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La LOA, nécessaire mais insuffisante

Finalement adoptée par le Parlement, la dernière version de la loi d’orientation agricole remet enfin l’agriculture sur les rails de la production. Reste à traduire ce nouveau cap par des actes concrets

Avec plus de 607 000 visiteurs, la 61e édition du Salon international de l’agriculture (SIA) a manifestement été une belle réussite. 

Le seul et unique incident à déplorer a été provoqué par la Confédération paysanne qui, faute d’avoir le courage de se confronter aux réalités des producteurs, a organisé un pathétique spectacle en déversant, vendredi 28 février, des sacs d’abeilles mortes sur le stand de Phyteis, l’association regroupant les entreprises proposant des solutions chimiques aux agriculteurs. 

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Certes, l’adoption de la loi d’orientation agricole (LOA) quelques jours avant l’ouverture du SIA n’était pas pour rien dans l’ambiance plutôt détendue de l’événement, auquel quatre-vingt-huit responsables politiques et institutionnels ont participé pour marquer leur soutien au monde agricole. 

Réactions multiples

Toutefois, comme il est clairement ressorti des nombreux entretiens réalisés par A&E durant le Salon, la LOA n’est pas perçue comme suffisante pour changer radicalement la donne. « Il nous reste encore un peu d’ouvrage à remettre sur le métier », a ainsi confié Arnaud Rousseau, le patron de la FNSEA, en rappelant que « sur le plan de l’appareil productif, la Ferme France est toujours en train de perdre sa capacité à produire, avec, cette année, des reculs notoires sur les exportations de vins et spiritueux mais aussi sur les céréales ».

« En dix ans, on a perdu 20 % de la surface des cultures de blé tendre, avec pour les trois quarts des arrêts de production, qui se sont traduits par de la jachère, de la forêt et des prairies non pâturées », ajoute Éric Thirouin, le président des producteurs de blé (AGPB), tandis que Sébastien Méry, le secrétaire général des producteurs de maïs (AGPM), rappelle que « l’UE importe aujourd’hui 25 % de ses besoins en maïs alors que, historiquement, elle était autosuffisante ». Et Arnaud Rousseau d’insister : « Face aux pays comme la Russie, les États-Unis et la Chine qui brandissent l’arme alimentaire, il faut que l’Europe arrête de faire preuve de naïveté. » La présidente de la Coordination rurale, Véronique Le Floc’h, estime pour sa part que, si la loi d’orientation agricole a apporté quelques avancées, « notamment pour l’alignement de la réglementation française sur la réglementation européenne », il n’y a pas encore de « changement de logiciel, l’orientation de la loi reste celle de l’UE, à la fois libérale et écolo ». 

« En dix ans, on a perdu 20% de la surface des cultures de blé tendre, avec pour les trois quarts des arrêts
de production », note Éric Thirouin, le président de l’AGPB

Des propos tempérés par Luc Smessaert, vice-président de la FNSEA, qui insiste, quant à lui, sur l’importance de l’inscription dans la loi de la souveraineté alimentaire, de la reconnaissance de l’agriculture comme intérêt général majeur et du « principe de non-régression de la souveraineté alimentaire », mesure miroir de la « non-régression environnementale ». « C’est le fameux rééquilibrage par rapport au droit de l’environnement tellement indispensable aujourd’hui », explique-t-il ainsi, en se félicitant, outre l’article  1, des contenus des articles 13 et 14, concernant la dépénalisation de certains délits : « Il était insupportable qu’un vol de voiture et l’arrachage de quelques mètres de haies soient mis sur le même niveau. Les agriculteurs ne sont pas des voyous qui font n’importe quoi ! »

La nébuleuse écolo vent debout contre la loi d’orientation agricole

Or, ce sont précisément ces articles qui ont fait bondir la nébuleuse écologiste. Laure Piolle, responsable de France Nature Environnement, se désole ainsi « d’un recul massif pour l’environnement », pendant que Greenpeace déplore « le tournant anti-écologique pris non seulement par le gouvernement mais aussi par les partis de la droite conservatrice au sein du Parlement ».

