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Pesticides : L’étroite marge de manœuvre d’Agnès Pannier-Runacher 

Prise en tenaille entre l’objectif confirmé d’une réduction de 50 % de l’usage des pesticides et celui d’accéder aux demandes légitimes des filières agricoles, Agnès Pannier-Runacher déploie une énergie considérable sans pour autant convaincre

En charge des dossiers plutôt sensibles au sein du ministère de l’Agriculture, Agnès Pannier-Runacher enchaîne déclarations sympathiques sur déclarations sympathiques. « Produire en France, c’est faire du bien à l’environnement », a-t-elle ainsi affirmé lors d’une visite dans le Finistère le 14  avril, tandis que dans une vidéo présentée sur son compte X, elle reprend à son compte le slogan maintes fois brandi par la FNSEA : « Pas d’interdiction sans solution », tout en confirmant à la moindre occasion que « l’objectif de la baisse de 50 % de l’utilisation des phytosanitaires pour 2030 sera maintenu ».

« Nous lançons un appel à projets de 50 millions d’euros pour financer la recherche d’alternatives aux molécules risquant d’être retirées du marché », explique-t-elle, soucieuse de favoriser toutes les solutions non chimiques. Sachant que le budget mondial de R&D des principales firmes phytopharmaceutiques s’élève à 5 milliards de dollars, dont 1 milliard à l’échelle de l’Union européenne, on peut raisonnablement douter de l’impact de ce montant somme toute ridicule, qui finira vraisemblablement dans les caisses de quelques instituts techniques, tel l’Inrae, qui dispose pourtant déjà d’un budget de 1 milliard d’euros alors qu’il n’est pas vraiment connu pour fournir une mine de solutions pour l’agriculture. « Des chercheurs qui cherchent, on en trouve ; des chercheurs qui trouvent, on en cherche », raillait déjà le général de Gaulle…

Face à un discours gouvernemental bien rodé, c’est en effet la détresse qui prédomine dans les campagnes

Et quid des impasses actuelles ? « Pour faire face aux difficultés d’aujourd’hui de nos agriculteurs qui ont besoin de produits phytosanitaires qui ne sont plus accessibles et pour lesquels il n’y a pas d’alternative, nous avons mis en place, depuis le 15 mars, un Comité de solutions, qui regarde culture par culture comment apporter de nouveaux produits sur des molécules déjà interdites », rétorque la ministre. « Très bien, mais cela fait des mois, voire des années, que nous avons fait remonter aux responsables publics la liste des cultures sans solutions ou avec des solutions très limitées », nuance Charlotte Vassant, agricultrice en polyculture et présidente de l’Union des syndicats agricole de l’Aisne.

Face à un discours gouvernemental bien rodé, c’est en effet la détresse qui prédomine dans les campagnes. « Les producteurs de fruits sont désespérés, car il n’y a toujours rien, par exemple, pour la protection des cerises », témoigne ainsi Éric Allard, producteur dans la vallée de la Durance de divers fruits (pommes, poires, cerises, pêches, abricots, prunes), conduits en production fruitière intégrée et en agriculture biologique. « C’est même le contraire pour les dérogations qui tardent », continue l’agriculteur, relayé par son collègue Julien Giraud, propriétaire d’une exploitation familiale entre la Provence et les Alpes : « Le meilleur exemple, c’est le Buffer Protect. Il s’agit d’un acide citrique qui booste l’efficacité du Blossom Protect, une levure qui a un effet antagoniste sur le développement des bactéries du feu bactérien qui tue les pommiers et poiriers. Il doit être utilisé en traitement préventif, c’est-à-dire dès le début de la floraison. Bien que ce produit soit homologué dans plusieurs pays européens, chez nous, on nous délivre de façon récurrente des dérogations de 120 jours. Sauf que cette année, à force de tarder, la dérogation a été signée tellement tard que les distributeurs locaux estiment que le temps de commander et recevoir le produit, la floraison sera terminée, alors que depuis janvier on nous a répété avoir “entendu nos demandes”. C’est franchement désolant. »

Même amertume chez les producteurs de betteraves, qui se sont fortement mobilisés pour ne pas connaître à nouveau la catastrophe de 2020, qui avait abouti à une perte de production de 30 % au niveau national, et jusqu’à 70 % dans certaines régions. Face aux menaces qui pèsent sur la production betteravière, la rue de Varenne a simplement élargi la dérogation du Movento, en permettant cinq usages au lieu de deux. « Ça ne fonctionne pas très bien, et ça va augmenter les volumes de produits épandus alors qu’on nous demande de réduire les doses. On marche sur la tête », s’insurge le très médiatique Bruno Cardot, producteur de betteraves dans la région parisienne. Comme le souligne Cyril Cogniard, président de la Confédération générale des planteurs de betteraves pour la région Champagne Bourgogne, ce choix interpelle : « Le Movento a montré ses limites en 2020, avec l’arrivée massive et précoce de pucerons. Ce que nous avons demandé, ce sont des molécules efficaces sur pucerons, telles qu’il y en a chez nos voisins européens, à savoir l’acétamipride et le flupyradifurone, et qui ne nécessitent qu’un seul passage. »
 

Encore autorisées dans certains pays de l’Union européenne, ces molécules sont en effet interdites en France, au motif que leur mode d’action serait identique à celui de la famille des néonicotinoïdes (NNI), un bel exemple de surtransposition, comme l’a d’ailleurs reconnu le ministère de l’Agriculture dans son rapport récent sur la souveraineté alimentaire.

« Tant que le gouvernement ne reviendra pas sur ses interdictions franco-françaises prises pour des raisons politiques, notre agriculture continuera à dépérir », confie à A&E le député LR Julien Dive. Sans l’audace d’un Julien Denormandie, ancien ministre de l’Agriculture, qui n’a pas hésité à revenir sur l’interdiction des NNI pour les betteraves, on voit difficilement comment la ministre pourra sortir l’agriculture des impasses que l’écologie politique lui a imposées. Malheureusement, il semblerait que la feuille de route donnée par le président Macron à sa ministre déléguée au ministère de l’Agriculture ne l’autorise pas, en tout cas pour l’instant, à prendre de telles libertés…

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