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Écophyto : l’Inrae propose un nouvel indicateur

À la suite d’une saisine du gouvernement, l’Inrae a rendu publiques ses propositions pour une amélioration de l’indicateur HRI1, tout en plaidant plutôt en faveur d’un nouvel indicateur

Le 13 mai, soit un an après son adoption, le gouvernement a publié un premier bilan de sa stratégie Écophyto 2030, dont l’objectif est de réduire en même temps l’utilisation et les risques des produits phytosanitaires. Se basant pour la première fois sur l’indicateur européen du risque harmonisé, le HRI1, conçu pour répondre aux objectifs de la directive européenne 2009/128/CE (dite « directive Sud » pour Sustainable Use of pesticides Directive), la ministre de la Transition écologique Agnès Pannier-Runacher a ainsi annoncé un très net progrès, avec une baisse générale du HRI1 de 36 % depuis la période de référence de 2011-2013, et de 97 % sur les ventes des substances les plus à risque (CMR1) par rapport à la période de référence 2015-2017. Sans surprise, le journaliste décroissant du Monde Stéphane Foucart s’est immédiatement dressé pour réfuter ce bilan, précisément parce qu’il met en lumière les progrès effectués par nos agriculteurs. Invoquant l’usage « d’un indicateur contesté », il estime que, en étant recalculé chaque année pour toutes les années précédentes, le HRI1 répercute sur l’indice des années précédentes l’interdiction plus récente des produits les plus dangereux. Ce qui, selon lui, constitue « un artifice de calcul qui permet de faire baisser fortement le HRI1 sans changement des pratiques ». Curieux raisonnement ! Comme si l’objectif de l’indicateur devait nécessairement provoquer un « changement » dans les pratiques agricoles…

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S’appuyant sur l’ancien indicateur, le Nodu (pour nombre de doses unités, le journaliste constate en revanche que, sur la même période, il n’y aurait eu aucune baisse des quantités de pesticides utilisées, qui seraient même plutôt en hausse d’environ 3 %. « Par rapport à la moyenne de 2009-2011, le Nodu a même, en 2022, augmenté de quelque 10 % », affirme-t-il, concédant toutefois que les tonnages de produits classés CMR (cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques) ont baissé de moitié, « passant d’environ 20 000 tonnes par an, à la fin des années 2000, à environ 10 000 tonnes par an depuis 2020 ». Ce qui, en soi, témoigne déjà d’une évolution considérable.

Toutefois, Foucart omet de préciser l’essentiel : alors que le premier indicateur, le HRI1, certes très imparfait, se concentre sur les facteurs de risques, le Nodu mesure exclusivement les quantités utilisées. Imposé lors du Grenelle de l’environnement grâce à l’intense lobbying effectué par les associations antipesticides, cet indicateur répondait à l’injonction arbitraire du président Sarkozy de réduire de 50 % l’usage des pesticides, sans prendre en compte la question essentielle de la diminution des risques (voir « Réduire de 50 % les produits phytosanitaires : une idée imposée par Pan Europe »). « Le Nodu est intéressant par sa simplicité conceptuelle, néanmoins ce n’est qu’un indicateur d’usage, il ne vise pas à représenter les risques pour la santé humaine et l’environnement », a ainsi admis Martin Dermine, le directeur général de Pan Europe, lors de son audition par l’Inrae. Et l’enseignante-chercheuse d’AgroParisTech Inès Bouchema l’a confirmé devant l’Inrae : « Alors que d’autres pays visaient la réduction des risques, la France visait une réduction d’usage. »

L’Inrae est saisi

Comme le HRI1 essuyait de vives critiques de la part des écologistes, le gouvernement a décidé en juin 2024 de saisir l’Inrae pour établir « un bilan des avantages et des limites de l’indicateur » et « proposer le cas échéant des évolutions de sa méthodologie de calcul ».

Le rapport de l’Inrae, rendu public à l’occasion de la réunion du Comité d’orientation stratégique et de suivi (Cos) du plan Écophyto 2030 qui s’est tenue le 13 mai, résume les limites du HRI1. Elles sont bien connues et assumées par l’Union européenne et les pays qui l’utilisent déjà (notamment la Belgique, l’Espagne et l’Italie). Ainsi, les quatre catégories de risques retenus sont jugées « discutables » par de nombreux experts, et tous s’accordent sur le fait que les facteurs de pondération de ces quatre catégories (4, 8, 16, 64) ne sont étayés par aucune donnée scientifique. Et le rapport fait aussi état d’autres limites : ainsi, « des changements significatifs de pratiques n’entraînent pas forcément une diminution marquée du HRI1 (c’est le cas lors d’une forte réduction d’usage volontaire) des insecticides qui sont de grammage faible ».

Il n’en reste pas moins que c’est un indicateur de risque, et donc un indicateur bien plus pertinent que le Nodu, auquel se cramponnent les militants antipesticides et leurs nombreux porte-parole présents dans les médias.

