AccueilPolitique agricoleLa PPL contre les entraves à la production en stand-by

La PPL contre les entraves à la production en stand-by

Afin de pallier les carences de la loi d’orientation agricole, des sénateurs proposent une PPL destinée à « libérer la production agricole des entraves normatives », une initiative au parcours semé d’embûches

Bien qu’amélioré par plusieurs amendements votés à son passage à l’Assemblée nationale en mai dernier, la loi d’orientation agricole, maintes fois reportée, ne répond nullement à la colère exprimée par les agriculteurs au début de l’année. Dominée par une forme d’écolo-économie placée sous la tutelle des transitions agroécologique et climatique, elle « passe à côté des enjeux de la compétitivité des agriculteurs », estime ainsi le sénateur LR
Laurent Duplomb, qui a déposé une proposition de loi (PPL) visant à compléter le texte afin de « libérer la production agricole des entraves normatives »
. Cette initiative portée également par les sénateurs Franck Menonville (UDI) et Vincent Louault (Horizons), et qui a été cosignée par plus de 180 de leurs collègues, a été discutée en Commission économique du Sénat le 4 décembre.

« Il s’agit de reprendre les thèmes fondamentaux qui ne figurent pas dans la loi d’orientation agricole, à savoir notamment l’utilisation des produits phytosanitaires, les normes concernant les bâtiments d’élevage et l’utilisation de l’eau », précise Laurent Duplomb, en soulignant la nécessité de « mettre un terme à cette concurrence déloyale que vivent nos agriculteurs, et donc de s’attaquer aux surtranspositions qu’ils subissent ».

Au sujet des produits phytosanitaires

Le cas de l’acétamipride en est un excellent exemple. Autorisé dans l’ensemble des pays de l’UE, cet insecticide au profil plutôt modéré est interdit en France en vertu de la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, texte qui proscrit l’usage de toutes les matières actives de la famille des néonicotinoïdes, quel que soit leur profil toxicologique.

« Je suis convaincue que son interdiction a été une erreur », a volontiers admis l’ancienne ministre de l’Agriculture Annie Genevard, en se référant à la filière de la noisette mise en grande difficulté. « Si rien n’est fait, des filières comme celles de la pomme ou de la poire vont se retrouver dans le même cas de figure », met en garde le sénateur Vincent Louault, soucieux lui aussi d’apporter des solutions aux agriculteurs.

Moins médiatisée, la filière de la banane fait face également à une concurrence déloyale, en raison de l’interdiction franco-française de l’usage des traitements aériens. « La France a décidé unilatéralement d’interdire l’utilisation aérienne des produits phytosanitaires, ce qui fait que les producteurs de bananes ont subi une diminution de leur rendement de 60 tonnes à près de 30 à 40 tonnes par hectare, les traitements par le dessous étant d’une part largement moins efficaces et d’autre part, moins sécurisants pour les usagers », explique Laurent Duplomb. Résultat : les producteurs français se restreignant à seulement huit traitements, la banane française est en chute libre, tandis que la banane du Costa Rica, qui subit plus de quarante-cinq traitements, prend des parts de marché en France ! « L’usage du drone permettrait non seulement de mieux protéger nos bananiers, mais également de diminuer le nombre de passages à seulement six, et au final de retrouver nos rendements à plus de 60 tonnes », suggère le sénateur.

Toujours sur le volet des produits phytosanitaires, le texte propose de revenir sur la séparation de la vente et du conseil, une « fausse bonne idée », pour reprendre les propos du député socialiste Dominique Potier. En effet, cette mesure, imposée par Emmanuel Macron pour complaire à ses électeurs de la nébuleuse écologiste, a fait la preuve de sa totale inefficacité. Elle n’a pas réduit l’usage des pesticides, n’a pas réellement modifié les pratiques sur le terrain, mais a réussi à créer un vide juridique en cas de litige. Bref, c’est l’exemple type de la mesure inutile, voire même contre-productive.

Le texte revient également sur l’interdiction des remises, rabais et ristournes dans la vente des produits phytopharmaceutiques, autre mesure franco-française qui pénalise la rentabilité des agriculteurs, mis dans l’incapacité de négocier leurs achats.

