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Agriculture : les défis d’Annie Genevard


Parmi les nombreux dossiers qu’Annie Genevard devra traiter, celui de la loi d’orientation agricole (LOA) reste l’un des plus attendus. Analyse des différentes stratégies possibles

Au regard des nombreuses difficultés qu’il affronte, le monde agricole aurait certainement préféré voir arriver rue de Varenne une personnalité politique ayant déjà une parfaite connaissance de ses dossiers, dont la plupart se trouvent en jachère depuis le 9 juin dernier, date de la dissolution de l’Assemblée nationale. Bref, avoir un ministre de l’Agriculture qui soit en mesure d’agir immédiatement, présent sur le terrain et à l’écoute de ceux qui produisent.

Élue du Doubs, un département à forte concentration d’exploitations laitières, Annie Genevard est pourtant loin d’être insensible à la cause agricole. « Je travaille pour les agriculteurs depuis bien longtemps », a rappelé lors d’un déplacement sur des comices agricoles celle qui préside également la commission permanente du Conseil national de la montagne. Christophe Chambon, secrétaire général adjoint de la FNSEA et éleveur dans le Doubs, a confirmé que, en effet, « elle a toujours été du côté des agriculteurs », notamment en soutenant, durant les débats sur la loi d’orientation agricole (LOA), les amendements proposés par la FNSEA.

Lire aussi : Le prochain gouvernement devra répondre à la crise agricole, estime Julien Dive

« Dès sa prise de fonction, Annie Genevard devra marquer son arrivée avec un signal fort pour redonner de l’espoir au monde agricole », a toutefois insisté Arnaud Rousseau, président du syndicat majoritaire. Car, à la pile des nombreux dossiers en souffrance depuis la dissolution de l’Assemblée nationale, s’en sont ajoutés de plus récents, comme la crise sanitaire qui frappe de plein fouet les élevages ovins et bovins, les cultures céréalières ou la viticulture, touchées par les pluies qui se sont déversées sur presque tout le territoire. Et les attentes du syndicat sont claires : la ministre doit prendre des mesures urgentes sur le volet sanitaire tout comme sur la trésorerie des agriculteurs, notamment en garantissant dans les plus brefs délais le versement des aides de la PAC.

L’occasion de revoire la LOA

Mais la ministre sera également attendue sur la LOA, dont le texte, adopté par l’Assemblée en mai, n’a pas pu passer l’étape de la consultation au Sénat en raison de la dissolution de l’Assemblée nationale. C’est donc l’occasion de revisiter un projet de loi qui était loin de satisfaire les agriculteurs. « Il faut reprendre le travail sénatorial sur le choc de compétitivité de la ferme France », avait ainsi indiqué Véronique Le Floc’h, présidente de la Coordination rurale, tandis qu’Arnaud Rousseau avait estimé que ce projet de loi était « loin de la loi Pisani ! », ce texte signé en 1962 qui a posé les bases de la puissance agricole française. En effet, une lecture approfondie du texte suggère même que le précédent gouvernement n’avait nullement l’intention de rompre avec les politiques agricoles qui avaient suscité le mécontentement des agriculteurs. Annie Genevard s’étant clairement positionnée en pourfendeuse des stratégies décroissantes lors de la passation de pouvoir avec son prédécesseur Marc Fesneau, il semblerait déraisonnable de conserver un texte empreint de cette logique décroissante, pour l’inscrire ensuite tel quel à l’ordre du jour au Sénat.

Repartir d’une page blanche

Il serait plus logique que la ministre, sans s’interdire d’en garder les parties pertinentes, reparte d’une page blanche. Cela permettrait de rompre radicalement avec cette trajectoire décroissante dont l’origine est, certes, antérieure à la présidence de Macron, puisqu’elle a été initiée avec le Grenelle de l’environnement du président Sarkozy, lorsqu’un certain Michel Barnier était ministre de l’Agriculture, les présidences suivantes, dont celle de François Hollande, n’ayant fait qu’amplifier l’orientation actée lors du Grenelle.

Renouer avec la compétitivité de l’agriculture française et la souveraineté agricole de la France nécessite donc de remettre à plat un nombre important de décisions prises au cours des quinze dernières années, et qui ont été parfaitement identifiées par le Sénat.

Le projet de loi « Entreprendre en agriculture » présenté par la FNSEA et les JA le 29 août dernier contient un bon nombre de propositions qui répondent précisément aux enjeux de la production agricole et de sa compétitivité, notamment au sujet de la fiscalité, de l’usage des phytosanitaires, de l’accès à l’eau ou bien encore du coût de la main-d’œuvre. En revanche, il est plus étonnant qu’un syndicat qui milite pour la simplification bureaucratique propose dans le même texte une série de mesures administratives concernant, par exemple, la mise en place de nouveaux plans et audits…

Inspiré notamment des travaux du Sénat sur la compétitivité de l’agriculture, ce nouveau projet de loi pourrait ainsi être d’abord présenté à la chambre haute, dont la majorité est acquise au gouvernement, et être mis seulement après à la consultation par l’Assemblée nationale, afin d’éviter les interminables débats sur des questions d’une importance toute relative. Cette stratégie nécessite une certaine audace eu égard au contexte politique actuel, et elle présente en outre un risque lié à l’incertitude concernant la durée de vie de ce gouvernement.

