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Riverains : le nouveau business de Corinne Lepage en justice

Depuis la scission de son cabinet, Corinne Lepage
s’inspire du modèle des grands cabinets américains
qui se sont spécialisés dans
les class actions, une forme
de procédure permettant
à plusieurs victimes
d’un même préjudice
d’engager collectivement
une action en justice
pour obtenir réparation

Ce n’était pas un poisson d’avril, même si l’ancienne ministre de l’Environnement Corinne Lepage a choisi la date du 1er avril 2024 pour révéler sur France Inter avoir lancé une action collective ayant comme objectif de « demander réparation à l’État pour les victimes non professionnelles des pesticides ». 

Comme l’a ensuite précisé l’avocate lors d’une réunion qui s’est tenue le 4 avril, cette initiative concerne « tous les riverains de zones d’épandages situées à moins de 150 mètres de leur lieu d’habitation ». À savoir tout d’abord ceux qui souffrent de pathologies reconnues comme maladies professionnelles des pesticides, tels le cancer de la prostate, le lymphome malin non hodgkinien et la maladie de Parkinson. Mais aussi ceux qui estiment souffrir « d’un préjudice d’anxiété lié au fait de se trouver exposé de façon récurrente et involontaire à des produits toxiques sur son lieu d’habitation ». Enfin, également les riverains qui sont en parfaite santé puisque, selon l’avocate, « dès lors qu’il y a un risque avéré pour la santé, tout riverain pourrait demander indemnisation, même s’il ne souffre d’aucune pathologie particulière ». 

Une procédure
ultra simple et peu onéreuse

La procédure à suivre est simple : il suffit de remplir une fiche de renseignements en ligne et de verser la somme de 40 euros pour l’étude du dossier, qui, s’il est retenu, reviendra à 230 euros pour l’ensemble de la procédure indemnitaire, « audience comprise ». Pour sa part, Corinne Lepage escompte récupérer en termes d’honoraires 8 % des sommes qui seront versées par l’État. Un minimum de cent inscriptions est cependant indispensable, afin qu’une requête puisse être déposée officiellement devant un tribunal, a précisé l’avocate. Bien que le nombre potentiel de cas concernés est à l’évidence considérable, à la date du 15 avril, seule une petite dizaine d’inscriptions avaient été enregistrées et admises, comme l’indique le site, qui annonce qu’un bilan du nombre de victimes concernées sera établi à la fin mai afin de lancer l’action collective.

Cette démarche s’inspire
des procédures des cabinets américains,
qui ont investi des millions
de dollars en spots publicitaires

Cette démarche s’inspire des procédures des cabinets américains, qui, à coups de millions de dollars investis en spots publicitaires, ont recruté de nombreux clients, convaincus d’être tombés malades à cause de leur utilisation du Roundup. C’est ainsi que, depuis 2015, 125 000 plaintes ont été déposées par des Américains, dans l’espoir de bénéficier des dédommagements que les avocats avaient évalués au total à une dizaine de milliards de dollars. Visant aussi large que ses confrères américains, Corinne Lepage cible des millions de personnes : celles et ceux qui habitent à moins de 150 m d’une parcelle agricole.

De Linky au glyphosate

Depuis 2017, Corinne Lepage a en effet choisi un mode opératoire singulier, qui fait suite à son retrait et à celui de son mari de la Selarl Huglo Lepage et associés, la structure qui associait le cabinet d’avocats Huglo Lepage, créé il y a quarante-six ans, à plusieurs autres avocats. Ayant gardé l’essentiel des clients de la Selarl, ses anciens associés poursuivent désormais leurs activités au sein d’une autre structure baptisée Atmos Avocats. « La séparation est le résultat du constat commun d’une dualité de clientèle qui n’était plus lisible pour nos clients respectifs. Les entreprises que nous accompagnons admettaient de plus en plus difficilement les positionnements de notre cabinet », explique ainsi l’un de ces anciens associés, Alexandre Moustardier. En effet, durant toute sa carrière d’avocate, tandis qu’elle se faisait un nom au sein de la nébuleuse écologiste, le cabinet de son mari et ses associés défendait de grandes entreprises telles que Lafarge, Airbus, le groupe cimentier Vicat, ou encore BASF Électronique et Brenntag, le leader mondial du marché de la distribution de produits chimiques… Mais cela, « toujours dans l’esprit d’aider [ces entreprises] à progresser vers un développement durable », se justifie Corinne Lepage à l’heure de sa retraite. Certes…