Enfin, l’article 2 du texte accorde au ministre en charge de l’agriculture le pouvoir « de suspendre, dans certaines conditions, une décision de l’Anses en matière d’homologation de produits phytopharmaceutiques, et permettant par ailleurs au directeur général de l’agence de s’en remettre au ministre pour une telle décision ». Comme le souligne à raison Vincent Louault, « l’interrogation sur le périmètre de l’action de l’Anses demeure en effet une réelle question ». Car, dès lors que la mission de l’agence se limite à l’évaluation des risques, sans inclure une réelle évaluation des bénéfices – sociétaux, économiques, sanitaires et environnementaux –, celle-ci s’expose à prendre des décisions socialement inacceptables, mettant à mal sa crédibilité. C’est le cas autant lorsqu’elle autorise un produit – comme par exemple le glyphosate – que lorsqu’elle en interdit l’usage, comme l’esfenvalérate, un insecticide contre les pucerons autorisé en Europe mais dont l’AMM ne sera pas reconduite en France. C’est pourquoi ce mandat doit nécessairement revenir à un élu de la République, comme il l’a été jusqu’en 2015, et en aucun cas à un fonctionnaire, si compétent soit-il.

Le volet de l’élevage

L’élevage fait également l’objet de surtranspositions absurdes, selon Laurent Duplomb : « Concernant les autorisations pour la construction de bâtiments, la règle européenne stipule qu’il faut une autorisation particulière pour toutes constructions destinées à abriter plus de 80 000 poulets, alors qu’en dessous de ce seuil, une simple déclaration suffit. La France a décidé de fixer le seuil à 30 000, c’est-à-dire deux fois et demie en dessous du seuil européen. »


Or, la procédure d’autorisation est bien plus complexe qu’une simple déclaration, notamment par l’enquête publique exigée, qui impose la tenue de deux débats publics, l’un à l’ouverture de l’enquête publique et le second à sa fermeture. « Inutile de préciser que ce passage obligatoire rend le parcours quasi impossible, dès lors qu’il y a une opposition de certaines ONG ou de riverains », déplore le sénateur.


De même, le remboursement des assurances pour les pertes de récoltes dues aux aléas climatiques pose problème dans la mesure où le satellite est reconnu comme la seule technique de mesure valable. Or, cet outil, loin d’être fiable, ne permet pas d’avoir une vision juste de la réalité, notamment en ce qui concerne les prairies. « Je propose d’y remédier en autorisant, lorsqu’il y a suffisamment d’agriculteurs qui contestent les données satellitaires, de pouvoir s’appuyer en parallèle sur une enquête de terrain qui puisse permettre, soit de les confirmer, soit de les infirmer », avance le sénateur de Haute-Loire.

Faciliter l’usage de l’eau

L’article 5 du projet entend sécuriser l’accès à l’eau pour les activités agricoles, dans le respect, cela va de soi, de la diversité des usages et de la nécessaire protection de la ressource : « Il s’agit de faciliter les projets de stockage de l’eau présentant un intérêt général majeur, afin d’en renforcer la solidité juridique, dans la conciliation avec d’autres objectifs, en ajustant la hiérarchie des usages de l’eau figurant dans le code de l’environnement, pour situer les usages agricoles juste après les usages liés à la santé, la salubrité publique, la sécurité publique et l’alimentation en eau potable de la population. »

Le sujet des zones humides est aussi abordé. « Encore une fois, la France a imposé des surtranspositions par rapport aux règlements européens », regrette le sénateur. En effet, alors que pour l’UE, le classement d’une zone humide est opéré lorsque les conditions cumulées d’une terre hydromorphe et d’une végétation hydrophile sont réunies, l’administration française se fonde sur l’un ou l’autre de ces deux critères. « Bien que le Conseil d’État ait infirmé la lecture française de cette règle européenne, la France continue pourtant de considérer des zones entières à partir d’un de ces deux critères », constate le sénateur Duplomb, qui veut revenir à la définition de la zone humide qui prévalait jusqu’en 2019, issue de la loi sur l’eau de 1992.