Améliorer le HRI1 ou choisir un autre indicateur

Ensuite, le rapport présente deux options « en vue de proposer des pistes d’évolution de l’indicateur HRI1 », dont « la première, visant à conserver la logique sous-jacente à sa construction, consiste à pallier ses principales limites ». Cette évolution dite a minima du HRI1 introduit trois modifications afin d’éviter « les principaux biais » que l’indicateur comporte aujourd’hui. « Toutefois, cette évolution ne permet pas de corriger les défauts intrinsèques d’un indicateur reposant sur des classes très larges et hétérogènes de substances actives, et l’arbitraire du coefficient de pondération attribué à chaque classe, qui en font un indicateur peu sensible aux actions volontaires des agriculteurs en faveur de la réduction des usages de produits phytosanitaires », précisent les auteurs, qui privilégient tout naturellement une refonte en profondeur de l’indicateur, « tout en en gardant l’esprit, à savoir une prise en compte simultanée des quantités vendues (usage) et de l’incidence sur la santé humaine et l’environnement (impact) ».

La seconde piste envisagée par l’Inrae « est basée sur une logique en rupture forte avec celle ayant conduit à l’indicateur HRI1 » et, comme l’expliquent les auteurs, « a l’avantage d’être partagée par différents courants de réflexion à l’échelle internationale, même si d’autres réflexions peuvent également être fédératrices, notamment autour du Pesticide Load Index (PLI), développé au Danemark ». Cependant, plutôt que de retenir cet indicateur, bien plus pertinent que le HRI1, les auteurs ont choisi de baser leur proposition sur une version améliorée d’un autre indicateur, le Total Applied Toxicity (TAT), adopté par l’Allemagne et les États-Unis, qui demeure très proche du PLI danois. Ce dernier bénéficie même de l’approbation du directeur de Pan Europe, Martin Dermine, qui en soulignait les qualités lors de son audition : « Il existe déjà des indicateurs intéressants qui reposent sur des bases beaucoup plus scientifiques que HRI1, notamment le Pesticide Load Index (PLI), développé au Danemark. Il n’est pas parfait, il pourrait être amélioré, notamment pour prendre en compte la toxicité chronique. »

À la différence du PLI, composé de trois sous-indicateurs qui visent à mesurer la pression potentielle sur la santé humaine (PL-HH), le devenir dans l’environnement (PL-FATE) et l’écotoxicité (PL-ECO), le TAT calcule un ratio de risque en se basant sur toutes les grandeurs écotoxicologiques disponibles. Et contrairement au HRI1, où un coefficient arbitraire est associé à des groupes de risque, les deux indicateurs attribuent un quotient de risque spécifique à chaque substance active. « Le PLI et le TAT sont assez similaires dans leurs approches », confirme Jörn Strassmeyer, du Julius Kühn-Institute (Allemagne). « Une des particularités du TAT par rapport au PLI est qu’il présente les résultats de manière distincte pour chaque taxon considéré, sans faire d’agrégation finale. Cela est intéressant pour avoir une vision spécifique sur des taxons d’intérêt. Cela pose la question de l’agrégation et si on doit se limiter à une seule valeur d’indicateur . »

Il était plus que temps de sortir de l’impasse du Nodu pour revenir à l’essentiel, en se dotant d’une mesure des effets potentiels que provoque l’usage des pesticides et non sur les quantités utilisées

Tel est cependant le choix qu’ont fait les auteurs du rapport de l’Inrae. « Afin de simplifier l’analyse et d’obtenir un indicateur unique plutôt qu’une multiplicité d’indicateurs correspondant à chaque groupe taxonomique, ces derniers peuvent être regroupés pour générer un TAT agrégé, appelé ATAT (Agregated Total Applied Toxicity) », indique le rapport, qui propose, à titre d’exemple, trois groupes taxonomiques : les mammifères terrestres, les poissons et les abeilles. « Ce choix repose sur plusieurs justifications : (i) ces groupes figurent parmi ceux pour lesquels les données écotoxicologiques sont les plus abondantes ; (ii) les mammifères terrestres permettent d’estimer un risque potentiel envers l’humain ; (iii) les poissons reflètent les effets non intentionnels sur les écosystèmes aquatiques ; (iv) les abeilles représentent le risque potentiel lié à la dégradation du service écosystémique essentiel de pollinisation assuré par les insectes. » Et de préciser : « De plus, une méthode d’équipondération est utilisée ici pour donner le même poids à chaque taxon dans la contribution finale à l’indicateur ATAT. »

On pourrait toutefois se demander s’il est vraiment pertinent d’avoir un indicateur unique qui agrège l’ensemble des mesures de risque, mêlant ainsi les risques concernant la santé humaine aux risques environnementaux ou sur la biodiversité. « C’est un peu comme si on mélangeait des patates avec des tomates, avec le risque qu’au final, l’indicateur perde de sa lisibilité », estime un spécialiste en toxicologie réglementaire, qui jugerait plus approprié de conserver une palette d’indicateurs liés aux différents objets d’attention.

Quoi qu’il en soit, il était plus que temps de sortir de l’impasse du Nodu pour revenir, enfin, à l’essentiel, en se dotant d’une mesure des effets potentiels que provoque l’usage des pesticides sur l’environnement et la santé, et non sur les quantités utilisées. D’autant plus que, comme l’atteste le dernier rapport de l’Efsa sur les résidus de pesticides dans l’alimentation, la quasi-absence de ceux-ci démontre que les risques pour la santé des consommateurs restent vraiment minimes.

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