerciaux aux frontières de l’Union européenne devant garantir le développement de marchés sans pesticides chimiques ».

Finalement, « ce régime plus frugal entraîne une diminution de l’utilisation de produits agricoles pour la consommation humaine (-13 % dans le S2, -20% dans le S3) et animale (respectivement -24 % et -43 % dans les scénarios 2 et 3) par rapport à 2010 », expliquent les auteurs. Reste donc à « éduquer » les consommateurs, exercice autrement plus complexe que ne le suggère cette étude.

Voir aussi : Fin des pesticides à l’horizon 2050 : les 3 scénarios ubuesques d’une étude récente de l’INRAE

Un troisième scénario pour reconstruire les paysages

Enfin, le troisième et dernier scénario (S3), qui ne peut être réalisé sans S1 et S2, repose sur la reconstruction de paysages « adaptés aux conditions locales en augmentant la biodiversité de la parcelle au paysage, dans le temps et l’espace, et en s’appuyant sur la sélection variétale ». Il s’agit d’incorporer dans les trajectoires agricoles « la gestion temporelle par les pratiques culturales, la gestion spatiale de la diversité intraparcellaire, la gestion des paysages, la sélection variétale ». Hormis le développement de systèmes agricoles mixtes réintégrant la production animale dans les exploitations, et le partage de la prise de risques lors des pertes de récoltes, les autres mesures innovantes à adopter pour ce scénario dit de « paysages emboîtés », qui ferait notamment appel « à un processus participatif », sont laissées dans le flou par les auteurs.

Dommage, car on aurait bien aimé en savoir davantage.

Une inévitable baisse de production

Si, selon les auteurs, les trois scénarios permettraient de se passer entièrement de pesticides « chimiques », le premier impliquerait une forte réduction des exportations européennes, en raison des pertes de rendements. « Si l’Europe souhaitait conserver sa position d’exportateur sur les marchés mondiaux, de plus hauts rendements ou une exten- sion des superficies cultivées seraient nécessaires », indique l’étude.

En revanche, l’adoption de « régimes sains » (S2) ou de « régimes sains et plus respectueux de l’environnement » (S3) laisserait à l’Europe « une certaine marge de manœuvre pour équilibrer ses usages et ses res- sources tout en devenant exportateur net de calories ».

En effet, ces deux scénarios impliquent des régimes alimentaires moins riches en produits animaux, avec une sensible diminution de la production animale européenne et des aliments pour animaux, « y compris les fourrages, de même que l’usage de l’herbe des prairies permanentes ». En raison de cette diminution, les superficies de prairies permanentes chuteraient de 51 % à 28% et les espaces ainsi libérés pourraient être convertis en zones de végétation arbustive ou en forêts.

Des exemples non significatifs

Pour illustrer leurs propos, les auteurs se réfèrent cependant à quatre cas concrets, qui existent déjà, à savoir la production de blé dur bio en Toscane (Italie), réalisée « par de grandes exploitations spécialisées, équipées en technologies de pointe qui permettent aux exploitants de travailler à très grande échelle avec peu de main-d’œuvre et à une cadence élevée » et qui a largement adopté l’agriculture de précision pour ses interventions principales – semis, désherbage mécanique, récolte – pilotées par satellite ; la production de légumes bio en Roumanie du Sud-Est, opérée sur un modèle plutôt classique; la production de céréales et d’oléagineux dans le sud de la Finlande, qui n’est pas vraiment la région la plus exposée aux ravageurs en raison du climat; et enfin, la production viticole en Bergerac-Duras, également très classique. Les perspectives annoncées sont loin d’être convaincantes, notamment en raison du décalage entre ces quatre cas.

En fin de compte, l’étude apparaît comme un exercice très théorique sans véritables pistes innovantes, sans rien de particulièrement disruptif, et elle présente surtout l’avantage que personne n’aura gardé en mémoire les conclusions et les propositions des auteurs à son échéance…

En revanche, ce qui est certain, c’est que l’agriculture européenne va inévitablement évoluer au rythme des innovations scientifiques, dans le domaine de la robotique comme dans celui de la sélection variétale ou des modèles agronomiques. Quelle sera vraiment la place de la chimie en 2050, c’est-à-dire d’ici vingt-cinq ans ? Difficile de répondre à cette question, et ce n’est malheureuse- ment pas ce rapport qui permettra d’éclairer le débat.

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