Disons-le d’emblée : quand Coline Serreau, la réalisatrice de Trois hommes et un couffin et de La Crise, s’aventure sur les sentiers (re)battus du « documentaire écologique », elle a bien du mal à convaincre. Son dernier film, Solutions locales pour un désordre global, est en effet loin d’avoir fait l’unanimité ! « Si vous êtes d’accord, vous n’avez pas besoin de consacrer une heure et demie à un film qui ne fera que répéter cette thèse, comme un mantra. Si vous n’êtes pas d’accord, vous n’avez pas besoinde consacrer une heure et demie à un film dont l’auteur vous tient pour un(e) attardé(e) », commente Thomas Sotinel, critique cinéma au Monde, qui enfonce le clou : « Le spectateur se retrouve dans la peau d’un adolescent de 2010 contraint par un(e) aîné(e) de lire la collection complète de La Gueule ouverte sans avoir le droit de poser de questions ».
« Des bobines déjà connues »
Même critique de la part de la journaliste de Libération Laure Noualhat qui, bien qu’acquise à l’écologie, est visiblement restée sur sa faim : « À voir l’image (parce qu’on écoute mais on regarde aussi), on imagine les moyens, limités forcément, et assumés comme décroissants. Mais même avec moins, on peut faire mieux, non ? Je veux dire : ce n’est pas parce que c’est un film écolo qu’il doit être moche. Dans le milieu, tout le monde a-doooore ce film. Je trouve dommage qu’il soit aussi moche. »
« Je ne vous facture pas non plus la lourde impression d’avoir déjà vu, écouté, interviewé dix fois les mêmes personnes. Alors je m’interroge : n’y a-t-il pas une nouvelle garde qui renouvellerait les castings ? », poursuit- elle. Bref, voilà du remâché. « On croise des bobines déjà connues », note à son tour le très écolo Jean-Luc Porquet, du Canard Enchaîné.
La belle verte, suite
Pourtant, Coline Serreau a voulu faire « autrement ». C’est-à-dire ne pas trop recourir à des discours culpabilisants ni à des prédictions apocalyptiques à la Home. Il est vrai la lutte mondiale pour une planète plus verte s’était soldée par un flop. Sortie sur les écrans en 1996, La belle verte – qui narre l’histoire de gentils extra-terrestres écolos débarquant sur la Terre et observant avec consternation notre société moderne – n’a pas fait date dans les annales du cinéma français ! « C’est beau, l’innocence d’un bébé ; c’est moche, l’appât du gain. C’est beau, un arbre ; c’est dégueu, le fast-food. C’est beau, l’amitié; c’est moche, l’agressivité. Coline Serreau en a plein, des idées de ce calibre-là, nées du fulgurant télescopage entre l’increvable bon sens populaire et la version intégriste d’un “babacoolisme” antédiluvien… », commentait alors Jean-Claude Loiseau, de Télérama, avant de conclure : « La fable aurait pu n’être que naïve. À la longue, elle apparaît pour ce qu’elle est : un brin réac. »
Le monde selon Guillet
Et finalement, rien n’a changé. Solutions locales… est toujours aussi manichéen, avec, dans le rôle des méchants, les semenciers, l’agrochimie, les multinationales, et dans celui des gentils, les AMAP, les agriculteurs bio, les militants écolos, le sympathique Pierre Rabhi et la pasionaria anti-OGM Vandana Shiva.
Néanmoins, on relève cette fois-ci une petite touche de féminisme, passée à la moulinette de Gaïa. Ce qui n’est pas surprenant puisque Coline Serreau semble avoir beaucoup fréquenté Dominique Guillet, le patron de l’association Kokopelli, à qui elle a d’ailleurs confié le discours d’ouverture de son documentaire.
Comme l’expliquait cet adepte de la Terre nourricière dans son « mot
du président » de novembre 2008, « si nous souhaitons redonner à Kokopelli son apanage, à savoir ce phallus proéminent, ce n’est pas pour réchauffer le vieux ragoût à la sauce patriarcale, car cela fait sept mille ans que la biosphère s’étiole et que l’humanité se meurt sous les assauts du patriarcat et de l’agressivité mâle. » Il est donc temps que le pouvoir soit confié à
la gent féminine, seule capable de défendre Gaïa des agressions des mercenaires phallocrates.
Les femmes au pouvoir !
Pour lutter contre ce « rapt de la terre » opéré par les multinationales, Coline Serreau a réalisé un documentaire faisant « partie d’un mouvement social et écologique en marche. Un mouvement inexorable qui doit conduire à revisiter la démocratie et à abolir le patriarcat, cette maladie infantile de l’humanité, qui se traduit par un déséquilibre des pouvoirs entre les deux moitiés qui la composent et la fait courir à sa perte. Il est urgent que les femmes, qualifiées pour s’occuper de la Terre et pour la réparer, prennent aujourd’hui le pouvoir Je ne serais pas arrivée là si, Le Monde 2, avril 2010 . »
Réparer la Terre commence bien entendu par cesser de la violer. « Pour [les agriculteurs], toute leur virilité s’exprime : “plus j’ai un gros tracteur, plus je défonce la terre, plus je la viole profondément, plus je suis un mec” », analyse avec finesse l’agronome Claude Bourguignon. De son côté, Coline Serreau nous apprend que « la terre et l’utérus, c’est le même mot. Mater, matière, utérus, terre, tout ça a la même racine. L’humus, l’humanisme, l’humilité, voilà mes critères. Les progressistes, dont je me suis longtemps sentie proche, n’ont jamais voulu voir le fond du problème : la relation entre la terre et l’utérus. Aujourd’hui, si les écologistes ne comprennent pas que
l’urgence N°1 est l’arrêt du matricide, ils échoueront comme les autres. »
Cet hymne à la « féminitude » n’a pas laissé indifférente Mathilde Blottière, critique cinéma à Télérama : « Hélas, chez Coline Serreau, écologie et féminisme ne font pas bon ménage : métaphores lourdingues (la terre nourricière violée par les gros tracteurs du patriarcat) et discours contestable de l’éco-féministe indienne Vandana Shiva… La nature serait mieux comprise et mieux cultivée par les femmes : de quoi nous
rendre (presque) nostalgique des viriles injonctions de Yann Arthus-Bertrand… »