« L’article 13 cristallise à lui seul les tensions autour de ce texte : il prévoit de réduire à une simple amende de 450 euros (contre trois ans de prison et 150 000 euros jusqu’ici) les peines encourues pour des destructions “non-intentionnelles” d’espèces protégées. Celle-ci pourra même être remplacée par un “stage de sensibilisation aux enjeux de protection de l’environnement” », relève pour sa part Esteban Grépinet, journaliste à Vert, « le média qui annonce la couleur », tandis qu’Arnaud Gossement, avocat spécialiste du droit de l’environnement, doute que cet article puisse être appliqué, car il serait contraire à la directive européenne sur la protection de l’environnement, supérieure au droit français : « Le texte voté n’étant pas conforme aux exigences européennes, les juges auront l’obligation légale de l’écarter. »

« Il était insupportable qu’un vol de voiture et l’arrachage de quelques mètres de haies soient mis sur le même niveau. Les agriculteurs ne sont pas des voyous qui font n’importe quoi ! », s’insurge Luc Smessaert, vice-président de la FNSEA

De même, s’agissant de l’article  15 censé favoriser les projets d’installation de retenues d’eau ou de bâtiments d’élevage en accélérant les décisions de justice, l’avocat reste très sceptique. « On fait croire que l’on va réduire le volume de recours, mais ça ne va rien changer, les associations en déposeront toujours avant les délais », objecte-t-il, convaincu que « ces articles sont des messages politiques » sans valeur normative.

Tout reste à faire

Si elle ne conteste pas cette analyse, la juriste Carole Hernandez-Zakine y apporte toutefois un bémol de taille, insistant sur le fait que « la force de l’ensemble du texte, c’est justement qu’il définit des principes, voire des valeurs ». « Depuis 2014 et la loi d’orientation agricole qui avait posé l’exigence d’agroécologie, nous n’avions pas eu d’autres lois d’envergure concernant l’agriculture », rappelle-t-elle. Or, en supprimant volontairement toutes références à l’agroécologie, y compris le paragraphe du premier article du Code rural qui la définissait, le texte de loi voté le 20 février 2025 par le Parlement a voulu donner une nouvelle vision de l’agriculture. « Ce nouveau texte a comme objectif, certes, de favoriser les transitions climatiques et environnementales, mais en améliorant le potentiel productif agricole », décrypte Carole Hernandez-Zakine. « Nous avons transformé cette loi pour dire stop à la décroissance et donner à l’agriculture française un nouveau cap, celui de la production et de la compétitivité, tout en gardant une agriculture qui est déjà la plus respectueuse de l’environnement et de la santé des consommateurs », martèle à l’appui le sénateur Laurent Duplomb, qui souligne notamment l’importance de l’article 22. 

— Voir au le webinaire : Agriculture et droit de l’environnement : l’émergence du droit « mou » !

« Celui-ci donne au gouvernement le droit de prendre par voie d’ordonnance des mesures visant à assurer la cohérence des textes, voire même à abroger les dispositions qui ne sont pas conformes avec les exigences de production de cette nouvelle loi », confirme la juriste, en précisant : « Cet article montre bien la volonté transformatrice du législateur à l’égard du droit rural et de nos fondamentaux qui s’appliquent à l’agriculture, ce qui doit se traduire par la mise en place d’une nouvelle colonne vertébrale pour l’ensemble des textes concernant le futur de notre agriculture. » Autrement dit, tout reste encore à faire en termes juridiques et législatifs. D’où l’importance de la proposition de loi des sénateurs Duplomb et Menonville visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur, qui constituera, selon la juriste, « le premier de ces indispensables textes ». Toutefois, bien qu’il fasse clairement consensus au sein de la profession agricole, son avenir est loin d’être garanti, tant la frilosité politique reste de mise dans une partie de l’hémicycle politique. 

« Voter cette loi, c’est pourtant mettre des actes derrière ces belles paroles d’amour et de soutien que nous avons tellement entendues pendant ce Salon », résume le céréalier  François Arnoux.

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