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Consommation d’alcool: l’art de détourner les chiffres

49 000 décès en 2009 : ce sont les chiffres relatifs aux conséquences de la consommation d’alcool en France, annoncés par l’Institut de cancérologie Gustave Roussy (IGR) le 6 mars 2013. Suite à la récente publication d’une étude du Dr Catherine Hill sur ce sujet, le célèbre institut a en effet publié un communiqué de presse, dont le contenu a donné lieu à un curieux concert de désinformation dans les médias.

Sur ces 49000 décès, 36500 concerneraient les hommes et 12 500 les femmes. L’IGR précise que «15 000 seraient dus à un cancer, 12000 à une maladie cardiovasculaire, 8000 à une pathologie digestive, 8000 à une cause externe (accident, chute, suicide, homicide), 3 000 à des troubles mentaux ou comportementaux, et 3000 à des causes diverses». «Une consommation d’alcool même faible, de l’ordre de 13 grammes d’alcool par jour, est responsable de 1100 décès», indique l’institut de cancérologie. Bref, voilà de quoi refroidir l’ardeur des amoureux de la dive bouteille !

Le communiqué de l’IGR a d’abord fait l’objet d’une dépêche de l’AFP. Puis un copier-coller très légèrement amélioré de celle-ci s’est retrouvé dans l’essentiel des médias. «Dans un café, 10 cl de vin à 12,5°, 25cl de bière à 5°, 6cl d’apéritif à 20° ou 3 cl d’alcool à 40° (whisky, pastis, gin, rhum), correspondent à 10 grammes d’alcool pur», peut-on lire dans Le Monde. «Pour ceux qui boivent de l’alcool, l’idéal serait de s’en tenir à un demi-verre de bistrot par jour (soit 5 g d’alcool pur)», ajoute le quotidien.

Des images à l’appui du message

Premier tour de passe-passe : certains articles ont été illustrés par trois verres de vin (un blanc, un rouge et un rosé), suggérant ainsi une équivalence, en termes sanitaires, entre la même quantité d’alcool présente dans un verre de vin, dans une bière, ou dans un digestif à 40°. Ce qui n’est bien entendu pas le cas.
Alors que les effets protecteurs de l’alcool pur –même à faible dose– font débat, ceux du vin – et principalement du vin rouge – sont largement documentés jusqu’à trois verres par jour, et non pas un demi-verre.

Toutes les études épidémiologiques notent de façon permanente la fameuse courbe en J montrant le rôle bénéfique d’une consommation modérée d’alcool sur la mortalité coronarienne et sur l’augmentation du risque de cancer et de cirrhose à doses élevées. Selon le Pr Jacques Bonnet, de l’Hôpital cardiologique Haut-Lévêque (Pessac), «la courbe dose-réponse montre que la meilleure dose à conseiller est vraisemblablement l’équivalent de 250 ml de vin par jour».

Les explications de ce rôle bénéfique du vin sont connues. Elles sont à la fois sociales (les consommateurs de vin auraient une meilleure hygiène de vie) et directement liées aux effets protecteurs sur l’organisme de certains composants du vin. L’action la plus importante reste liée à l’effet biologique du vin, et notamment à ses effets antiagrégants et antioxydants. Autrement dit, boire un verre de bon vin rouge lors d’un repas n’a rien à voir avec siroter une bière au bistrot du coin… Aucune de ces précisions n’a malheureusement été apportée par la presse.

Ne pas boire tue ?

Deuxième tour de passe-passe : plusieurs médias –notamment Le Monde– ont fait passer le message selon lequel les Français boiraient trop. Il est vrai que le chiffre de 49000 décès a de quoi inquiéter. À ce titre, il aurait d’ailleurs mérité une petite enquête de leur part. C’est ce à quoi s’est livré le site Honneur du Vin, qui rappelle qu’entre 1994 et 2009, la consommation d’alcool «est passée de 33 à 27 g/j, soit une chute d’environ 15 % ». Or, selon une étude du Dr Hill parue en 2000, l’alcool aurait tué 45000 personnes en 1995. De 1995 à 2009, le nombre de décès causés par l’alcool a donc augmenté de 9%, alors que la consommation a baissé de 15%. À croire que moins les Français boivent, plus l’alcool les tue! On peut donc s’interroger sur la validité de ces chiffres, issus de traitements statistiques susceptibles d’entraîner de singulières variations…

Vive le Danemark et sa Carlsberg ?

Troisième tour de passe-passe : la presse a largement fait croire qu’en France, la mortalité due à l’alcool est 9 fois supérieure en moyenne qu’au Danemark (13 fois supérieure pour les hommes et 5 fois supérieure pour les femmes). Des chiffres qui figurent dans l’étude du Dr Hill. Or, selon l’OMS, les Danois boivent en moyenne 30 cl d’alcool pur de moins que les Français par an, soit 0,8 ml par jour! «C’est de cette quantité que la consommation [française] devrait diminuer pour diviser par à peu près 9 la mortalité due à l’alcool. Le coup est jouable!», ironise Jean-Charles Tastavy, président des Vignerons indépendants de l’Hérault. En effet, il suffirait à chaque Français de boire l’équivalent de 3/4 de cuillère à café de Carlsberg en moins, tous les 15 jours, pour avoir la même consommation qu’un Danois…

Malheureusement, les données du Dr Hill ne correspondent pas à celles qui sont disponibles sur Euro-stat. Selon l’organisme européen, le taux standardisé de mortalité due à l’alcool s’élève en effet à 4,1 pour 100000 habitants en France, contre… 11,5 au Danemark (chiffres 2009). Ce qui s’explique peut-être qu’à consommation à peu près égale d’alcool, celle du pays de la Carlsberg et de la Tuborg est davantage axée sur la bière que sur le vin. Au Danemark, la part de la bière représente en effet 45% de la consommation d’alcool, contre seulement 17% en France, alors que celle du vin y représente 39%, contre 62% chez nous. Au Danemark, on boit un peu moins, mais on boit aussi moins bien…

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