Estimant par ailleurs qu’« il y a trop de compromissions et de lenteurs » en politique, un domaine où elle a essuyé échec sur échec, l’avocate a choisi de se concentrer sur un terrain où elle excelle : les affaires judiciaires liées à l’écologie. D’où la réorganisation d’une partie de son activité en « open innovation », c’est-à-dire en mettant en place un écosystème collaboratif à partir de différentes structures dont l’ancienne ministre a été l’instigatrice, et en y incluant d’autres associations sympathisantes. Dans un entretien accordé en janvier 2018 au média mesinfo.fr, Corinne Lepage précise ainsi que le cabinet va désormais s’appuyer sur la réunion de deux associations qu’elle préside – le Mouvement des entrepreneurs de la nouvelle économie (Mene) et Justice Pesticides – mais aussi sur un réseau « constitué avec des confrères », d’associations comme Pesticides Action Network Europe et Asie, et des journalistes, « notamment Carey Gillam qui a sorti un livre sur les Monsanto Papers », ainsi que sur ClientEarth « qui est un réseau international de juristes défenseurs de l’environnement ». « Nous allons pouvoir travailler sur le plan de la doctrine car ça reste quelque chose de très important pour nous », déclarait-elle alors, assurant qu’avec ce réseau, elle pourrait « à la fois penser, échanger et agir », car « les combats de santé-environnement vont devenir absolument majeurs ». « Ces questions sont en train d’envahir le droit. Le droit de l’environnement n’existe plus en tant que tel car il absorbe tout », reconnaissait-elle déjà.

Une première action collective, réunissant une fronde anti-compteur électrique Linky, fut donc lancée dès avril 2018 par Corinne Lepage et un groupe d’avocats, sans connaître un grand succès, la plupart des plaintes ayant été déboutées. Et ce n’est qu’en janvier 2024 que le cabinet Huglo Lepage Avocats a créé la plate-forme « Agir collectivement », afin de proposer une deuxième grande action collective, concernant cette fois les « victimes de pesticides ».

Justice Pesticides à l’œuvre

Le sujet des « victimes de pesticides » est au cœur des préoccupations de l’avocate depuis qu’elle a participé au comité d’organisation du fameux simulacre de Tribunal international Monsanto en octobre 2016 à La Haye, aux Pays-Bas. « Nous nous sommes demandé comment toutes ces victimes, partout dans le monde, d’origine et de nature très différentes, allaient pouvoir se défendre face aux conglomérats de l’agrochimie tels que Monsanto, Dupont-de-Nemours (allié à Syngenta) et une entreprise chinoise, Chemchina. Ces trois mastodontes représentant 80 à 90 % de l’agrochimie mondiale », avait-elle déclaré à ce moment-là. 

De cette réflexion naquit, un an plus tard, l’association Justice Pesticides. Fondée avec plusieurs coorganisateurs du Tribunal Monsanto, tels François Veillerette de Générations Futures et Arnaud Apoteker, ancien responsable de Greenpeace et du groupe des Verts européens, ou encore la journaliste militante Marie-Monique Robin, elle bénéficie sans surprise de l’assistance sonnante et trébuchante des grandes enseignes du bio, comme Biocoop, Léa Nature, Ekibio et La Maison de la Bio. Et l’Ifoam, association de lobbying européen du bio, avait également intégré son conseil d’administration. 

Prônant l’interdiction « des pesticides qui mettent en péril la santé humaine et l’environnement », Justice Pesticides a pour objectif de « permettre la mise en réseau et l’organisation de la défense des personnes contre les pesticides ». Dans un premier temps, l’association a mis en place une base de données répertoriant les décisions juridiques et scientifiques utilisables dans les possibles recours légaux contre les pesticides. Ainsi, y figurent aujourd’hui plus de 600 décisions de justice – et une petite vingtaine d’études ayant servi de base aux décisions rendues par les juges –, dont plus d’un tiers (242) concerne la France, un tiers, les États-Unis, et le reste se répartit sur une trentaine de pays.

Comme le relate Corinne Lepage dans un texte publié en janvier 2023 par Natexbio (la fédération des transformateurs et distributeurs bio), l’étape suivante a consisté à fédérer des avocats du monde entier. « Nous avons constitué un fichier d’avocats qui ont tous œuvré dans les décisions publiées sur le site, et leur avons proposé de participer à un réseau mondial d’avocats défenseurs des victimes de pesticides », explique Corinne Lepage, qui peut désormais s’appuyer sur la compétence collective de ce réseau pour mener ses actions, dont la plus récente concernait les riverains des zones d’épandages. 

Par-delà l’aspect juridique – et bien évidemment lucratif – de ces actions, l’avocate poursuit ainsi  son combat contre notre modèle agricole qui, selon elle, « reste en état d’addiction aux intrants de l’agrofinance ».

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