Un large consensus en faveur de la PPL

« L’ensemble de ces mesures de bons sens devrait permettre de dessiner un nouveau cadre réglementaire favorable à notre agriculture », commente le député Horizons Pierre Henriet, tandis que la députée RN de Gironde Edwige Diaz confie à A&E être d’autant plus favorable à cette initiative qu’elle contient deux articles reprenant deux PPL déposées en 2023 par les députés RN Grégoire de Fournas et Timothée Houssin.


La première proposait de transférer la responsabilité des AMM de l’Anses au ministère de l’Agriculture, et la seconde de rétablir temporairement l’usage de l’acétamipride. «  Au sein du RN, nous sommes particulièrement sensibles à la situation préoccupante des agriculteurs . C’est pourquoi, sans sectarisme, nous voterons en faveur de toutes les lois qui permettront d’améliorer leur situation. La PPL proposée par le sénateur Duplomb en fait clairement partie », souligne la vice-présidente du RN.

La députée RN de Gironde Edwige Diaz confie à A&E être d’autant plus favorable à cette initiative qu’elle contient deux articles reprenant deux PPL déposées en 2023 par des députés RN

Du côté des syndicats agricoles, la PPL a également été accueillie très favorablement. « Il est impératif qu’on enlève les boulets qu’on a mis aux pieds de notre agriculture et de nos agriculteurs », réagit ainsi Luc Smessaert, vice-président de la FNSEA, tandis que Pierrick Horel, le président des JA, appelle les élus des territoires « à soutenir ce texte, qui contribuera à sortir les agriculteurs des impasses techniques et normatives qui grèvent leur moral et la compétitivité de l’agriculture française ». Même son de cloche de la part du la Coordination rurale : « Ce texte est essentiel pour faire revenir du revenu dans nos exploitations, ce qui reste notre principale revendication », indique à A&E Sébastien Héraud, le représentant du syndicat au sein d’Interfel. Bref, hormis la Confédération paysanne, toute la profession agricole s’y retrouve, et a clairement exprimé son opinion par la vague de manifestations « contre les entraves » organisées à la fin novembre à l’initiative du syndicat majoritaire.

L’opposition s’organise

Dès que le texte a été rendu public, la nébuleuse écologiste s’est immédiatement mobilisée. Ce qui suggère que l’initiative du sénateur de la Haute-Loire va vraiment dans le bon sens !

Ainsi, au sein des services du ministère de l’Écologie, qui ont émis dans une note interne des avis défavorables sur la quasi-totalité des propositions, sans pour autant fournir d’arguments pertinents. La réautorisation de l’acétamipride ou l’autorisation du flupyradifurone « se heurteraient au principe législatif de non-régression environnementale », indique leur texte, qui estime par ailleurs que l’adoption de la disposition de la PPL sur l’Anses conduirait « à un retour à la situation antérieure à 2015 », alors que les raisons qui ont motivé le transfert ne seraient « pas caduques ».

De même, France Nature Environnement (FNE) s’est immédiatement mobilisée en proposant dans l’une de ses newsletters de novembre un courrier type à adresser aux parlementaires, estimant que le texte comporte un « ensemble de régressions qui lui a valu chez les salarié.es de FNE le petit nom de “PPL de l’enfer” », tandis que l’association Générations Futures (GF), sniper du lobby du bio, fustige « une PPL en faveur d’un modèle agricole chimiquement intensif et non durable » qu’il faut « combattre ».

L’association de François Veillerette mise toutefois sur le fait qu’elle n’est pas inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale pour espérer qu’elle « tombe dans les oubliettes ».

Et, paradoxalement, c’est le parti de Marine Le Pen qui rend ce malheureux scénario possible ! En effet, en votant la censure du gouvernement Barnier, elle a empêché son passage au Sénat prévu initialement le 17 décembre, alors qu’il y avait une franche majorité en sa faveur.

Pour aller plus loin :
Derniers articles :

Dans la même rubrique

Agriculture : les défis d’Annie Genevard

Parmi les nombreux dossiers qu’Annie Genevard devra traiter, celui de la loi d’orientation agricole (LOA) reste l’un des plus attendus. Analyse des différentes stratégies...

En ce moment

Restez informer en recevant régulièrement

La Newsletter A&E