Une stratégie en quatre temps

Une autre stratégie, peut-être politiquement plus raisonnable, consisterait à s’inspirer de la démarche en quatre temps proposée par le sénateur Laurent Duplomb.

Dans un premier temps, il s’agirait de traiter par décret certaines incohérences et mesures qui entravent la production agricole et qui ont été adoptées par décret (comme par exemple celui concernant la charte Riverains ou la liste des substances interdites) ; dans un second temps, la ministre pourrait inclure dans le projet de loi de finances (PLF) quelques propositions permettant de répondre à la crise sanitaire (indemnisation des pertes pour les éleveurs suite à la fièvre catarrhale ovine) et aux problèmes de trésorerie (notamment des prêts garantis par l’État avec une bonification des taux). « Les dispositions d’application de la réforme des retraites agricoles qui entre en vigueur le 1er janvier 2026 doivent figurer dans la PLF », insiste aussi le député LR Julien Dive. Ensuite, Annie Genevard pourrait proposer une loi dite « anti-entrave », destinée à supprimer tout ce qui paralyse l’agriculture et qui ne figure pas dans la LOA telle qu’elle a été adoptée par l’Assemblée nationale ; enfin, dernière étape, l’inscription de la LOA pour débat – et donc pour amendement – au Sénat.

Ce processus permettrait ainsi de traiter rapidement les principaux sujets oubliés dans la LOA, tel le plan Ecophyto, à l’origine d’impasses techniques et de distorsions de concurrence pour de nombreuses filières, et qui ne peut rester en l’état. De même, la philosophie qui entoure l’usage des pesticides, cheval de bataille des écologistes pour imposer la décroissance à l’agriculture, demande à être revue. Ainsi, une révision s’impose afin de rompre avec la logique d’une diminution quantitative, alors que ce qui importe est la diminution progressive et réelle des risques sanitaires et environnementaux. Le précédent gouvernement avait déjà pris la bonne décision en remplaçant l’indicateur initial (l’IFT) par un indicateur scientifiquement plus adapté, mais sans pour autant se débarrasser de l’objectif irraisonnable d’une diminution quantitative.

Par ailleurs, il apparaît comme nécessaire que le politique reprenne la main sur l’émission des autorisations de mise sur le marché (AMM) des produits phytosanitaires, autre sujet qui ne figure pas dans la LOA. Sans nullement remettre en cause l’expertise scientifique de l’Anses, c’est au pouvoir public – et non à une quelconque administration – qu’il appartient de décider en fonction de facteurs multiples, y compris économiques, si un produit doit être autorisé ou interdit.

Rappelons que ce transfert de pouvoir du ministère de l’Agriculture à l’Anses a été décidé en 2014 par l’ancien ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll pour répondre à une exigence du patron de Générations Futures, François Veillerette, alors même qu’une majorité des membres du conseil d’administration de l’Anses avaient exprimé leur opposition au projet du ministre.

Renouer avec la compétitivité de l’agriculture française nécessite de remettre à plat un nombre important de décisions prises au cours des quinze dernières années

La France demeure aujourd’hui le seul pays où le politique s’est dessaisi de cette responsabilité. Sur le sujet des produits phytosanitaires, la nouvelle ministre est également attendue sur la scène européenne, où l’harmonisation des règles de mise en marché à l’échelle de l’Union constituerait un bon moyen de lutter contre les distorsions de compétitivité. De même, lui aussi « oublié », le dossier sur la séparation capitalistique de la vente et du conseil, un dispositif issu de la loi Egalim du 30 octobre 2018, devra être révisé.

En juillet 2023, un groupe de travail de la commission des Affaires économiques, dirigé par Dominique Potier (PC, Meurthe-et-Moselle) et Stéphane Travert (RE, Manche), avait déjà conclu que « le statu quo n’est pas envisageable », le bilan de ce dispositif étant jugé « très mitigé ».

En réalité, comme le reconnaissent les deux députés, cette usine à gaz, imaginée par l’énarque Hélène Pelosse, et censée conduire les agriculteurs vers un usage plus faible d’intrants, n’aura finalement été qu’un mirage, puisque « la réduction de l’usage des produits phytopharmaceutiques paraît avant tout être le fait des mesures d’interdiction prises au niveau européen et par l’Anses ». Le plus raisonnable serait donc une abrogation pure et simple de ce dispositif absurde et sans aucun intérêt.

Bref, une refonte de la politique agricole s’inspirant de cette stratégie est tout à fait à la portée de la nouvelle ministre, si celle-ci est décidée à agir avec fermeté et détermination.

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